Comme l'Arabie Saoudite, il y a quelques jours, le Maroc s'est réveillé, à son tour, hier, pour constater sa fragilité et ouvrir les yeux enfin sur une réalité inquiétante qui est là, latente, mais présente. Dans les deux royaumes, et au-delà de l'existence d'Al-Qaïda comme “label” international, le terrorisme islamiste a ses origines nationales. Et la nébuleuse de Ben Laden ne fait, depuis des années, que tenter de chapeauter les groupes armés islamistes locaux, au Maroc, en Arabie Saoudite, en Algérie, au Yémen ou ailleurs, dans les autres pays arabes et musulmans. Et dire aujourd'hui que les attentats de Casablanca ou de Riyad portent la signature du “terrorisme international” serait, encore une fois, une tentative de se voiler la face, niant le fait que, pour asphyxier Al-Qaïda, autant commencer par couper les réseaux terroristes internes de toute connexion avec l'organisation de Ben Laden. Durant plus d'une décennie, Rabat et Riyad observaient, avec une passivité certaine, le déroulement sanglant des évènements en Algérie. Et si dans le cas du Maroc, les autorités alaouites se sont gardées officiellement de toute implication dans le drame algérien, hormis la déclaration de feu Hassan II qui espérait voir son voisin algérien servir de laboratoire pour le mouvement islamo-terroriste, il en est tout autrement du royaume saoudien. Epicentre de l'islam radical, fondatrice du wahhabisme, la monarchie des Saoud a emprunté, il y a des décennies maintenant, les chemins de l'expansion idéologique. C'est sous le regard complice des Américains, mais aussi des Anglais, que les autorités saoudiennes ont permis, sinon créé les premières phalanges de l'islam combattant en Afghanistan. Elles ont, aussi, inspiré, endoctriné, financé et mobilisé les premiers groupuscules islamistes radicaux. Le financement en Algérie de la nébuleuse islamiste par les princes saoudiens ne fait plus de doute. Plus loin, les premières “fetwas” rendant licite le massacre des populations et qualifiant d'apostat le régime algérien émanaient de “oulémas” de la Terre Sainte. Et ce n'est pas une surprise que les Saoudiens se réveillent aujourd'hui sous les coups de boutoir des monstres qu'ils ont créés et dont ils ont légitimé l'idéologie. Ce n'est qu'un retour des choses. Comme si la monarchie saoudienne devait, elle aussi, goûter aux “plaisirs” qu'elle a réservés aux autres. Comme si le royaume devait, lui aussi, sentir l'odeur des corps calcinés, entendre les cris désespérés des femmes, voir l'enfer des enfants orphelins et constater l'impuissance des hommes. L'Algérie est passée par-là. Elle a mené son combat sans émouvoir les pays “amis”, outre mesure. Il était dit que ce combat sera solitaire. Il le sera peut-être aussi pour l'Arabie Saoudite. Dans cette monarchie riche, fébrile à l'idéologie archaïque, la lutte contre le terrorisme sera d'une tout autre nature, tant le système lui-même tire sa légitimité d'une approche rétrograde de la religion. Paradoxe, le wahhabisme, inventé pour la domination mais aussi pour servir plus tard à couvrir les méfaits de la monarchie, se transforme, à présent, en idéologie menaçant l'avenir même de la monarchie. Les autorités royales partiront-elles en guerre contre leur doctrine ? Vont-elles renier leurs disciples dans le monde arabo-musulman ? Pire des scénarios : les évènements qui ont secoué l'Arabie Saoudite interviennent à un moment critique dans les relations du royaume avec les Etats-Unis. Le redéploiement militaire américains dans le Golfe et dans d'autres pays comme le Qatar inquiète évidemment le palais royal saoudien. Il n'est, en effet, ni plus ni moins qu'un signe annonciateur d'un début de changement dans les relations entre les deux pays. Un début de lâchage qui laisse entendre que le parapluie américain est en train de se refermer. Le pétrole coulera désormais à flots, pas loin, en Irak que les Américains sont en voie de façonner politiquement. Dans la stratégie américaine, l'Arabie Saoudite a été conçue pour longtemps comme étant une garante de l'énergie et de la stabilité dans la région. Mais, depuis le 11 septembre 2001, le monde a découvert ce que le royaume saoudien peut fabriquer comme monstre. H. B.