Le divorce entre la société d'un côté, et la classe politique et le pouvoir de l'autre, est largement consommé selon Zoubir Arous, sociologue, qui voit que les tentatives de « changements contrôlés » ont abouti à une situation préparant à une crise majeure. Quelle est votre lecture des taux importants d'abstention lors des législatives de jeudi dernier ? D'abord, l'opinion publique a une longue et solide expérience face aux processus électoraux et il y a donc un large sentiment populaire que les élections sont de toute manière entachées de fraude. En second lieu, les législatives ont de tout temps été présentées comme l'occasion de régler les problèmes sociaux de la population. On présente le Parlement comme un pouvoir exécutif, on en présente une fausse image. Alors que vu les législatives passées, les électeurs comprennent que cela ne changera rien à leur vécu. Troisièmement, on remarque que les jeunes se sont fortement abstenus de voter, ce qui veut dire que le discours des partis – sclérosé et marqué par la langue de bois – n'a pu les sensibiliser. En résumé, ni le discours basé sur « l'esprit patriotique », ni celui s'appuyant sur le règlement des problèmes sociaux n'ont pu mobiliser. En plus, aucun parti n'a présenté un programme pour les jeunes. L'abstention semble avoir gagné en importance depuis les années 1990... La grande différence avec ce qui s'est passé il y une dizaine d'années est que la société était arrivée à un certain niveau de maturité sociale. Tout au long des années 1990, le pouvoir a cassé la dynamique sociale et a fait entrer la classe politique dans le mensonge autour de la thématique du « changement ». Alors que le pouvoir a consacré l'état de fait, la paralysie totale. Entre temps, personne n'a pris en compte les courants de pensée de la société. Les partis sont devenus un nouveau moyen d'accéder à la rente et à la promotion sociale à travers l'accès au statut de député. Quel rôle a joué le pouvoir dans l'abstention ? Il a la plus grande responsabilité. Le pouvoir a bloqué la dynamique de changement en l'instrumentalisant comme cela lui sied. Les partis ne sont plus des partis politiques mais des sensibilités. Nous sommes revenus en arrière : aux idées réformistes de la fin des années 1980. Aux mêmes idées mais avec des configurations partisanes. Il y a une sorte de volonté de changement contrôlée, orientée pour assurer la domination d'un parti. Le FLN, même s'il a perdu des voix, reste le parti dominant. Car toutes les formations politiques font partie du pouvoir. Les partis islamistes ne représentent pas le projet islamiste comme les partis démocrates ne représentent pas le projet démocrate. Tous font partie d'un état de fait qui prépare à une autre crise comme celle d'octobre 1988. Pourquoi la perspective d'une telle crise ? Parce que les forces de la société civile ont été marginalisées, autant que la classe moyenne ou le sentiment de militantisme. Parce que l'université est paralysée, les syndicats sont loin des préoccupations des travailleurs. Il n'y a plus de forces organisées capables de mener des changements pacifiques. C'est donc la voie ouverte au changement par le chaos.