Un essai atypique et étonnant qui propose une relecture du roman de Mouloud Feraoun, Les chemins qui montent, à la lumière de l'éthique journalistique. La Journée mondiale de la liberté de la presse est l'occasion de se pencher et de réfléchir sur la presse et la pratique journalistique. Un petit livre, par son format et son volume (132 p.), vient apporter un regard inédit sur ces questions. Mouloud Feraoun et l'éthique journalistique de Mehenni Akbal (Ed. El Amel, 2007) les traite en effet, selon une approche originale qui lie la littérature à l'information. L'auteur est docteur en bibliothéconomie à l'université d'Alger et diplômé en informatique documentaire et communication homme-machine à celle de Grenoble. Partant du roman Les chemins qui montent, il en décortique la trame et notamment les « faits divers » qui la structurent pour développer son propos sur le journalisme. Dans cette œuvre, écrite de 1953 à 1956 et publiée une année après, l'écrivain racontait comment le personnage principal, Amer n'Amer, était trouvé mort, une balle dans la tête. Suicide ou crime ? Ce mystère apparent sera traité à travers le récit de la vie d'Amer et de ses relations avec son entourage et la société symbolisée ici par son village natal. Dans sa préface, le défunt professeur Mahfoudh Kaddache résume simplement le roman : « Dehbia, une jeune chrétienne amoureuse de la victime. Amer n'Amer, un jeune homme beau, généreux et ouvert sur les autres. Dehbia, convoitée par Mokrane n'Aït Slimane, laid et méchant. La femme de ce dernier, Ouiza, amoureuse d'Amer n'Amer. Ce qui poussa Mokrane à violer Dehbia et à tuer Amer n'Amer. Le frère de Mokrane, garde-champêtre, annonce dans la presse la nouvelle de la mort de Amer n'Amer et conclut au suicide ». C'est cette chronique du garde-champêtre qui clôt en une seule page le roman, qui est au centre de l'essai. Publiée dans la presse, elle est bien accueillie par la population du village qui y trouve une version déformée, mais apaisante et consensuelle, des faits. Dans l'histoire proche d'une tragédie grecque, le mensonge, appuyé par l'hypocrisie collective, vient sauver un honneur factice. Mehenni Akbal se livre à une sorte de contre-enquête, s'inspirant de la criminologie, mais surtout de l'investigation journalistique. Il rappelle au départ combien la lecture de Feraoun l'a marqué en son enfance (lire article dans Arts & Lettres du 22 février 2007) ainsi, plus faiblement, que les bandes dessinées de Tintin (un enquêteur d'ailleurs). Puis, il s'engage sur les pistes du roman, relevant les indices placés par l'écrivain tout au long du roman. Celui-ci avait structuré Les chemins qui montent en trois parties : les faits relatés de l'extérieur, le journal de la victime et la fameuse et courte chronique du garde-champêtre complice de son frère, qui utilise la presse comme support de propagande. Ce faisant, Akbal aborde les « enjeux éthiques du journalisme » à la lumière de la médiologie, discipline fondée par Regis Debray dans les années 1980 et traitant notamment des rapports entre la culture et les techniques et notamment des influences socioculturelles des modes de transmission des textes (imprimerie, internet, etc.). Il donne ainsi un prolongement à son premier essai intitulé Les idées médiologiques chez Feraoun (Ed. ENAG/Dahleb. Alger 2001). Menant l'enquête dans les lignes du roman, il souligne les dangers qui naissent de la confusion entre pouvoir et information (le garde-champêtre représente les deux au village) ainsi que de celle entre les faits et les commentaires qui doivent se distinguer clairement. Il va si loin en la matière qu'il qualifie ces confusions de véritables « incestes ». Sans doute Feraoun ne visait-il pas expressément cette démonstration, mais c'est là le privilège de la pensée – et sa liberté – que de développer ses propres conclusions d'une lecture. Dans ce sens, l'auteur prend la précaution de parler d'une « intuition médiologique » et non d'une intention. Dans la postface, Nassira Belloula, journaliste et écrivain, souligne que Akbal est coutumier des « réflexions inattendues », tandis que le préfacier, Kaddache affirme : « Impertinence ou résultat d'une étude sérieuse et acceptable, est la question que l'on se pose ? » Il finit par laisser au lecteur le soin d'y répondre. L'originalité n'est pas un tord, loin de là et par sa démarche, Mehenni Akbal permet de produire un discours intéressant sur le métier de journaliste. Unpublic large peut en tirer profit et notamment les étudiants en ²sciences de la communication. Pour notre part (et c'est là un commentaire !), quelques exagérations nous ont paru altérer l'originalité et l'intérêt de cet essai, notamment celle où Akbal, s'appuyant sur Regis Debray, affirme : « Les passionnés qui écrivent sont haïssables », voulant ainsi introduire la nécessité de l'objectivité de l'information. Il reste que, sans passion, Feraoun et tant d'autres n'auraient pas écrit et que sans passion de l'objectivité, il est difficile d'y parvenir !