Hassan Abdallah Al Tourabi, leader du Congrès national populaire (CNP), un des principaux partis d'opposition, estime que le Darfour, région de l'ouest du Soudan, a subi une certaine forme de génocide depuis 2003. Mohamed Ali Al Mardhi, pour sa part, ministre de la Justice, dément cette thèse et qualifie de farfelus les chiffres relatifs au nombre de victimes dans cette région. « En 2003, le gouvernement a armé des tribus arabes sahariennes et leur a demandé de s'en prendre aux tribus africaines. Des enfants, particulièrement des garçons, ont été tués et des villages ont été brûlés. Il n'y pas eu forcément de génocide systématique mais je peux dire que beaucoup de crimes ont été commis. Et cela ressemble à un génocide... », a déclaré Hassan Abdallah Al Tourabi, lors d'une rencontre avec des journalistes algériens à sa demeure à Khartoum. « Le Darfour n'a pas connu de génocide. Des membres d'une ethnie n'ont pas tué des membres d'autres ethnies. Les tribus connaissent des conflits entre elles ou parfois dans une même tribu », a relevé, pour sa part, Mohamed Ali Al Mardhi. Le chiffre de 200 000 morts au Darfour, annoncé par les Nations unies et répercuté par les agences de presse, est, selon lui, faux. « Cela fait deux ans et demi qu'ils répètent ce chiffre. Si la situation était comme ils la présentent, ce chiffre aurait sauté à 600 000 ou à un million. Or, ce n'est pas le cas. C'est la preuve que ce qu'ils disent n'est pas vrai », a ajouté le ministre de la Justice qui a annoncé avoir visité le Darfour douze fois. Hassan Al Tourabi est formel : « Le gouvernement a utilisé l'aviation pour bombarder les villages au Darfour ». Existe-t-il des preuves de cela ? « Oui. Un responsable a même dit qu'il ne voulait pas de prisonniers », a-t-il précisé. D'après lui, il y a eu crime contre l'humanité au Darfour. Le leader du CNP est favorable à la traduction de responsables soudanais devant la Cour pénale internationale (CPI). Il rejoint ainsi la position d'un autre opposant, Saddek Al Mahdi, chef du parti Al Oumma. La CPI a lancé un mandat d'arrêt international à l'encontre d'Ahmed Haroun, ministre en charge des Questions humanitaires, et Ali Kouchib, chef de la Défense populaire, soupçonnés d'avoir commis des violations de droits humains. La CPI reproche à Ahmed Haroun d`avoir « organisé et armé » les janjawid. « Ali Haroun a mené des combats au Darfour », a appuyé Hassan Al Tourabi. Lam Akol, ministre des Affaires étrangères du Soudan, lors d'une rencontre avec la presse, a enlevé toute qualité à la CPI de poursuivre des responsables soudanais. Tout comme le ministre de la Justice. « La CPI n'a aucun droit de juger des citoyens soudanais. En tant que pays membre de l'ONU, nous ne reconnaissons que la Cour de justice internationale », a précisé Mohamed Ali Al Mardhi. Le Soudan a signé le Traité de Rome portant création de la CPI mais ne l'a pas ratifié (l'Algérie a adopté la même attitude). « Et tant que nous n'avons pas ratifié, nous n'avons aucune obligation vis-à-vis de la CPI. Cette juridiction intervient en fin de compte qu'en complément des tribunaux nationaux », a-t-il ajouté. Le problème, selon Hassan Al Tourabi, est que la justice soudanaise n'est pas indépendante. « Le régime du militaire Hassan Al Bachir a accordé l'impunité à tous les responsables. Aucun juge n'osera demander des comptes à des ministres, encore moins à ceux impliqués dans le Darfour », a-t-il révélé. D'après le ministre de la Justice, l'immunité est codifiée par des lois. « Et seul le président de la République décide de lever l'immunité », a-t-il indiqué. Il a accusé l'opposition de mensonge à propos de la dépendance de la justice du gouvernement. « En tant que ministre, je n'ai aucun rapport avec les juges. Je ne décide ni de leurs carrières ni de leurs salaires. Ils dépendent du Conseil supérieur de la magistrature dirigé par le doyen de la faculté de droit de l'université de Khartoum », a-t-il précisé. « La voix des armes » Mohamed Ali Al Mardhi a soutenu qu'une commission d'enquête a été créée en 2004 pour situer les responsabilités pénales dans la crise du Darfour. Plusieurs dossiers ont été, selon lui, transférés à la justice et des peines, dont des condamnations à mort, ont été prononcées à l'encontre des éléments des forces armées. Il a reproché à des organisations internationales, telles que Human Rights Watch ou l'International Crisis Group (ICG), de dénaturer les faits et d'amplifier le drame. « Certains m'ont parlé de 94 cas de viol au Darfour. Je leur ai répondu que cela n'avait rien avoir avec les Etats-Unis où on a dénombré 94 890 cas de viol par an ! », a relevé le ministre de la Justice. Hassan Al Tourabi est convaincu que les janjawids « sous-traitent » pour le gouvernement au Darfour. Selon lui, le Darfour est devenue une zone surarmée où des actes de pillage et de brigandage sont régulièrement commis. Il ne croit pas du tout à l'accord de paix d'Abuja (Nigeria) signé par une partie des factions armées du Darfour. « Des paroles en l'air. Pour être visible, Soulimane Ibrahim s'est fait appelé Arko Meni Menaoui. Cela fait beau en Occident... », a ironisé Hassan Al Tourabi. Devenu conseiller du président Omar Al Bachir, Meni Menaoui, ancien chef d'une faction armée, est le seul à avoir signé l'accord d'Abuja en 2006. Il est désigné chef de l'autorité de transition au Darfour. Selon lui, les gens du Darfour se sont inspirés de l'exemple du Sud (où la guerre civile a duré plus de 50 ans) pour prendre les armes et faire entendre leurs voix. « Le pouvoir central et militaire de Hassan Al Bachir a ignoré le Darfour », a-t-il tranché. « Il n'y a pas d'industrie dans cette région. Il y a un manque de routes et d'infrastructures sanitaires. L'enseignement y est faible... », a-t-il ajouté. Il a accusé le pouvoir de ne pas vouloir négocier une sortie de crise au Darfour. Mohamed Ali Al Mardhi a, lui, relevé que la stabilité reviendra au Darfour grâce aux efforts de conciliation intertribales menés par le gouvernement, les notables et les chefs des Touroukia (notamment la Tidjania).