Le pays le plus riche de la planète aura à faire face à la contestation au nom de l'Islam. Ni les Mohamed-Salah Uthaymine, ni les Ben Bez, ni les Abdelaziz Al Ec-Cheikh n'ont réussi finalement à apporter au pouvoir saoudien la légitimité théologique ni à asseoir les assises politiques que celui-ci attendait d'eux. Les groupes armés, prônant un «islamisme internationaliste», gagnent du terrain et leur discours fait florès. Ce qui était de simples soubresauts de la part d'une nébuleuse théologico-politique contestataire se révèle, aujourd'hui, être un mouvement d'opposition armée qui, comme une lame de fond, risque de déboulonner le pouvoir même des Al Saoud. Depuis la naissance de l'Etat saoudien, les autorités du pays ont toujours fait porter au pouvoir politique un habillage religieux, synonyme d'une légitimité rarement remise en cause. La connexion des Al Saoud au wahhabisme était à ce point efficace pour interdire toute opposition à la famille dirigeante, qui, en fait, royale donc non démocratique, régnait sans partage. L'affaire de «Johaymane» en 1979 (prise d'otage dans l'enceinte sacrée de la mosquée du Prophète) avait donné un avant-goût de ce que serait l'opposition armée, au nom, justement de cet islam. En 1991 et la guerre irako-américaine avait donné l'occasion à plusieurs ulémas du royaume de contester la politique du roi, Selman El Uda et Safar El Hawali se retrouvent en prison pour avoir provoqué un énorme raz-de-marée de contestation (ces deux hommes vont devenir les stars du GIA algérien, qui réclame leur libération dans plusieurs de ses communiqués en 1994 et 1995). Lorsque Ben Laden, personnage saoudien haut en couleur, prend les choses en main, grâce à la fortune colossale de son père et à l'appui immodéré des Etats-Unis, nous assistons à la fois à l'internationalisation de la contestation violente au nom de l'Islam agressé et à la mise au ban des accusés de la famille au pouvoir en Arabie Saoudite. L'agression américaine contre l'Irak, en deux fois, l'invasion contre l'Afghanistan et la chute des taliban, ainsi que la question palestinienne, constituent la toile de fond, simple, presque simpliste, du discours radical d'Al-Qaîda. Les attentats du 11 septembre 2001, renseignent sur la capacité d'agir tout à fait extraordinaire de cette organisation, partout dans le monde. Le retrait des troupes américaines de la terre d'Arabie, il y a quelques jours, a représenté aux yeux des islamistes, une victoire (posthume?) de Ben Laden sur Washington, car depuis 1995, celui-ci réclamait par le biais du «Front mondial contre les Croisés et les Juifs», le «retrait des mécréants de la terre sainte d'Arabie». Aujourd'hui encore, on ne sait rien du sort de Ben Laden, mais on sait qu'Al-Qaîda fait banco partout dans le vaste monde arabo-musulman. Au Maroc, aux Philippines, en Egypte, au Yémen et en Arabie Saoudite, les groupes armés s'organisent. La première cible : leurs propres régimes qui soumettent les peuples et le pays au diktat de l'Occident néo-croisé. De fait, au Maghreb, au Machrek, dans la Vallée du Nil et les pays du Golfe, la contestation au nom de l'Islam s'accroît et les rangs des groupes armés grossissent chaque jour, à vue d'oeil, à faire peur. A faire peur spécialement les autorités saoudiennes, dont la seule et unique légitimité repose sur le fait que l'Arabie Saoudite est la «terre d'Islam». Mise à mal, cette représentation est désarticulée de plus en plus par l'activisme des groupes armés. Les accrochages survenus ces derniers jours entre forces de l'ordre et fondamentaux, renseignent, on ne peut mieux, sur la précarité d'un islam qui tente de ménager tout le monde. La «gestion des contraires» ne fait plus adhérer les foules et l'Arabie entière se trouve aujourd'hui, ou demain, sur une poudrière.