Esclavagisme et colonialisme. Le Guadeloupéen Emmanuel Gordien, arrière-petit-fils d'esclave, médecin de profession, est tombé dedans tout petit. Il revendique cette histoire heurtée. Emmanuel Gordien est clair : commémorer et rendre hommage aux abolitionnistes, comme la France le fait désormais chaque 10 mai, c'est insuffisant. Lyon : De notre correspondant Il est surtout important de panser les plaies des victimes de l'esclavagisme colonial. Pour Emmanuel Gordien, les deux derniers mots sont importants. Ils confèrent un lien avec la lutte algérienne de libération, dans laquelle les siens ont « puisé de la force », dit-il. « Ce fut une leçon pour les Noirs des départements français d'outre-mer. Beaucoup de jeunes guadeloupéens ont déserté l'armée française au moment de la guerre d'Algérie. On avait créé, à Paris, l'Association générale des étudiants Guadeloupéens qui a amené l'idée nationaliste et qui a donné naissance ensuite à des partis… On a été bafoués dans notre dimension humaine qu'on a déniée à nos ancêtres. L'exemple des peuples en lutte contre le colonialisme, comme le peuple algérien, nous a servi de modèle. » Son grand-père lui parlait du premier Gordien mis en esclavage, à la fin du XVIIIe siècle. Autant dire que cette douleur de la privation de liberté est à hauteur d'homme et qu'elle vibre encore dans toutes les lignées d'esclaves, même affranchis depuis longtemps. Pour Emmanuel Gordien, « les Noirs portent les stigmates. Aux Antilles, nous comptons 213 ans d'esclavage et seulement 159 de liberté ». (...). « Il faut défendre la mémoire des ancêtres qui ont vécu le martyre et réparer les dysfonctionnements au sein des populations brisées par la traite négrière », explique-t-il. Autrement dit, pour le vice-président de l'association CM98, qui a participé récemment à Grenoble à une journée de débat, les mauvais traitements infligés ne sont pas atténués après le paraphe d'un certain Victor Schoelcher au bas d'un parchemin qui abolissait l'esclavage, le 23 mai 1848. « Retirer du calendrier la date du 10 mai, instituée en 2006 par le président Chirac, cela n'aurait pas de sens, mais il faut qu'on dise quelles ont été les difficultés de Schoelcher qui s'est mouillé contre les racistes et a obligé le gouvernement à prendre position. Il faut aussi dire que l'esclavage moderne existe. » Même si depuis la loi Taubira en 2001, l'esclavage est déclaré « crime contre l'humanité », la thérapie reste nécessaire. 63 associations appellent à l'instauration d'une Journée nationale annuelle le 23 mai sur le thème « Ils vécurent l'esclavage, ce sont nos parents. La souffrance était leur quotidien, nous ne pouvons l'oublier. Apprenons à les honorer. » Le président français Nicolas Sarkozy a d'ailleurs fait sur ce sujet une première entorse à son refus de la repentance puisqu'il a déclaré, le 31 mars dernier, qu'il agirait pour instituer cette journée. « La nation, dans son ensemble, peut désormais prendre conscience de ce qu'a été l'esclavage et de l'importance de lutter contre toutes les formes modernes de cette infamie. Mais je sais qu'il y a d'autres dates importantes pour les Domiens (Français des départements d'outre-mer) de métropole concernant la mémoire de l'esclavage, comme par exemple celle du 23 mai. Je saurai, le moment venu, la faire inscrire dans l'histoire. »