Les passionnés d'égyptologie éprouvent une fascination sans limites pour cette civilisation qui n'a pas encore dévoilé tous ses secrets. Le moindre d'entre eux n'est pas celui de percer les secrets d'une architecture, celle en particulier des pyramides, dont le caractère révolutionnaire pose encore nombre de questions aux savants de ce troisième millénaire. Cette période n'a pas suscité que la curiosité scientifique, mais aussi les convoitises de prédateurs qui, à travers les âges, ont pillé systématiquement le patrimoine égyptien en n'hésitant pas à profaner y compris les sépultures des pharaons pour accaparer les ornements qui les accompagnaient dans la mort. Pis encore, les pharaons eux-mêmes n'ont pu échapper à ces pratiques. Ramsès I, pharaon emblématique s'il en fut, a tout simplement été transporté aux Etats-Unis d'Amérique, comme le rapporte un documentaire diffusé sur France 5. C'est une aventure extraordinaire qui commence dans les premières années du XIXe siècle, lorsque le domaine de l'égyptologie subit le contrecoup des conquêtes coloniales et que des explorateurs d'un genre particulier jettent leur dévolu sur les sites les plus représentatifs de la civilisation pharaonique. Le phénomène des profanations de sépulture s'accentue dans la foulée de cette présence massive de ces missions archéologiques dont la motivation réelle était la recherche de l'or des pharaons. Les explorateurs, souvent européens, parvenaient à s'assurer la complicité des populations autochtones très au fait des lieux stratégiques où les pharaons dormaient de leur dernier sommeil. Depuis mille à deux mille ans, toutes les précautions avaient été prises par les plus hautes autorités des empires égyptiens successifs pour soustraire les tombes royales aux prédateurs. Vaines précautions, car des véritables réseaux qui ne reculaient devant rien s'étaient constitués et parvenaient en fin de parcours à déjouer toutes les mesures de protection. La solution adoptée consista à regrouper les sépultures les plus exposées dans un endroit anonyme, en l'occurrence un puits profond dont nul ne pourrait imaginer qu'il hébergeait des pharaons prestigieux. C'est du fond de ce puits que Ramsès I fut extrait au début du XIXe siècle par des Egyptiens et vendu à des étrangers qui le transporteront jusqu'en Amérique, plus précisément dans la ville de Niagara Falls où existait un musée regroupant toutes sortes de collections, un bric-à-brac dans lequel voisinaient des squelettes de dinosaures et des vestiges récents de l'histoire du far-west. Ramsès I entra dans ce musée un peu spécial sans que nul ne sache qui il était et pendant des décennies on ne put déterminer si sa momie était celle d'un homme ou d'une femme. Terrible sort que celui de ce pharaon mis dans une simple cage de verre et montré aux visiteurs comme une espèce d'épouvantail, lui qui avait été le fondateur d'une dynastie de pharaons. Ramsès I, avant d'être élevé à la dignité de pharaon, avait été commandant suprême de l'armée impériale et, à ce titre, il avait été un puissant chef de guerre. A Niagara Falls, il fut, un siècle durant, noyé dans le décorum d'un musée qui, au regard de son bouleversant destin, était celui de l'horreur. Il était devenu ni plus ni moins qu'un objet. Et cela aurait duré encore plus si le hasard n'avait pas conduit des spécialistes de l'égyptologie à Niagara Falls et à son musée où le spectacle de cette momie égyptienne ne pouvait qu'intriguer. Seuls des experts pouvaient décrypter la posture de cette momie et la première observation était qu'il s'agissait d'un personnage de très haut rang de l'antiquité égyptienne. Cette hypothèse était étayée par la position des bras croisés sur la poitrine réservée aux pharaons de certaines dynasties. L'inconnu de Niagara Falls était-il l'un d'entre eux ? Un véritable travail d'investigation commença avec l'aide des nouvelles techniques scientifiques, notamment le recours aux tests d'ADN. Pour tenter d'en savoir plus, il fallait revenir en Egypte où il y avait des vides dans la continuité des dynasties qui avaient régné sur l'empire pendant des millénaires. Parmi les pharaons manquants, il y avait Ramsès I. Se pouvait-il qu'il soit l'inconnu de Niagara Falls ? Pour avoir la réponse, il fallait comparer l'ADN de la momie américaine à celui des descendants de Ramsès I, fort heureusement récupérés par l'Egypte. Et de fait, les résultats furent probants, car l'ADN de la lignée des Ramsès correspondait à celui de la momie de Niagara Falls. Les scientifiques eurent alors la conviction, sinon la preuve que c'était bien Ramsès I qui se trouvait à Niagara Falls. Le musée, en difficulté financière, avait été racheté par des mécènes pour le compte d'une université américaine qui entendait faire de l'énigmatique momie la pièce maîtresse de son département d'égyptologie. Les acquéreurs avaient payé une somme colossale le musée de Niagara Falls, mais elle ne pouvait égaler celle inquantifiable de Ramsès I. La réflexion des nouveaux propriétaires de la momie évolua vers la meilleure piste possible : la place de Ramsès était chez lui et il devait donc être rendu à l'Egypte. Si cet exemple d'une haute teneur morale était suivi, nul doute que c'est toute l'histoire de l'Egypte ancienne que se réapproprieraient les Egyptiens. C'est une question actuelle pour l'égyptologie, mais aussi pour d'autres civilisations mises à mal par la loi du plus fort. La restitution de Ramsès I témoigne de la possibilité pour l'humanité d'écrire une histoire partagée, apaisée, mais surtout juste. Elle n'est hélas qu'une part infime de ce qui devrait être entrepris dans le cadre d'un vaste retour de mémoire aux peuples qui en sont les dépositaires légitimes. L'aventure de Ramsès I, si elle atteste de quelque chose, c'est de l'incidence des violences de l'histoire sur les patrimoine immémoriaux des peuples. Un patrimoine qui est aujourd'hui entre droit d'inventaire et devoir de repentance, au moment où tout un chacun peut relever que nombre de musées d'Europe et d'Amérique sont propriétaires de fonds océaniens, africains ou asiatiques qui attestent que des pans de mémoire ont été, de part en part, spoliés. Cette question marquait l'admirable film de Chadi Abdessalam, La momie, tourné à la fin du XXe siècle par un cinéaste dont l'œuvre relève de l'omniprésence de la mémoire. Est-il défendable moralement que l'on impose aux autres ce que l'on ne saurait accepter pour soi-même ?Qui peut dire que d'autres pharaons, portés disparus, n'ont pas connu un sort comparable à celui de Ramsès I et qu'ils ne sont pas captifs dans quelque sombre remise d'un musée ou d'un antiquaire en attente de bonnes affaires ? En écrivant Sinouhé l'Egyptien, l'auteur finlandais Mikka Waltari avait démontré que la civilisation des pharaons appartenait à l'imaginaire et donc à toute l'humanité. Pour Ramsès I, l'étape de Niagara Falls a été un douloureux intermède de son voyage dans le temps, interminable dans son cas.