Le royaume, fondé il y a maintenant 72 ans, presque jour pour jour, par le roi Abdellah Ibn Saoud, se pose pour la première fois des questions de nature existentielle et s'interroge concomitamment sur ses alliances stratégiques. La légitimité de la famille royale saoudienne et de la monarchie elle-même se trouve en effet et pour la première fois remise en cause de l'intérieur et, au mois de mars dernier, les autorités ont procédé à l'incarcération de 13 personnalités appartenant à la mouvance réformatrice et libérale. Si le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, a récemment reconnu que le royaume était confronté à de sérieux problèmes internes, montrant du doigt « le terrorisme », il a omis de préciser que ces « problèmes » ont en réalité pour source première l'alliance stratégique que la monarchie a nouée avec les Etats-Unis d'Amérique, protecteur devant l'Eternel de l'Etat d'Israël. Les Saoudiens ressentent comme une humiliation le fait que l'Administration américaine livre à leur pays les armes les plus sophistiquées - payées au prix fort et rubis sur l'ongle - tout en s'assurant que ces armes ne serviront jamais contre l'Etat hébreu, alors même que ce dernier, possédant l'arme nucléaire, a toute latitude de détruire le royaume. L'histoire des relations entre l'Arabie Saoudite et les Etats-Unis a commencé en fait dès la création du royaume, et ces relations ont, dès le départ, été marquées du sceau de l'équivoque : en échange d'un approvisionnement sécurisé en pétrole, la première démocratie du monde offrait à l'une des dernières grandes monarchies absolues au monde, sa généreuse protection. Une monarchie bâtie sur la charia islamique orthodoxe, dépendante pour sa sécurité, donc sa survie, d'un Etat chrétien qui incarne la principale sinon l'unique garantie de l'Etat d'Israël. Au vrai, l'Administration américaine n'a jamais compris que, pour une part essentielle, la légitimité du royaume, devenu entre temps un géant de la production énergétique mondiale et le premier pourvoyeur des USA en pétrole, repose sur le soutien qu'il apporte à la cause palestinienne. C'est pourquoi, des voix de plus en plus insistantes se font entendre, y compris dans l'enceinte même du palais royal saoudien pour soutenir que l'alliance stratégique qui unit les Etats-Unis à Israël est devenue inacceptable. Récemment, plus exactement le 27 août 2001, un prince saoudien, muni vraisemblablement de l'assentiment du roi, aurait écrit au président George W. Bush, une lettre qui dégage des relents d'ultimatum. L'on retrouve dans cette missive des passages où il est question de « croisée des chemins ». Il y est écrit en substance : « Le temps est venu pour chacun de nos deux pays de considérer ses propres intérêts », et d'ajouter : « Les régimes qui ne respectent pas la volonté de leurs peuples finiront inéluctablement comme celui du shah d'Iran. » L'avertissement est clair, et depuis les attentats du World Trade Center - c'est-à-dire moins d'un mois après l'envoi de cette lettre - les relations entre les deux pays se sont dégradées. De hauts responsables américains, relayés par la presse, ont d'emblée pointé un doigt accusateur vers l'Arabie Saoudite : il a ainsi été affirmé que les attentats avaient été planifiés par Oussama Ben Laden, membre de la famille royale saoudienne, et que, sur les 19 auteurs supposés du détournement des 3 avions ayant provoqué la tragédie, 15 sont d'origine saoudienne. Pour la circonstance, on a aussi découvert et mis en évidence que l'organisation Al Qaîda de Ben Laden était financée par des organisations caritatives agréées par l'Etat saoudien. Conclusion L'Arabie Saoudite est l'ennemi nÞ1 des Etats-Unis d'Amérique, il faut lui confisquer ses puits de pétrole. Officiellement, les Américains se sont gardés d'exprimer un point de vue aussi tranché, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld se contentant d'assurer de manière sibylline que cette position n'était pas celle de « toute » l'Administration. Une manière de suggérer que cette position est défendue par une partie de celle-ci. Depuis que des attaques terroristes ont ciblé l'Arabie Saoudite, la tension qui caractérisait les rapports entre les deux pays a quelque peu baissé. Mais durant toute cette période, le palais royal saoudien aura naturellement suivi avec inquiétude et dans ses infimes méandres les péripéties de la politique extérieure américaine et noté principalement que la question palestinienne comme la question irakienne se trouvent bien loin d'une solution. Et il s'interroge sur l'avenir : l'avenir de la monarchie et celui naturellement du partnersphip stratégique américain. Alors, inévitablement et pour la première fois, il tourne un regard anxieux vers d'autres horizons. Une alternative à l'alliance américaine est-elle possible ? Ce nouveau partenaire géopolitique pourrait bien être l'Europe, mais celle-ci est exigeante sur le chapitre de la démocratie et des droits de l'homme, et elle peine à dégager une politique extérieure commune comme le démontrent assez les divergences de ses membres à propos singulièrement de la Palestine et de l'Irak. Alors, la Chine ? Ce n'est pas le partenaire idéal certes, mais c'est une puissance qui monte. Le géant qui s'éveille est désormais le deuxième gros importateur de pétrole au monde et ses prélèvements de naphte sont une des causes de la montée effrénée des cours du brut. Deuxième argument : la Chine n'est pas un allié stratégique de l'Etat hébreu et c'est une puissance amie des Palestiniens. A Washington et ailleurs, l'on se pose des questions similaires et, à la veille de l'élection présidentielle américaine, il s'agit de savoir si une victoire du démocrate John Kerry qui promet une réduction draconienne de la dépendance de son pays à l'égard du pétrole du Moyen-Orient ne contribuerait pas à précipiter les évolutions, voire les bouleversements supputés dans la donne géopolitique mondiale.