Ils s'appellent Mehdi, Nacer, Tahar, Rachid… Ils sont ingénieurs, licenciés, techniciens supérieurs ou détenteurs d' autres diplômés. C'est à peine sortis. de l'université qu'ils sont happés par la vie active. Synonymes de passeports pour l'avenir, leurs diplômes ne sont en fin de compte que des bouts de papiers qui ornent le mur du salon familial. Chacun parmi ces jeunes diplômés a sa petite histoire qui l'a poussé à s'improviser « casseur de pierres » ou « creuseur de fouilles ». Si aucune entreprise ne veut les embaucher, étant donné qu'ils n'ont aucune expérience à leur actif, la fonction publique leur a tourné le dos car ils n'ont pas encore satisfait aux obligations du Service national. Pour subvenir à leurs besoins personnels ou à ceux de leurs familles, ils n'ont pas trouvé mieux que de casser des pierres et les vendre par remorques entières. En effet, chaque jour, ces jeunes prennent la route de la montagne pour partir à l'assaut de vastes étendues désertes et des imposants rochers sur lesquels ils semblent extérioriser leur colère à coups de masses et de pioches. Pourtant, ils le font pour gagner leur vie. Qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige ils sont là, armés de leur courage mais non sans le sentiment d'avoir inutilement fait des études. Mehdi, le plus âgé du groupe, diplômé en océanographie, avoue être « parfaitement conscient de l'interdiction d'exercer ce genre d'activité sans autorisation, mais la résignation est loin d'être d'actualité car j'y ai trouvé mon gagne-pain ». Au moment où celui-ci brise des morceaux de rochers, ses compères s'attellent à les tailler. Après quelques heures, ils finissent de former des tas de grosses pierres que des tracteurs se chargent de faire « descendre » jusqu'au village, monnayant 800 DA le chargement. Un autre travail est aussi proposé au sein de l'Emifor : le creusage de fouilles. Cette activité est, elle aussi, investie par beaucoup d'universitaires désirant fuir le stress du chômage même si avec un salaire n'excédant pas les 5000 DA par mois. Avec une moyenne de 30 fouilles qu'ils arrivent à creuser par jour et à raison de 10 DA l'unité, ces jeunes partent vers 8 h à l'assaut des terres arables, pour terminer à midi. Après quatre heures de travail, ils sont plus qu'exténués étant donné la rudesse de la tâche. Rachid, DES en biologie, est loin d'avoir voulu faire ce métier mais une certaine fatalité a fait de lui un spécialiste de la pioche et de la pelle. Après avoir vainement fait le tour de toutes les ambassades que compte notre pays, il est revenu vers cette terre qui a fait de lui un creuseur de fouilles. En fin d'après-midi, ces jeunes se regroupent par grappes pour se raconter leurs « prouesses » du jour. Le propos tourne souvent autour des lendemains pas très enchanteurs et dans l'attente d'un avenir meilleur, tout en espérant garder leur bonne santé car, autrement, ce sera la vraie descente aux enfers. En attendant ces jours meilleurs, nos diplômés ont laissé de côté leurs brevets et leurs titres pour convoquer leur maigre musculature et la mettre au service de ces métiers forcés.