Le bâtiment high-tech de l'Opéra de Lyon, œuvre de l'architecte Jean Nouvel (Institut du monde arabe, Musée du Quai Branly…), réalisé en 1993 dans la façade XIXe siècle, imposant par ses volumes intérieurs noirs, s'est trouvé soudain pris dans un foisonnement de couleurs, de rythmes et d'échanges. C'était à douter que, par subite accélération du réchauffement climatique, la Méditerranée ne soit remontée jusqu'aux rivages de la deuxième ville de France qui, discrète en ses sérénités, avance ses pions de cité moderne et ouverte. Du dimanche 13 au vendredi 18 mai, avait lieu l'Acte Trois du programme Noir sur Blanc, initié voilà cinq ans par les associations Gertrude II de Lyon, Chrysalide d'Alger et Les Compagnons de Nedjma de Sétif et qui, entre les actes, a été marqué par de nombreuses rencontres, stages et expériences créatives. Placé sous le thème « La nuit éclaire le jour », la rencontre est venue confirmer la viabilité d'une démarche de codéveloppement culturel et de partenariat artistique durable fondée par ce remuant trio. Soixante intervenants issus à parité des trois villes, et qui, d'ailleurs, ont su attirer un public de divers origines, milieux, sexes et âges, autour d'un programme pluridisciplinaire : théâtre, cinéma, slam, danse (pour les spectacles, voir article ci-après), débats culturels, lectures publiques, stand de livres, expressions plastiques, jusqu'à cette clôture sous forme de gaâda, réunissant spectateurs et acteurs avec force thés, paroles et pâtisseries. L'évènement inauguré par le maire de Lyon, Gérard Collomb, dont l'allocution a souligné l'importance de la découverte de la culture algérienne dans un projet de partenariat global, a bénéficié d'une promotion appréciable. Affichage imprimé et électronique, couverture et annonces dans la presse et les radios locales ainsi que sur la chaîne TLM et bouche-à-oreille intensif, au point que l'amphithéâtre s'est avéré exigu et les réservations difficiles. L'Algérie sous son plus beau jour a titré Lyon-Capitale. Un pont entre trois rives pour Tribune de Lyon. Jusqu'au grand magazine féminin Marie-Claire qui s'est fendu d'une brève élogieuse « pour découvrir l'Algérie ». Les passants, nombreux en ce cœur de ville, ont été interpellés par les interventions plastiques des artistes algériens. Areski Larbi a complètement modifié l'apparence de l'entrée de l'Opéra avec une fresque calligraphique immense, à la fois latine, arabe et tifinagh, reprenant les toponymies de villes et quartiers de Lyon et d'Algérie issues de l'eau. Sous le titre Tira des eaux (tira signifiant écritures en berbère), il a donné à l'espace une dimension vivante, étonnamment intégrée à l'architecture. Dans le hall d'accueil, sur une idée développée à Sétif avec Kamel Souissi, Mustapha Ghedjati a tendu sur près de trente mètres de hauteur des filins habillés de sachets plastiques colorés, plus de 4000 qu'il a lui-même ramenés d'Algérie pour l'anecdote. Intitulée « Toxic Bonbon », cette allégorie écologique s'est traduite par un effet créatif saisissant et un retournement esthétique d'une image lamentable de l'environnement en Algérie. La lecture publique de textes littéraires en arabe et en français a attiré un public connaisseur venu découvrir Abdelwahab Benmansour de Tlemcen, la jeune Randa El Kolli de Sétif, Nass Hassani de Lyon, Bouziane Ben Achour d'Oran, enfin Nassim Kheddouci et Younil d'Alger. Les débats ont suscité un engouement que le temps imparti a quelque peu frustré. « Langues d'Algérie et langues de France » a réuni Mokhtar El Gourari, professeur d'arabe et de cinéma à Lyon, François Zabbal, rédacteur en chef de la revue El Qantara et, venus d'Algérie, M. L. Maougal, universitaire, Zineb Benkherouf et Nassima Methari, psychiatres, Abdelatif Bounab, dramaturge arabophone. Plusieurs quiproquos ou préjugés sur les pratiques linguistiques en Algérie, voire en France, ont pu être levés. « Comment les Algériens font leur cinéma ? » a été animé par les jeunes cinéastes de Chrysalide et Abdellah Zerguine, directeur artistique de l'association lyonnaise Regard Sud. Enfin, « France-Algérie : parcours d'éditeurs » a permis de souligner les similitudes, plutôt rares, et les dissemblances d'un métier de part et d'autre de la Méditerranée. Aux côtés de plusieurs éditeurs français, seul figurait Sofiane Hadjadj (Ed. Barzakh) qui, à partir de son expérience, s'est efforcé de présenter l'ensemble du champ éditorial algérien. Il est à noter que les trois associations ont su s'attirer des soutiens : ville de Lyon, département, région Rhône-Alpes, Opéra, Culture-France, etc. Mais, en raison de la pratique limitée du mécénat en Algérie, plus encourageantes encore sont les contributions de la nouvelle Agence algérienne de rayonnement culturel de la wilaya de Sétif, du Théâtre municipal et du Comité des fêtes de cette ville et même d'entreprises locales. « La nuit éclaire le jour », par l'originalité de sa démarche et son succès public indéniable, a montré aussi que des associations sérieuses pouvaient fédérer leurs initiatives culturelles et gagner le soutien d'institutions diverses. A la clôture, épuisés mais ravis, ses organisateurs commentaient leurs insuffisances dans la perspective du quatrième acte… Dont acte.