« Penser aux statistiques du tabagisme en Chine est équivalent à penser aux limites de l'espace » (Rothmans, 1992) En 2007, il faut avoir des intérêts dans le process de fabrication et/ou de distribution, être mal informé, sous l'emprise de l'accoutumance, de mauvaise foi, ou carrément insensé pour soutenir sans vergogne que le tabac n'est pas un danger grave pour la santé de l'être humain et une plaie pour la société. Depuis les travaux de Dill et Hill à la fin des années 1940 et au début des années 1950, les preuves scientifiques concernant les multiples conséquences néfastes du tabac pour l'organisme de l'homme se sont accumulées, au point que l'OMS en fait une cible stratégique au niveau mondial et que le tabagisme est considéré comme une maladie. Mais alors, qu'est-ce qui fait qu'un poison soit demandé par autant de personnes, car on imagine mal des individus quémander du curare ou du cyanure ? Avant toute chose, une précision : le tabac dans la société n'est pas affaire du seul médecin. Certes, le tabagisme est considéré comme une maladie par l'OMS, lorsque le mal est fait, que l'addiction est installée, que les conséquences délétères du tabagisme sur la santé sont présentes (cancers, affections cardiaques, vasculaires...), alors, bien évidemment, le médecin est incontournable. Mais cela ne représente que la partie visible de l'iceberg, car pour agir rationnellement et efficacement, il faut intervenir en amont avant la première cigarette ; alors, le rôle de l'équipe soignante ne peut être qu'une sonnette d'alarme (car c'est elle qui reçoit les cancers en fin de vie, les cardiopathes, les bronchiteux chroniques et bien autres pathologies en relation avec le tabac) pour les institutions politiques, administratives et la population en vue d'éviter l'aggravation de ce fléau. Seul l'Etat, à travers ses institutions, est à même de prendre en charge ce problème tant sa complexité est grande et ses implications en termes d'intérêts importants. Le tabac c'est quoi ? Le tabac en lui-même n'est qu'une plante qui nous vient des régions tropicales du continent américain et d'Australie où elle pousse à l'état sauvage. Son arrivée dans nos contrées s'est faite via l'Europe par l'intermédiaire de Christophe Colomb. Cette feuille de tabac sauvage, qui avait des propriétés médicinales et magiques pour les premiers habitants des Amériques, s'est transformée in fine en cadeau empoisonné des populations d'Amérique du sud aux conquistadores. Cela étant, à l'époque, la feuille de tabac naturelle ou travaillée de manière artisanale était loin en termes de nocivité pour l'organisme humain de la machine à tuer qui sort de nos jours des laboratoires des cigarettiers. Les industries du tabac investissent des milliards de dollars dans la recherche et le développement de leur produit dans le but, bien entendu, de le rendre plus attrayant, mais aussi pour contourner les législations de plus en plus contraignantes mises en place dans les pays développés, augmentant ainsi le nombre de fumeurs et par la même occasion leurs bénéfices. Peu de gens savent que parmi les toutes premières multinationales se trouvent les cigarettiers entre pétroliers et diamantaires, c'est dire l'importance des bénéfices engrangés sur le dos des malades. Le produit fini que l'on offre au consommateur est donc actuellement un produit extrêmement élaboré, dans le sens ou tout est mis en jeu pour pouvoir capturer le « client » et surtout le garder le plus longtemps possible. C'est la raison pour laquelle les industries du tabac se tournent vers les adolescents, voire les plus jeunes, car non seulement il faut remplacer les malades et les morts liés au tabac, mais cela permet de garder plus longtemps en main le « client ». Pourquoi fume-t-on ? Le fumeur recherche au travers de sa consommation de cigarettes, outre ses effets hédoniques, une stimulation de ses fonctions intellectuelles, un accroissement de sa capacité de concentration ou encore de relaxation, voire un apaisement en situation de stress. La nicotine va apporter un plaisir sensoriel, une sensation de bien-être, d'euphorie, de stimulation psychomotrice (performance, mémoire) une amélioration de l'humeur et une baisse de l'anxiété. Il faut sept secondes à la nicotine pour atteindre les récepteurs nicotiniques cérébraux. A l'inverse, son manque (qui pousse à fumer) entraîne une baisse de la nicotinémie (taux de nicotine circulant dans le sang) source chez le fumeur d'un mal-être, lié à un ou plusieurs des symptômes tels qu'humeur dépressive, insomnie, irritabilité, frustration, colère, anxiété, difficulté de concentration, agitation, ralentissement du pouls, augmentation de l'appétit et/ou prise de poids rapide L'usage du tabac est influencé par l'environnement social et affectif de l'individu : la dépendance au tabac par sa personnalité, son patrimoine génétique et sa vulnérabilité psychologique. L'initiation au tabac est influencée par la présence de fumeurs dans l'environnement, la pression de l'entourage, la facilité d'obtention de cigarettes auprès d'amis, de parents ou d'autres adultes. Chez certains adolescents, l'initiation précoce au tabac est favorisée par des événements indésirables survenant dans l'enfance, l'existence de troubles mentaux, la consommation d'alcool ou de substances psycho-actives. La dépendance au tabac s'acquiert rapidement, en quelques mois de consommation. L'âge de l'initiation au tabac étant prédicateur d'une future dépendance au tabac, plus l'initiation est précoce, plus le niveau de dépendance est élevé. Période de vulnérabilité, l'adolescence est souvent marquée par l'initiation au tabagisme liée à des troubles psychopathologiques, comportement acquis et renforcé par une dépendance pharmacologique et comportementale liée à la nicotine ainsi qu'au marketing des cigarettiers, en particulier pour qui l'adolescent est une cible privilégiée. Une des caractéristiques importantes de la dépendance tabagique est l'apparente incapacité de cesser sa consommation en dépit de la connaissance des effets néfastes du tabac sur la santé. La dépendance des femmes à l'égard du tabac possède sans doute une composante plus forte que la dépendance des hommes. Elles seraient plus sensibles aux aspects olfactifs et gustatifs de la cigarette qui sont un des axes de recherche prioritaire (avec la lutte contre l'odeur du tabac froid et le jaunissement des phanères) pour l'industrie du tabac. Le fumeur sous l'emprise du tabac sombre dans l'addiction, c'est-à-dire devient incapable de faire autrement, malgré les connaissances que ce n'est bon ni pour sa santé, ni pour sa famille, ni pour la société. La nicotine est tenue pour responsable de cette dépendance qui heureusement ne se développe pas de manière identique chez tous les individus. Ainsi donc, le tabagisme est un comportement entretenu et amplifié par une dépendance pharmacologique, non modifiable par la connaissance des risques qu'il peut entraîner. Pourquoi le tabac est-il un poison ? Il faut savoir que le tabac est une machine à tuer extrêmement complexe, puisqu'on compte pas moins de 4000 produits différents dans sa composition. Sa fabrication est une affaire extrêmement sophistiquée qui demande beaucoup de recherche et d'argent. Si l'on décompose la fumée de cigarette, l'on trouve du monoxyde de carbone (CO), de l'azote, des hydrocarbures, du benzène, du toluène, de l'acroléine et de nombreux autres irritants, ainsi que la nicotine (accoutumance), différents types de goudrons (à l'origine des cancers), des benzopyrenes, des phénols des alcools et beaucoup d'autres produits (dont le polonium, le plomb 210, le cyanure...) tous aussi nocifs les uns que les autres. Cependant, les effets des uns et des autres sont différents. Le mélange de fumée émise directement par la combustion de tabac et de fumée exhalée par les fumeurs, contient de nombreux composés qui sont eux aussi, pharmacologiquement actifs, toxiques, mutagènes et/ou cancérigènes et de puissants irritants entraînant un danger pour la santé des non-fumeurs qui y sont exposés. L'Agence pour la protection de l'environnement des Etats-Unis d'Amérique considère la fumée de tabac dans l'environnement comme une substance cancérogène de classe A. Empêcher quelqu'un de respirer un air pur et l'exposer ainsi à un risque pour sa santé relève à la limite des droits de l'homme, que dire alors des enfants de gros fumeurs. Les cigarettes légères sont un leurre mis au point par les industries du tabac. Elles se définissent par une diminution en goudrons et en nicotine. Dans la réalité, les fumeurs sont tous différents et leur façon de fumer aussi. En fait, ils rechercheront la dose dont ils ont besoin et compenseront le rendement des cigarettes légères par un tabagisme, au total, accru et supérieur. De même qu'il n'y a aucune différence entre cigarettes, pipe, prise, chique. Le tabac est-il réellement un « ennemi public » : tabac et cancer ? Souvent les fumeurs, et parfois même les non-fumeurs, se posent certaines questions et nous interpellent en tant que soignants. Parmi elles, nous en avons choisi arbitrairement deux : est-il prouvé scientifiquement que le tabac soit à l'origine de maladies telles que les cancers du poumon ? Puisqu'il y a actuellement des traitements efficaces, pourquoi s'arrêter de fumer et se priver du plaisir offert par la cigarette, puisque le moment venu avec un traitement adéquat l'on pourra s'arrêter rapidement ? Pour la deuxième question, la réponse est simple, il n'y a actuellement au monde aucun traitement qui seul peut régler tous les problèmes liés au sevrage, même si des progrès semblent être en train de se réaliser dans le domaine. Il s'agit de consultation d'aide au sevrage où le médecin est le pivot essentiel qui, en fonction des patients, proposera telle ou telle stratégie thérapeutique pour l'assister médicalement et lui permettre d'arrêter éventuellement de fumer. Ce qui ne marche pas à tous les coups. En d'autres termes, mieux vaut ne pas commencer à fumer que de le faire pour ensuite rechercher l'assistance d'un médecin pour s'arrêter de fumer. A la première question concernant la responsabilité du tabac dans la genèse de certaines maladies, les chiffres parlent d'eux-mêmes, bien que malheureusement les campagnes de marketing des multinationales qui fabriquent et commercialisent les produits dérivés du tabac dépensent des sommes colossales en milliards de dollars pour polluer la réalité, car vendre un produit qui tue un consommateur sur deux n'est pas aisé. Mais elles peuvent se le permettre dans la mesure où en 2002, les revenus totalisés par les trois plus grandes multinationales du tabac au monde, Japan Tobacco, Philip Morris et BAT, dépassaient 121 milliards de dollars. Ainsi, pour l'OMS, organisme des plus honorables et scientifiquement crédible, 400% de l'ensemble des cancers sont liés au tabagisme, qui est lui-même considéré comme une maladie. On estime que, si rien n'est fait d'ici 2030, le tabac tuera 10 millions de personnes par an, dont 70% dans les pays en développement, où se trouvent 84% de la population mondiale de fumeurs, actuellement estimée à 1,3 milliard de personnes. On sait, scientifiquement, qu'une cigarette, c'est en moyenne six minutes de vie en moins pour un grand nombre de fumeurs, l'individu ne connaissant sa sensibilité personnelle aux différents poisons contenus dans le tabac qu'à la fin du cycle de vie, c'est-à-dire le plus souvent au moment où le cancer, l'infarctus, la paralysie ou l'amputation liée à un problème cardiovasculaire seront présents. La liste des maladies induites par le tabac et les produits intégrés dans la cigarette, le tabac à chiquer, à priser,... est longue. Ainsi, un fumeur aura par exemple 8 fois plus de « chances » de devenir bronchiteux chronique, ou 20 fois plus de « chances » de développer un cancer du poumon qu'un non-fumeur de même sexe et de même âge. 9 cancers du poumon sur 10 sont dus au tabac. Le risque de mourir d'un cancer bronchique peut être multiplié par 56 chez un gros fumeur, la fréquence de survenue d'un cancer augmente avec la quantité de tabac et avec l'inhalation. Car le tabac est un poison cumulatif et c'est se tromper que de penser que l'on peut fumer puisque l'on élimine en faisant du sport. Pour l'American Cancer Society (2001) cité par Ginsberg, le tabac est impliqué dans : 80% des décès par cancers du poumon chez les hommes, 75% des décès par cancers du poumon chez les femmes, 17% des cancers du poumon des non-fumeurs (tabagisme passif), 28% de la mortalité globale par cancer, 40% de tous les cancers. Alors, y a-t-il photo ? Mais il n'y a pas que les cancers bronchiques ; on estime que chez 15 à 20% des fumeurs se développera une broncho-pneumopathie chronique obstructive et que près de 1/5 des cas évolueront ensuite vers l'insuffisance respiratoire. Le risque de mourir d'une bronchite chronique pouvant être multiplié par 66 chez un gros fumeur. De même, il est un des principaux responsables, à court et long termes, des maladies cardio-vasculaires, puisque le risque d'accident vasculaire cérébral est multiplié par 7 chez les gros fumeurs et le risque d'infarctus est multiplié par 8 avant 45 ans. La liste serait très longue si on devait passer en revue toutes les maladies liées au tabagisme. Tous les scientifiques qui se sont intéressés à la question de manière désintéressée (car il y a les autres prêts à tout guidés uniquement par l'appât du gain) le savent : le tabac est un tueur silencieux, mais efficace et il est la principale cause de mort évitable dans le monde selon l'OMS. (A suivre) L'auteur est : Chirurgien thoracique