Une théâtrale par les costumes autant que par le décor, les époques qui se sont succédé du XVe siècle jusqu'au déclenchement de la guerre de libération sont reconstituées avec exactitude : Alger, ses rues et surtout le Palais du dey où se concentrait la vie politique et sociale, reprend vie sous nos yeux ébahis. La peinture des caractères dénote chez l'auteur un don d'observation et une psychologie très poussés. Le talent des 17 comédiens qui tiennent des rôles (certains en accumulent deux ou trois) dans la pièce est immense et contribue de façon non négligeable à son succès. Les ovations qu'ils ont arrachées au public, ce soir, tout au long de leur prestation, ont été largement méritées. Cependant, quelque chose cloche : l'histoire, qui doit servir de toile de fond à une intrigue bien ficelée, prend toute la place. Il n'y a pas d'intrigue du tout. Du coup, les 12 tableaux que comporte la pièce paraissent cousus de fil blanc. On ne passe d'un tableau à un autre que forcé. L'action dramatique qui sous-tend la pièce vient de l'histoire elle-même et non de quelque drame proprement imaginé. Les personnages ne s'affrontent pas et ne s'acheminent pas vers une fin heureuse ou tragique. L'amour entre la princesse italienne et le dey, vers 1550, est factice et ne justifie pas que la belle étrangère renonce à son pays, à sa famille et à sa religion. La scène du harem, où l'on voit les épouses du dey causer tranquillement autour d'une vasque, n'offre aucune scène de jalousie. Pourtant, la princesse italienne a la faveur du maître des lieux. Du coup, on se demande qui est le héros ou les héros de cette pièce qui dure plus d'une heure et demie ? Le dey qui avait la suprématie sur les mers ? La belle princesse italienne qui repousse dédaigneusement la rançon fabuleuse offerte par sa famille pour son retour ? L'inénarrable Cervantès en proie, dans sa geôle à Alger, à des hallucinations causées par le personnage de son futur grand roman Don Quichotte ? Où l'autre dey (nous sommes en 1830) qui soufflète (à peine esquisse-t-il le geste, en fait) le consul Deval donnant ainsi à la France de Charles X le prétexte qu'elle cherchait pour effacer sa dette envers Alger et l'occuper ? A moins que ce ne soit à la fois tout ce beau monde, auquel cas il faudra ajouter les victimes des soulèvements successifs ou simultanés qui nous conduiront jusqu'en 1954, année décisive qui marque la détermination du peuple algérien à en finir avec l'occupation. Encore une fois, l'absence d'intrigue dans cette pièce prive celle-ci de l'intérêt puissant que l'on découvre chez de grands dramaturges comme Corneille, Racine, Voltaire, Victor Hugo ou, plus proche de nous encore, Claudel, lesquels se sont servis de l'histoire pour donner naissance à quelque belle intrigue. A titre de suggestion, par exemple, l'histoire de la princesse italienne aurait gagné en vigueur et en intérêt si, au lieu de la situer au début du XVIe siècle, aurait été placée quelques années plus tôt, avant le fameux coup d'éventail qui allait déclencher les hostilités entre Paris et Alger, quitte à faire comme Alexandre Dumas : violer l'histoire. La belle princesse, déguisée en page accompagnant un fort important personnage, venu en ambassadeur se plaindre par exemple des exactions imposées par les corsaires qui écumaient la Méditerranée aux navires de son pays. Le séjour du plénipotentiaire qui semble céder aux charmes de la ville se prolonge indéfiniment. Ce qui éveille quand même la méfiance du dey qui finit par découvrir en son auguste hôte un espion. Confondu, le prétendu ambassadeur ira croupir en prison. La page, pour lequel le dey a un faible qu'il ne peut expliquer, doit quitter Alger. Alors, la princesse laisse tomber le déguisement et montre ainsi les sentiments qui l'animent envers lui. Ce dernier qui n'arrivait pas à s'expliquer l'étrange attirance qu'il éprouvait sourdement pour le jeune et beau page comprend, soudain, qu'il avait toujours aimé la princesse étrangère. C'est au beau milieu de ces déclarations idylliques que le coup d'éventail tombe, bouleversant les projets des deux amoureux. Le dey est obligé de fuir et la belle princesse est contrainte de retourner toute éplorée dans son pays. Cela supprimerait bien des tableaux superflus comme ceux consacrés aux soulèvements du peuple algérien et réduirait bien des rôles cumulés qui entraînent, dans la pièce, des confusions à cause des visages déjà vus dans d'autres rôles.