Jusqu'au XVIIIe siècle, les navigateurs étaient confrontés à un problème resté insoluble depuis Ptolémée : ils ne savaient pas calculer la longitude en mer. Des siècles de recherches acharnées n'étaient pas venus à bout de cette énigme qui se soldait par une variété de catastrophes. Si les capitaines n'ignoraient rien de la latitude qu'ils pouvaient calculer selon la course du soleil, les secrets de la longitude par contre n'avaient pu être percés. Les astronomes, à la suite de Galilée, estimaient que c'était à eux de résoudre cette énigme. Ils se lancèrent dans des tentatives infructueuses car, à l'évidence, la solution ne résidait pas dans l'observation des mouvements de la lune comme ils en étaient persuadés. Face à une telle impasse scientifique, la cour d'Angleterre décida de créer une commission de la longitude qui s'engagea à attribuer une forte récompense, 20 000 livres de l'époque, à celui qui résoudrait le problème. Cette commission était constituée de sommités dans les disciplines des mathématiques, de l'astronomie et de la physique. Parmi ces personnalités, figurait Isaac Newton (1643-1727) dont l'autorité pluridisciplinaire était incontestable. La promesse de prime parvint jusqu'aux oreilles d'un modeste horloger qui vivait à quelques centaines de kilomètres de Londres. Il s'agissait de John Harrison (1693-1776), issu d'une longue lignée de charpentiers écossais. John Harrison est le personnage central du documentaire d'Axel Engsteld, diffusé sur Arte, qui le présente comme un personnage hors du commun. Dans Et la longitude fut, on découvre en effet que John Harrison, sans avoir jamais étudié la moindre discipline scientifique, était parvenu à la déduction que le problème de la longitude serait résolu par la mesure du temps et donc par la mise au point d'un chronomètre de précision. Lorsque les scientifiques apprirent cette candidature, ils se montrèrent outrés par l'audace de ce petit horloger de province qui avait la prétention de réussir là où eux-mêmes avaient échoué. Aux yeux d'Isaac Newton, une telle candidature ne pouvait pas être considérée comme sérieuse. John Harrison, insensible aux railleries dont il était l'objet, persistait dans l'idée que les capitaines auraient besoin de disposer, en mer, d'un instrument qui leur permettrait de se guider en fonction de la course du temps. En 1736, John Harrison met au point son premier prototype de montre mariene, le H1. Au cours de sa vie, il développera quatre versions de ce prototype, aboutissant avec le H4 à un instrument proche de la perfection puisqu'il n'allait pas au-delà de quelques secondes d'erreurs dans une traversée entre l'Angleterre et les Caraïbes. Cette performance était due au procédé révolutionnaire inventé par John Harrison pour faire fonctionner ses montres marines en intégrant toutes les variations entraînées par le mouvement de la mer d'un point à l'autre du globe tout en restant dans une infime marge d'erreur. Les capitaines devaient pouvoir déterminer le cap à prendre sans se tromper, dans l'évaluation de la longitude, sur le rapport temps-traversée. Mais l'hostilité des membres de la commission de la longitude envers John Harrison était si forte que l'horloger mit des dizaines d'années à faire valoir le bien-fondé de sa découverte qui s'appuyait sur une mécanique concrète et non sur des spéculations célestes. Ce n'est qu'en 1773 que John Harrison reçut enfin le Longitude Act, cette récompense qu'il espérait depuis près d'un demi-siècle consacré à perfectionner une invention qui sauva par la suite nombre de vies humaines. Les choses ont évolué depuis, avec l'arrivée des satellites et du GPS, mais ce sont des inventeurs sortis du rang comme John Harrison qui ont préfiguré les grandes avancées technologiques. C'est par pur instinct altruiste que l'horloger écossais a résolu un problème qui constituait une entrave dans la marche de l'humanité. John Harrison était un surdoué qui avait compris, après des siècles de tatonnement de l'élite scientifique, que pour solutionner un problème, fût-il de navigation en haute mer, il ne fallait pas obligatoirement avoir la tête dans la lune. Héritier d'une longue tradition de charpentiers, John Harrison eut toujours les pieds bien rivés au plancher.