Il y a 136 ans, le 5 mai 1871, tombait au champ d'honneur, El Hadj Mohamed El Mokrani, leader d'une insurrection populaire qui a failli renverser le colonialisme français. C'est le souvenir de ce sacrifice et de cette révolution que l'on a commémoré ce week-end à la Qalâa Nath Abbès, cette forteresse naturelle qui dresse encore aujourd'hui fièrement ses murs séculaires laminés par les bombardements de 1958. Même si les « officiels » n'ont pas été nombreux à s'incliner à la mémoire d'El Mokrani dans le petit cimetière où il repose depuis 1871, les enfants de la Qalâa, ainsi que de nombreux citoyens, sont venus des quatre coins du pays pour rendre hommage à ce personnage illustre mais injustement oublié. L'association El Mokrani a, cette année encore, concocté un programme de festivités culturelles assez dense et qui a pu, pendant trois jours, sortir quelque peu la Qalâa de la léthargie et de l'oubli dans lesquels l'ont plongée les ans et les hommes. Gardien de la mémoire collective, le professeur Djamel Seddik a bien voulu jouer le guide pour les nombreuses personnalités venues en pèlerinage sur ces lieux chargés d'histoire. Il a patiemment expliqué le rôle joué par la Qalâa du jour où elle n'était qu'un fort hammadite gardant le fameux passage des Bibans, à mi-chemin entre l'autre Qalâa, celle des Beni Hammad, et Béjaïa, jusqu'à la guerre de libération nationale. Concernant El Mokrani, c'est, en effet, le 5 mai 1871, vers une heure de l'après-midi, qu'est mort, à Oued Soufflat, près de Bouira, ce dernier représentant d'une aristocratie guerrière qui tenait le pays entre ses mains depuis des siècles. Il était le descendant direct d'une lignée de sultans qui avaient, entre 1510 et 1620, régné sur la Qalâa des Beni Abbès, un royaume né du démembrement hammadide et hafside. Son nom, Mokrani, vient du titre, Amokrane, porté par ses prestigieux aïeux qui ont eu à présider aux destinées de leur peuple. Quelques mois avant sa mort, le bachagha Mokrani avait déclenché une formidable insurrection populaire avec l'aide de cheikh Aheddad, le chef spirituel de la tariqa Rahmania. A eux deux, ils avaient juré de bouter hors du sol d'Algérie l'occupant français mais ce but ne fut atteint que bien des années plus tard par des compatriotes auxquels ils ont largement contribué à insuffler l'idée de résistance. Capitale culturelle et politique autant que pôle économique de grande envergure, la Qalâa des Beni Abbès a été le siège de résistance face aux Espagnols, aux Turcs et aux Français. Si elle a tout perdu de son illustre statut, c'est parce qu'elle a été pillée, incendiée et dévastée par les armées françaises à deux reprises : en 1871 et en 1958. Personne, depuis, ne l'a aidée à renaître de ses cendres. Notons, enfin, qu'il est tout de même assez curieux que les commémorations touchant un personnage historique de l'envergure d'El Mokrani ne bénéficient pas d'une prise en charge officielle et ce au moment où le souvenir de son compagnon, Cheikh Aheddad, fait, et il est heureux de le constater, l'objet d'une attention soutenue de la part des plus hautes autorités de l'Etat ces dernières années. Pourtant, si l'idée d'un Etat algérien s'est perpétuée, c'est grâce à des enclaves comme la Qalâa des Beni Abbès et à des personnages comme El Hadj Mohamed El Mokrani.