En fait, la coïncidence du décès de ces deux grandes figures de la littérature mondiale est légèrement inexacte. Les calendriers étant alors différents entre les royaumes d'Angleterre et d'Espagne, onze jours séparent en réalité les deux faits enregistrés sous la même date. Il reste que l'apparition de ces deux génies en ce XVIIè siècle n'est pas un hasard. Elle est aussi le fruit d'une époque marquée par de nouvelles géographies (la conquête du monde par les puissances maritimes de l'Ancien Monde), la Renaissance et ses mouvements artistiques et littéraires. De nouveaux horizons, de nouvelles visions et en conséquence, la recherche de nouvelles expressions. La proximité de cette date (22 ou 23 avril selon les thèses) était un bon prétexte pour nous interroger sur nos rapports avec ces deux grandes figures de la littérature, si représentatifs de leurs cultures qu'on qualifie leurs langues respectives en y ajoutant leurs noms, mais si universels qu'ils sont désormais entrés dans le patrimoine littéraire mondial, traduits dans d'innombrables langues, lus, commentés, adaptés et étudiés de nos jours encore. De nos liens avec le mystérieux dramaturge anglais, on ne peut que penser à Abdelkader Farrah, décédé en décembre 2005, talentueux scénographe de la Royal Shakespeare Company dont la famille, selon ses dernières volontés, aurait remis à l'Etat algérien ses archives qui mériteraient d'être exposées au public. Plus plaisamment, on pensera à la fameuse boutade de « Shakespeare alias Cheikh Zoubir » (relatée en détails ci-après) et qui est aussi symptomatique de la fascination exercée par le dramaturge. Pour Cervantès, évidemment, le lien avec l'Algérie passe par sa captivité à Alger durant cinq années (1575-1580) durant laquelle il tenta plusieurs fois de s'évader. Selon les spécialistes, ses œuvres dont le fameux Don Quichotte de la Manche sont marquées par son « séjour » algérois. Il nous a laissé cette grotte du boulevard Cervantès où il se serait caché un moment, lieu qui mérite encore plus d'égards que ceux qui lui ont été consentis. Cervantès à Alger est un thème qui fascine les écrivains algériens. Waciny Larej en a tiré en 1996 un roman pétillant intitulé La gardienne des ombres (Don Quichotte à Alger) tandis que l'écrivaine Younil lui a consacré une partie de son livre L'œil du chacal. Bref, ces deux là ne nous sont pas si étrangers. Nous avons donné la parole à quelques hommes et femmes de lettres qui ont bien voulu nous raconter leurs rencontres avec Cheikh Shakespeare et Sidi Cervantès, comme des illustrations vivantes de nos rapports à la culture universelle. A & L