Originaire de Boudouaou (Boumerdès), Ahmed Mahsas, né en 1923, est considéré comme une figure historique de la révolution algérienne. Commença dès 1940 à militer au sein du Parti du peuple algérien (PPA) et fut l'un des architectes de la création de l'Organisation spéciale (OS). Il s'évade de la prison de Blida en compagnie de Ben Bella en 1952, après avoir été emprisonné plusieurs fois pour ses activités politiques. Ahmed Mahsas qui est docteur en sociologie a édité un ouvrage sur la révolution algérienne intitulé Le mouvement révolutionnaire en Algérie. ce livre a été traduit récemment en langue arabe et imprimé aux éditions La Casbah. Nous l'avions rencontré à Alger, dans son modeste et exigu appartement, pour nous parler à cœur ouvert de sa vie et son parcours de révolutionnaire. En dépit d'une santé diminuée et d'un âge avancé, Ahmed Mahsas n'a rien perdu de sa verve et de son éloquence. L'homme, qui maîtrise parfaitement la langue de Voltaire et l'arabe, aime discuter et partager son temps avec les autres et il est difficile de l'arrêter lorsqu'il s'élance dans un sujet qui le passionne, surtout si celui-ci est lié à la politique nationale ou à l'histoire de l'Algérie. Il écoute attentivement ses interlocuteurs avant de leur répondre et s'assure qu'il a été parfaitement compris avant de poursuivre la conversation. Ses amis comme ses frères de combat lui manquent terriblement et ses déplacements vers sa ville natale de Boudouaou, où il aime s'entourer de ses vieux copains, sont freinés par la maladie et le poids de l'âge. Mais c'est à Belcourt que le jeune Mahsas entamera son parcours de militant de la cause nationale en compagnie de Mohamed Belouizdad, son fidèle ami et son compagnon d'armes de toujours. C'est dans ce quartier populaire, où Albert Camus a passé une partie de sa jeunesse, que Mahsas fait la découverte de Abane Ramdane, un jeune intellectuel très brillant qui voulait sacrifier ses études pour s'engager dans le mouvement national révolutionnaire. “J'ai appelé tout de suite Lahouel pour lui faire part de cette découverte tout en insistant sur son recrutement et son intégration au parti”, nous fait remarquer l'homme comme s'il attendait qu'on allait aborder ce sujet qui a fait couler beaucoup d'encre ces cinq dernières années. Mahsas semble être mal compris sur la question et bien d'autres encore et avoue que l'occasion ne lui a pas été offerte par les médias qui ont souvent tendance à le fuir alors qu'il est très ouvert et a encore la capacité de les éclairer sur pas mal de zones d'ombre qui entourent encore l'histoire de la révolution. “Je me considère comme un sinistré dans le domaine de l'information et les citoyens qui veulent savoir plus sur l'histoire de ce pays le sont encore davantage”, explique notre interlocuteur qui fait l'éloge, en passant, sur le professionnalisme des journalistes algériens. “C'est dans le débat contradictoire et les échanges d'idées que nous arrivons à construire un pays et lui éviter les violences”, ajoutera-t-il. Il nous relate, ensuite, son expérience dans la profession lorsque, en pleine guerre de Libération, il s'est inscrit sous un faux nom dans un institut de journalisme à Paris où il a affûté ses connaissances sur le métier, considéré à l'époque comme une arme redoutable. Une occasion pour lui de côtoyer les grands reporters de l'époque dont la plupart avaient une fascination pour l'Algérie qui luttait pour son indépendance. Mahsas nous parla longuement de la crise du PPA de 1947, du congrès de la Soummam, de la création de l'OS, en passant par les massacres du 8 Mai 1945. Il soupire à chaque fois que le nom de Belouizdad est évoqué, comme s'il s'agissait d'un parent très proche. Nous avons insisté pour percer ce qui s'apparente à un secret, Mahsas nous fixa droit dans les yeux avant de lâcher : “Belouizdad est pour moi un homme révolutionnaire hors du commun.” Mahsas n'aime pas parler de sa personne, et quand le Comité des fêtes de la ville de Boudouaou a décidé de lui organiser un colloque à la mesure de la figure historique qu'il représente, il était très réticent avant de capituler sous le poids des clameurs de jeunes qui l'ont mis devant le fait accompli en annonçant l'organisation du colloque dans les médias. Lui, qui n'a jamais capitulé ni devant le colonialisme ni devant les responsables qui lui ont demandé un jour de signer “le livre blanc” qui devait compromettre Ben Bella dans sa gestion du pays, a, cette fois-ci, succombé aux “injonctions” des jeunes et moins jeunes de son patelin qui lui ont réservé un accueil très chaleureux que l'homme n'est pas près d'oublier. “Je suis ici chez ma famille, mais je pourrais être à Constantine, Guelma ou Illizi, mon pays c'est partout en Algérie”, a-t-il lancé en direction de nombreux lycéens qui l'acclamaient à sa sortie du Centre culturel de Boudouaou qui s'est avéré trop exigu pour contenir la foule venue à sa rencontre. M. T.