Tamanrasset. Une ville continent où l'on parle toutes les langues. Pourtant, question couverture médiatique, pour une place forte aux portes du Sahel, c'est plutôt le néolithique de la communication. Devant les kiosques à journaux, il y a effectivement des journaux, mais avec au moins deux ou trois éditions de retard. Ainsi, souvent, vous voyez par exemple plusieurs « unes » d'El Khabar, d'Echourouk ou d'El Watan, mais des « unes » décalées, étalées comme des archives de l'actualité. Et c'est 20 DA le canard s'il vous plaît ! « Nous sommes tributaires d'Air Algérie », dit un buraliste, navré. « Durant le Ramadhan 2006, nous sommes restés un mois entier sans journaux », déplore Mohamed Zakaria Zebda, directeur de radio Tamanrasset. Un vrai casse-tête que la disponibilité de la presse écrite ici. « Parfois, il arrive que nous recevions la presse via Ouargla, mais elle traite dans ses pages régionales de l'information des localités de l'est du pays. Il faut une imprimerie à Tamanrasset », insiste Mohamed Zebda. Internet ? N'y pensez même pas. Les rares cybers ouverts pratiquent des prix exorbitants depuis la récente arrivée (au compte-gouttes) de l'ADSL. Tarif : 120 DA l'heure ! A moins de faire votre revue de presse à la vitesse de l'éclair, la facture risque de vous coûter l'équivalent d'au moins cinq journaux. Aussi, la parabole se révèle-t-elle la panacée. Dans les cafés, les douches et, bien entendu, les foyers, la télé est omniprésente. Al Jazeera, Al Arabia et autre Rotana sont là pour combler le vide. Mais il n'y a pas que les chaînes satellitaires. Devant cette « pénurie » de l'information nationale, les radios locales font plus que de la « petite information de proximité » : elles accomplissent un vrai travail d'intégration. Radio Tam présente deux fois par jour une revue de la presse nationale via la Chaîne I et cela permet aux auditeurs de se faire une idée, aussi sommaire soit-elle, des principaux titres de l'actualité. Mitoyenne avec le musée du parc national de l'Ahaggar, radio Tam a été créée le 16 avril 1992, en même temps que radio El Bahdja d'Alger et d'autres radios locales pionnières. Aujourd'hui, le paysage radiophonique compte quelque 32 radios régionales. Abdallah est l'un des deux réalisateurs que compte la radio. Il nous fera une visite guidée des locaux dérisoires de la station : une salle de rédaction, deux studios un peu « rustiques », l'un pour la production, l'autre pour les directs avec, derrière, une régie que cinq techniciens se partagent à tour de rôle et c'est tout. Des nagras sont posés un peu partout, ainsi que des « galettes », comprendre des rouleaux de bande magnétique. La station dispose d'un petit parc de trois véhicules tout-terrain, dont deux qui ont l'âge de la radio elle-même. « Malgré ce manque de moyens, la radio couvre la totalité du vaste territoire de la wilaya de In Guezzam à In Salah », affirme Mohamed Zebda. Radio Tam, faut-il le signaler, émet sur deux fréquences : 98.0 FM et 1161 AM. Elle assure douze heures de diffusion quotidienne, de 7h à 19h, un volume qui va bientôt passer à dix-huit heures d'antenne, soit jusqu'à 1h du matin. Pour ce qui est de la grille des programmes, elle puise largement dans la culture locale. La radio émettait essentiellement en arabe et en targui. Captée par un public hétéroclite où se côtoient plus de 40 nationalités, la radio de l'Ahaggar a vite pris conscience de sa dimension africaine. « Le 13 novembre 2006, nous avons intégré la langue "haoussa" pour cibler la communauté subsaharienne », explique le jeune directeur de 41 ans. Lui qui est à ce poste depuis seulement juillet 2006, venu de radio Ghardaïa, il se félicite déjà de cette nouveauté. « Le "haoussa" est une langue comprise par tous les Africains, plus que le swahili ou le bambara », précise-t-il, avant de lancer : « Je ne suis pas policier ou douanier. Je suis pragmatique. Pour moi, c'est avant tout un public - cible qui est là, qui est visible même s'il vit clandestinement. Il était temps de le prendre en charge médiatiquement plutôt que de le laisser à RFI, à la BBC, à radio Caire ou je ne sais quelle radio libyenne. » C'est ce qui s'appelle « la diplomatie des ondes », semble suggérer notre hôte. « On ne peut prétendre contrer l'action de Kadafi dans la région sans une offensive globale, dont une action médiatique. On ne peut continuer à laisser une population entière manger de la main de l'Algérie et écouter un discours manipulateur diffusé d'ailleurs. Nous avons besoin d'une stratégie d'Etat. Le discours sécuritaire ne règle rien. Si le message de l'Algérie ne passe pas, celui de la Libye lui emboîtera fatalement le pas. Nous sommes aux avant-postes d'une guerre médiatique », dissèque-t-il. Reste que les moyens ne suivent pas. « Ces locaux ne répondent guère aux normes d'une radio moderne », relève M. Zebda, avant d'annoncer : « Nous ambitionnons de construire un nouveau siège qui intégrera un changement de statut pour radio Tamanrasset en vue de lui assurer un rayonnement régional et une audience africaine. » La radio dispose d'un terrain de 3000 m2 qu'elle entend investir avec l'aide du ministère de l'Intérieur et avec le soutien du Fonds du Sud pour un financement conséquent. « Il nous faut moderniser la radio avec l'installation de réseaux intranet et internet avec au final la numérisation », ajoute le sémillant directeur. Pour M. Zebda, tout cela se fera dans un mouvement d'ensemble dont l'aboutissement sera justement ce changement de statut. L'ensemble du projet est estimé à quelque 8 milliards de centimes. D'ici là, Abdallah et sa trentaine de collègues continuent à faire avec les moyens du bord en égayant les taxis de Tam. « Moi, ma fierté c'est quand je passe dans les souks cosmopolites de Tamanrasset et que je vois des étrangers écouter radio Tam », confie Mohamed Zebda d'une voix emplie de passion.