La chanteuse de l'andalou, Beihdja Rahal, revient à Alger pour présenter son seizième album intitulé Poésiades, consacré exclusivement à la poésie féminine. Dans cet entretien, la chanteuse de la musique andalouse nous explique les raisons qui l'ont poussée à réaliser son dernier CD. Rencontre avec cette grande dame de la musique andalouse. Vous avez pour habitude d'enivrer votre public de noubas. Avec ce nouvel album, vous semblez vous démarquer de vos anciennes productions. Effectivement, j'ai l'habitude d'enregistrer des noubas parce que, tout simplement, les modes que j'ai interprétés, jusqu'à présent, forment une nouba complète. Quand on parle de noubas, on parle des cinq mouvements qui les constituent alors que cette fois-ci, dans mon nouvel album intitulé Chi'ryate (Poésiades), j'ai interprété trois modes dits orphelins. On ne peut pas former de noubas avec ces trois modes. On a perdu le m'ceder, le btaîhi et le derdj qui sont les trois premiers mouvements. Il ne nous reste plus que les insirafate et les khlassate. Dans ce CD, il y a donc ces modes incomplets : djarka, ârak et maoual. Votre album se décline, en fait, sous la forme d'un triptyque mode, poésie et femmes. Mon album se base sur trois modes, sur la poésie andalouse et sur trois femmes poétesses, Wallada, Oum Al Hana et Oum Al Ala. Toutefois, je tiens à souligner que ce n'est qu'un pur hasard. Il y a quand même trois sens dans ce titre Chi'ryate, dont la traduction en arabe est moucharabié. Je voulais faire apparaître ce triple sens : poésie, poétesse et moucharabié.J'ai donc interprété cette poésie féminine sous forme d'« istikhbarate ». C'est un hommage à ces trois dames poétesses qui ont révolutionné leur siècle, par leur verve poétique aiguisée et tranchante à la fois. Ce sont des femmes qui ont beaucoup de mérites. Elles ont osé exprimer leurs sentiments à travers une poésie révélatrice à plus d'un titre, alors que de nos jours, il est presque tabou de parler d'amour. A titre d'exemple, Wallada bint Al Moustakfi était la fille du dernier calife omeyyade, en Espagne, Mohamed Al Moustakfi Billah (976-1025), dont le mauvais règne a conduit à la chute de la dynastie omeyyade. Wallada semble n'avoir subi aucune mesure répressive à l'avènement de la dynastie des Bani Jawhar, à Cordoue. Elle a gardé son statut de princesse et a continué comme auparavant à organiser, chez elle, des salons littéraires « Majaliss Al Adab », où se rencontraient poètes, philosophes et artistes. Sa poésie est reconnue aussi fine et douce qu'elle l'était elle-même et ce, d'après les récits historiques. Wallada est restée dans les mémoires pour son histoire tapageuse avec Ibn Zeydoun. Leur liaison avait défrayé la chronique dans la Cordoue du XIe siècle, en l'occurrence à cause de leur séparation brutale et des poèmes d'amour qu'Ibn Zeydoun a continué à lui écrire. Wallada serait décédée vers l'âge de 100 ans en 1091, environ vingt ans après la mort d'Ibn Zeydoun. Vers 1134 et dans la même Cordoue, apparaît le nom d'Oum Al Hana' bint Abdel Haq Ibn Attiya. Elle console dans un poème son père qui devait quitter la ville pour Almeria où il fut désigné au poste de cadi. L'Andalousie était alors réunie sous l'étendard almoravide, mais les poétesses sont encore présentes dans la vie culturelle andaloue. Tout comme l'avait été précédemment Oum Al Ala' bint Youssef Al Hijariya, poétesse du XIe siècle, appelée Al Hijariya, habitant aux abords du fleuve Guadalajara, dans le nord de l'Andalousie. Elle appartenait à la classe moyenne de la société de l'époque mais était fière de ses origines et de sa filiation. Sa poésie était surtout marquée par la description de la beauté de la nature environnante. Ces trois exemples choisis expriment bien l'existence d'une véritable poésie féminine andaloue à travers les siècles de présence musulmane en Espagne. Il est à noter, par ailleurs, que j'ai entamé l'enregistrement de mon CD en février dernier, dans le but de le présenter à l'occasion de la Journée internationale de la femme. Nous avons pris plus de temps que prévu, c'est ce qui explique que le CD est sorti fin mars. C'est un « modeste » hommage que je voulais rendre aux poétesses et aux voix féminines qui existent depuis la nuit des temps. Vous avez effectué un véritable travail de recherche pour exhumer ces textes. J'ai travaillé sur un livre trouvé dans une bibliothèque à Paris. Il existe plusieurs livres en langue arabe sur la poésie féminine. Quand j'ai lu la biographie de ces trois poétesses, j'ai été fascinée par leur niveau intellectuel qui était équivalent à celui des hommes poètes de l'époque. Par exemple, quand je parle d'Oum El Ala', nous constatons que c'était une femme qui a su s'imposer par sa forte personnalité. Elle n'avait pas peur d'écrire sur l'être aimé. Il y avait une certaine liberté dans ses écrits, chose que l'on retrouve très peu de nos jours. Quatre mois après le coup d'envoi de la manifestation « Alger 2007, capitale de la culture arabe », vous n'avez toujours pas été sollicitée pour une éventuelle programmation ? Effectivement, je n'ai pas été contactée. La musique andalouse ne doit pas être représentée uniquement par des associations, mais également par des professionnels. Si l'on invite des orchestres de renommé internationale, il faut leur présenter l'équivalent chez nous. Souvenons-nous des festivals internationaux de musique andalouse que l'Algérie avait organisés en 1966, 1968 et 1972. D'ailleurs, des coffrets, malheureusement introuvables de nos jours, ont été édités à cette époque afin d'immortaliser l'événement. Des projets en perspective ? Je prépare actuellement, avec l'Institut du monde arabe à Paris, un double album qui sortira en juin prochain. Le coffret comporte une nouba mezmoum et une nouba m'djenba. Pour sa promotion, j'animerai un café littéraire le 20 du même mois. Le 8 juillet, je serai accompagnée par l'orchestre philharmonique du Conservatoire de Rouen pour un concert en Allemagne. Avant cela, je serai dans les Hautes-Pyrénées le 3 mai, au festival des musiques sacrées de Fès pour deux concerts les 6 et 7 juin, puis en Gironde le 16 juin.