Les investissements étrangers au profit de notre agriculture sont une bonne chose. Dans ce cadre, la société mixte algéro-émiratie dénommée "El Mahacil" (en français gain ou l'engrangé) compte se placer dans le domaine laitier, entre autres. Une actualité. Cet important projet ambitionne d'installer un complexe laitier dans la région de Ksar Chellala, plus précisément à Recheiga-Rebaïne (wilaya de Tiaret)1. Cette zone possède des potentialités agronomiques indéniables, mais aussi des contraintes.Brièvement, on cite parmi ses atouts, une vaste plaine ouverte, des sols légers pouvant convenir aux cultures fourragères de toutes sortes, des ressources notamment souterraines en eaux avérées. Les contraintes sont une pluviométrie moyenne annuelle faible, aux environ de 350 mm/an, avec des déficits pluvieux pouvant atteindre plus de 50%. Une ETP (évaporation hydrique) annuelle importante, due à un climat semi aride et, l'exposition de la zone aux vents du sud (2). Et enfin, l'absence de pâturages naturels. (3). Il y a lieu de remarquer, que ce projet intervient dans une conjoncture, bien particulière. Une pénurie de lait artificiel due à des contraintes de prix de la poudre de lait, au niveau du marché extérieur et, des coûts de transformation et de commercialisations, en deçà du prix de vente "administré", tous laits "confondus". Un imbroglio de taille. À ce propos, Giplait, le groupe le plus important de l'agro industrie laitière nationale, avec ses 17 laiteries et ses 4000 travailleurs semble désarmé devant cette situation. (4). L'état est intervenu pour la débloquer. Pour un certain temps, jusqu'à la "régulation économique"des prix d'importation de cette poudre, par un office nouvellement crée (5) ; ainsi que l'augmentation des salaires des travailleurs. Comme on dit : "deux coups sur la tête, rendent groggy". Heureusement que l'argent du pétrole est là. Jusqu'à quand ? Par conséquent, ce projet émirati est intéressant et, suscite un certain nombre de questions, non pas sur le bien fondé de l'idée elle-même, mais sur les perspectives liées, énoncées par ses promoteurs. Ci après, quelques remarques à ce sujet. A.) Le coût global du projet, est estimé à 100 millions de dollars dit-on. Faramineux. 20 millions pour l'acquisition de bovins et aux frais d'assurances, ainsi que ceux d'installations et, 40 millions de dollars à l'acquisition des terres et autres frais d'études et d'équipements. Il va de soi que ce sont des indicateurs d'ensemble. Les études prévues sont censées détailler toutes les données. Mais on ne fait pas mention des 40 autres millions restants. Une autre source de financement ? B.) Le projet compte être opérationnel, dés le premier trimestre 2008, sans préciser a quel niveau fonctionnel, il s'agit. Les lenteurs administratives, bancaires, douanières, etc., sont des réalités récurrentes dans notre pays. Cinq a six fois plus, que nos voisins maghrébins. C.) La superficie planifiée est de 620 ha, pour accueillir 10.000 têtes de bovidés, soit 0,06 ha en arrondi, (le reste est censé être réservé aux servitudes et autres structures d'exploitations) ; ou encore 600 mètres carrés/tête de bovin. Donc logiquement, c'est un cheptel qui va être affourragé artificiellement lui aussi. A moins d'étendre progressivement la superficie, sur 30.000 ha au moins (3ha minimum, pour une suite bovine, sous nos climats), en irrigué et semi irrigué. Ce qui implique d'autres structures liées (forages, systèmes d'irrigations, etc.). Dans l'immédiat, ce cheptel compte, apparemment, de s'affourrager en foin (pas moins de 200 DA le coût de production d'une botte, de moins 25 kg et, jusqu'à 500 DA son prix d'achat.) et concentrés "nationaux". Et les autres aliments, le vert notamment, pour atteindre les 200.000 litres de lait/jours, prévus ? C'est ce volet, qui est susceptible de rendre ce projet aléatoire, du moins comme énoncé. A moins, que le montant volumineux de l'investissement, va provoquer l'engouement de l'environnement agricole local, pour réorienter son système agricole actuel, à celui de fourrager. En vert et sec, tout en prenant compte, des autres besoins du bétail de la région. C.) Ces mêmes déclarations commentent la situation laitière du pays. Elles avancent que ce projet répond (?) aux besoins nationaux, estimés à 3,3 milliards de litres de lait/an, pour une consommation de l10 litres de lait/an/personne. Nos voisins maghrébins, semblent-ils, consomment moins de lait. (6). Enfin, l'affaire c'est aussi de grands dessins et, prévisions pertinentes. Au vu des grandes lignes de ce projet, nous notons la volonté affichée par ses promoteurs, d'instaurer un "bassin laitier", de 10.000 bovins, d'une seule traite, en milieu steppique. Ca devient vraiment une affaire osée. Une affaire, éminemment de prospectives des principaux choix alimentaires nationaux Avant tout, un territoire est mesurable pour sa richesse, par la volonté et la ténacité de son peuple, à bien l'occuper, le contenir physiquement et, d'avoir le bon sens moral de l'exploiter intensivement et rationnellement. Le reste, ce ne sont que des chiffres et des lettres. Utiles certes, mais souvent hasardeux et interchangeables. Comme on dit, Ils ont aussi leurs humeurs. Et des "traditions", comme chez nous. La preuve. D'après l'universitaire et personnalité connue, assez introduit au domaine agricole, Mr H. Aït Amara (7), notre pays se retrouve tributaire de plusieurs facteurs limitants, dont principalement une sole agricole amoindrie. 0, 26 ha/ tête d'habitant en 2004, jugée insuffisante par rapport à celle de 1900, qui était de 1, 3 ha. Décapant, vraiment. Sans ajouter que l'état d'esprit et, l'effort physique et moral, ont fortement diminué eux aussi, en terme de ruralisme. Et de traditions, notamment hydro agricoles. (8). Mais non chiffrables malheureusement. La comparaison de nos potentialités agronomiques, avec celles de nos voisins, est bien triste. Pourtant, à quelques exceptions prés, on est à la même géographie sauf, qu'on à pas la même perception environnementale. En effet, d'après les statistiques des années 60, notre agriculture était efficace et, représentait 20% du PIB, occupait 55% de la population active et, exportait plus de 1,1 milliards de DA annuellement (vins, agrumes, légumes primeurs, dattes, etc.) soit un tiers des exportations totales du pays ; alors que les importations alimentaires n'étaient que de 0, 7 milliards de DA/an. (9) C'était hier, bien sur. Depuis, on a plus de Mitidja. Au pluriel. Dans ce sens, l'auteur de l'article, insiste fortement sur la sauvegarde de notre patrimoine foncier agricole actuel. Et mieux, le valoriser encore plus. Pour notre avenir alimentaire. Il a merveilleusement ciblé, l'un des défis majeurs du pays. Sincèrement, on ne peut faire mieux. A-t-on collectivement ce même souci ? Peu sûr. "Du droit des peuples de se nourrir eux même". Ainsi est le titre de l'article précité ; une formule significative, a plus d'un titre, qui laisse entendre aussi : "Que ces peuples ont le devoir aussi, qu'ils s'autos suffisent". Et c'est bien dit dans les deux sens. Une protéine sur 3 n'est pas importée. En d'autres termes, l'Algérien est "protéinisé" dans son 2/3, de l'extérieur. A ce niveau de dépendance ainsi atteint, comment on peut "légitimer" ce droit, de se nourrir soi même ? Et ce ne serait pas la faute à l'OMC, malgré ses dédales mercantiles. Un droit ça s'arrache et, surtout, se bonifie en efforts conséquents et vigilants inlassables. C'est un enjeu strictement national, bien que l'autosuffisance alimentaire zéro reste une utopie. En revanche celle de moins en moins est réalisable. Celle du minimum. C'est cette donnée qui est inquiétante, d'autant plus que l'article énumère "que les trois premiers denrées importées a savoir, le blé, le lait et les huiles végétales constituent a eux seuls plus de 65% de nos 2600 calories quotidiennes. (10) Ce qui corrobore au 2/3 protéique. Pour les autres indicateurs, personnellement, je me méfie de nos chiffres et ce, pendant toute une carrière mouvementée, à cause de cela. En revanche, on admet leur fiabilité sur le plan démographique, mal assumée d'ailleurs, au plan de l'occupation déséquilibrée de nos espaces vitaux et, l'indigence de nos terroirs, en termes de décrépitudes des valeurs rurales liées à de nouveaux modes de consommations débridés, dans les deux mondes, urbain et rural. Ces points chiffrables constituent les véritables handicaps, dus à un état d'esprit rentier et immobiliste. Limites naturelles En ce qui concerne nos limites naturelles liées aux potentialités et contraintes existantes, leur face à face reste toujours embrouillé depuis 1962, avec plus de contradictions aujourd'hui. Insuffisamment cernées, elles n'ont jamais fait l'objet d'un débat serein et plus inspiré basé enfin, sur des indicateurs mûrement élaborés et objectivement hiérarchisés. C'est-à-dire, avec une fulgurance sincère, sans des préconçus et les litanies euphoriques. Celles des conjonctures et des convenances corporatistes. A ce titre, le 2e rapport national (Novembre 2005) des pays liés, par la convention mondiale sur la biodiversité, conclue (page 158 du dit rapport) : " Les questions relatives aux objectifs 2010, et a la stratégie mondiale de la conservation des plantes (SMCP) sont trop nombreuses et difficiles a instruire dans le contexte d'un pays en transition aux modestes capacités institutionnelles ". C'est la réponse à la question clairement formulée comme suit : " Veuillez fournir ci-dessous les recommandations pour améliorer le format de ce rapport ". Le dit format est conçu d'une manière subtile, algorithmique et, c'est justement à ce titre que ce format est " difficile " à contourner en terme d'éventuelles contradictions informatives instruites. Malheureusement, en consultant ses différents chapitres sciemment intercalés, on note tout à fait le contraire. Notre pays à une panoplie d'institutions et de programmes liés. Un paradoxe. Cependant, cela ne sous estime nullement les efforts consentis par des cadres scientifiques indiscutablement compétents et hautement qualifiés de par leurs travaux, et recherches largement reconnues. En vérité, ce qui manque le plus c'est la recherche appliquée dans tous ses concepts méthodologiques, notamment les missions pluridisciplinaires de terrain dits de "sacs a dos", aux moyens suffisants et adéquats, et surtout animées par la seule passion du métier. C'est le seul moyen rationnel, pour éviter ces insuffisances regrettables en ce type de connaissances. (11). Ce même rapport fait mention, également, de la régression des nos richesses faunistiques, y compris domestiques, a l'instar des bovidés (espèces importées et variétés locales confondues). L'aveu ainsi formulé, " d'un pays en transition " signalé dans le dit rapport, confirme clairement ce désarroi généralisé, vis-à-vis de nos autres richesses naturelles, qui sont éclipsées par la torche pétrolière, engourdissant ainsi notre état d'esprit, notamment celui des honnêtes volontés scientifiques déprimés, à l'image de ce niveau d'incertitudes, ainsi illustrées dans ce rapport de portée internationale. Et dans bien d'autres. Conclusion On est tous convaincu, que notre devenir alimentaire dépendra uniquement de nous. Et de nos moyens. Il est devenu manifeste aujourd'hui, qu'un projet de société post rentière s'impose de lui-même. Comment ? Par une refondation totale de notre système politico-économique. Les trois révolutions des années 70 ont été un mirage, soutenu par notre génie noir (le pétrole). Les "résultats" moraux qui perdurent, sont bien en deçà du simple bon sens. Ceux ruralo-culturels flottent à ce jour et, semblent bien évanescents. La faute à qui ? A nous tous, aux élites illégitimes, et autres hâbleurs et "pétrologistes". Les réalités de demain seraient plus "voraces" en termes de besoins alimentaires, bien évidemment, malgré ce génie noir et ses gymnastiques fantastiques, mais dangereuses. Comme par le passé. Les enjeux et défis de demain, s'annoncent plus complexifiés pour tous nos enfants. Sans exception. Auront-ils les ressorts nécessaires pour mieux faire ? Il faut l'espérer, tout en cultivant l'esprit d'optimisme. En attendant, ciblons les bons choix stratégiques dans tous les domaines liés à la bonne gouvernance, aussi bien au niveau des élites élues, que celles chargées de la mise en œuvre des mécanismes pertinents, afin de bien exploiter toutes nos potentialités liées aux contraintes, habilement cernées. NOTES (1) "Le plus grand complexe laitier d'Afrique sera construit à Tiaret", rapportait par le Quotidien d'Oran du 05/4/ 2007 ; page 03. (2) Connaissant bien la région, pour y avoir travaillé, pendant plus de cinq ans (64/70) du temps ou elle était rattachée au Dpt de l'ex Titteri (Médéa) ; l'on avait retenu que c'est une région agro-pastorale, bien fournie en parcours fourragers et cultures céréalo-fourragères, liées à l'un des plus importants cheptel ovin, de la steppe centrale du pays. Depuis, les choses ont du certainement, beaucoup changées. (3) Voir notre article "Des bassins laitiers, est ce possible sous nos climats", paru au Q.d'Oran du 29/03/2007 et El Watan du 31/03/ et 01/04/ 2007 ; où il était question d'un projet colonial visant à installer 8 complexes laitiers, de l'ouest à l'est du pays, sur l'hysoyete de plus 500 mm/an, dans les basses et hautes plaines telliennes, où existent des mroudj (pâturages naturels) sur dépressions (Micro impluvium), recueillant les eaux de pluies et de neiges ruisselantes, pendant tout l'hiver-printemps, jusqu'à l'été par des sources phréatiques, jaillissantes, en bonne année pluvieuse. (4) Le Q.d'Oran du 27/03/2007 ; page 03. (5) L'ex ONALAIT qui avait joué, précédemment, ce rôle était plus ou moins conforté par une production nationale conséquente de lait de vaches (60/80) et peu en poudres, liée bien évidemment à tout un système de production et de consommation différent et, une population aux environs de 15 millions d'âme. La poudre de lait était disponible et suffisante. "Sa résurgence" institutionnelle comme imitée sur celle des céréales, doit s'équiper en conséquence, non pas seulement en importateur, mais en stockeur pour anticiper sur les prix, tout en prévenant les risques sanitaires, dues a plusieurs aléas liés aux périodes et, des durées de stockages. (6) 110 l de lait par an et par personne, c'est juste la norme des années 50, bien noté dans notre article précité. Cependant, le mode de consommation était différent. Les gens buvaient beaucoup plus de lait naturel, car disponible en proximité (bovin, caprin, ovin et même camelin). "Et aucun yaourt aux fruits". Aujourd'hui sa consommation est amoindrie, précaire, bien que les besoins soient forts. Pour d'autres raisons. Economique, dont le prix du sachet de lait artificiel. Et Nutritionnel pour "son support" alimentaire, dans la majorité des ménages du pays. (7) l'Article édifiant paru a El Watan du lundi 3/ 4/ 2007. Page 12. (8) Les structures hydro agricoles, dans la steppe agro-pastorale, étaient reconstruites annuellement par des matériaux locaux. Par les agro pasteurs eux-mêmes. Un hydro agriculteur du Hodna des années 40 du siècle dernier, voyant l'eau de la seguia (rigole) du cedd (petit barrage) se rabaisser ; alors sans hésiter, il s'enroule par son burnous et, s'installe dans la seguia pour maintenir le même débit, afin de permettre à ses enfants d'irriguer toute la parcelle. Pendant toute une nuit d'un mois de décembre. Il faut le faire. Il me disait, qu'acheter le pain en leur temps, c'était déshonorant et si l'on achète, on le cachait sous le burnous. Un autre monde. Cachottier, mais moins humilié. (9) Sources citées par Mr Omar Bessaoud, rapporté par le Q.d'Oran du 29/03/ 20.Page 07. (10) Notre article précité en 3, a ciblé le lait et le blé. (Plus de 60 % de nos calories journalières). Pour les huiles végétales, le mode de consommation d'aujourd'hui devient de plus en plus "frite", bien que la patate ne le permet plus comme avant. L'huile d'olive allégée, peut bien servir à ce mode de consommation. Plus calorifique. D'autant plus, qu'on n'exporte pas un litre. Et on en plante beaucoup apparemment. Toute une agro-industrie en perspective. Originelle, à l'image actuelle, du pourtour méditerranéen. (11) En 1966 à l'INA (Institut agronomique d'Alger), lors de la sortie de la première promotion post coloniale, d'une quarantaine d'ingénieurs Agronomes, le défunt Mr Roger Pasquier indétrônable professeur de zoologie agricole et président d'honneur, avait fait un discours dont une phrase, que je retiendrais toute ma vie (j'étais stagiaire prospecteur, de lutte anti-acridienne dans sa chaire). Celle-ci est : " Maintenant, que vous avez vos diplômes, il vous reste que vous pénétriez votre pays. Il est beau et riche". Lui, il l'avait prospecté, d'Alger à Tamanrasset et de Tlemcen a Tébessa. Durant de longues années. Jusqu' sa mort, à Hydra (Alger).