Mohamed El Hadi Chérif, dit Mohamed Djenadi, témoin des massacres du 8 mai 1945 à Sétif, raconte : « Militant dans le mouvement des Amis du manifeste et des libertés (AML) de Ferhat Abbas et âgé alors de 22 ans, j'ai été témoin et acteur de ces évènements de ce que d'aucuns qualifient du plus grand massacre de l'histoire de la France contemporaine en temps de paix, et d'autres de bienfaits du colonialisme. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la victoire des alliés contre le nazisme et au vu des résolutions de la charte de l'Atlantique de San Francisco stipulant la libération de tous les peuples, les Algériens avaient l'espoir de voir leur rêve de liberté se réaliser. A la fin du mois d'avril 1945, Chadli Mekki, un responsable du PPA, en route vers la Tunisie, s'est arrêté à Sétif où il a rencontré des responsables locaux du mouvement : Benamira Amar, dit Amar El Djidjeli, et le défunt Mahmoud Guenifi, qui avaient des contacts étroits avec le docteur Lamine Debaghine. Au cours de la rencontre, il a été décidé de la participation à la manifestation à laquelle avait appelé le PCF pour célébrer la journée du 1er mai. Cette manifestation allait être une occasion de clamer les droits du peuple algérien. En effet, durant la marche, les manifestants criaient et exhibaient des banderoles au slogan de Vive l'Algérie libre. Ce qui a mis mal à l'aise les organisateurs et il y eut quelques légers débordements. Le 3 du même mois, des responsables des AML, Hassan Belkhired et Abdelkader Yala, responsables des SMA, se sont réunis et ont décidé de l'organisation d'une marche pacifique le mardi 8 mai. Mardi étant le jour du marché populaire de la ville, souk Ameur, et donc jour de rassemblement populaire. Les tâches et responsabilités ont été partagées entre les organisateurs. J'ai été chargé de fournir les drapeaux des différents Etats alliés et c'est un Anglais du centre d'archives qui me les a prêtés. Restait à prendre en charge l'emblème algérien, c'est un militant du parti, Doumi Tayeb, tailleur au centre-ville, qui s'en chargea. Aucune affiche ni aucun tract n'ont été utiles. Le jour J, jour de marché populaire, les gens affluaient de très loin, des limites même du département. Notre principal souci était la réussite de la manifestation pacifique et tous nos efforts étaient axés sur l'organisation. Nous avions reçu l'aval du sous-préfet. Le 8 au matin, 3000 Algériens étaient au rendez-vous devant la mosquée de Langar. Là, le cortège prit la direction du monument aux morts, hommes, femmes, scouts et écoliers dont l'âge ne dépassait pas les huit ans. Avant de partir, il a été procédé au désarmement des participants à la marche pacifique, couteaux et autres armes blanches, debbouz et bâtons ont été déposés à la mosquée avant le départ de la manifestation. A 8h30, le cortège s'est ébranlé au rythme de chants patriotiques Hayou Echamal, les slogans des banderoles réclamaient la libération et l'émancipation de l'Algérie, la libération des prisonniers politiques et le retour des exilés, à leur tête Messali Hadj. Aïssa Chéraga était le porte-drapeau, un autre portait la gerbe de fleurs destinée au monument. Devant l'hôtel de France, en face du café Martinez, la foule des manifestants est stoppée par un véhicule de couleur noire dont descend le commissaire de police Valère, accompagné de quatre de ses agents. Par des tirs de sommation, ils ont tenté de disperser la foule de manifestants. Dans la bousculade, l'emblème algérien tombe des mains de Chéraga. Un jeune scout musulman s'empressa de le ramasser. Il s'avança fièrement vers le commissaire et lui lança à la figure : « Vive l'Algérie ». Ce dernier ne se retient pas et d'un coup de pistolet abat le jeune Saâl Bouzid. Et ce fut le feu vert. Les policiers se mirent à mitrailler aveuglément la foule. Les manifestants désorientés se dispersent, certains fuient la mort et d'autres veulent poursuivre leur itinéraire vers le monument aux morts et y déposer leur gerbe. Le soir de la même journée, la police, aidée de la gendarmerie et de l'armée, commença les représailles, les arrestations et les perquisitions. Sétif a été encerclée et la population arabe connut les pires exactions, la haine et la vengeance des Français. Beaucoup de Sétifiens furent envoyés dans les camps de concentration et les prisons où ils furent torturés sauvagement et assassinés froidement. »