"Je ne peux pas attendre 10 ans. Ou je suis décidé à faire le métro ou je ne le suis pas et je ferme boutique." C'est ce qu'avait déclaré le président Bouteflika lors d'une visite des chantiers du métro d'Alger. L'un des projets les plus vieux d'Algérie devient ainsi une affaire d'Etat, une opération qui doit être réalisée coûte que coûte avant l'expiration du mandat présidentiel. Vous voyez cette excavation verticale, ce sera les escaliers mécaniques qui mèneront aux quais. Il ne nous reste plus qu'à installer le tapis roulant." Sous une chaleur de plomb, sur le chantier de la station de métro du 1er Mai, Ahmed, un ouvrier de Genisider, se démène pour nous expliquer à quoi ressemblera le métro d'Alger. Pour les novices que nous sommes, ce chantier n'est encore que sable et béton, ciment et barres de fer, mais le vieil homme persiste à dire que "le projet avance bien". "Les rails sont déjà là. L'on va bientôt commencer à les installer. Maintenant nous en sommes aux finitions. Si l'on compare ce projet à un homme qui doit s'habiller pour un important évènement, je dirai qu'il en est à nouer sa cravate", indique tout sourire Ahmed. En face du chantier de Genisider se trouve celui de Vinci Construction. Là, l'on voit les ingénieurs courir à toute allure. "Ils se dirigent vers la station de l'Emir Abdelkader, Il paraît qu'il y a d'importantes infiltrations d'eau. Ils y vont pour colmater les brèches", nous dit un ouvrier. Ce genre de problèmes, il y en a jusqu'à 20 par jour. "Nous avons chaque jour 20 à 30 problèmes à régler. Il s'agit surtout de petits détails à régler. Des difficultés inhérentes à l'activité. On ne peut pas mettre tous les détails dans un cahier des charges", nous a expliqué M. Abdelouahab Maza, directeur des systèmes métro à l'EMA (Entreprise du métro d'Alger). Un ouvrier nous raconte les péripéties de ce chantier dans lequel il travaille depuis 1994. Durant toute cette période dans la poussière des chantiers, nous dit-il, il en a connu des misères. "Je me souviens qu'en 1998, il y avait des travailleurs qui mourraient de faim. Craignant de perdre leur emploi, ils n'ont pas osé entamer une grève pour réclamer leurs salaires impayés", raconte-t-il. Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts : l'Etat a déterré le projet, y a injecté d'importantes sommes budgétaires et s'attend à ce qu'il soit prêt dans un délai de 35 mois. "C'est un projet très compliqué de plus de 400 millions d'euros (40 milliards DA). Cela demande une attention particulière, tout le temps, sur tous les détails (génie civil, équipement, télécommunications, signalisation ferroviaire…)", affirme M. Maza. Comme Ahmed, l'ouvrier du 1er Mai, le responsable de l'EMA tente de nous décrire à quoi ressemblera le métro d'Alger. Il indiquera, non sans fierté, que certaines stations ne seront pas couvertes de simples faïences mais de "tôle émaillée", leur donnant ainsi plus d'allure. Le cadre de l'EMA affirme également avoir prévu les problèmes de sécurité et éventuellement de "casse". "Rien n'est parfait dans la vie !" Une virée dans les chantiers du métro d'Alger (même si nous n'avons pas eu droit de visiter les tunnels) révèle néanmoins certaines incohérences. Les chantiers avancent de façon inégale. Alors que les travaux de la station du Ruisseau sont quasiment achevés, l'un des chantiers du 1er Mai, de l'avis de certains travailleurs, piétine encore. L'on impute cela aux “spécifités” de chaque terrain, à l'exiguïté des lieux et à la nature du sol. L'on remarque aussi quelques différences dans les stations. Exemple : alors que le premier chantier du 1er Mai dispose d'escaliers mécaniques, celui d'en face n'a rien prévu de tel. Renseignements pris, l'on nous dit que cela a été "omis" dans les plans de réalisation. Il serait complètement inutile d'insister sur les problèmes que pourrait connaître la réalisation du projet, M. Maza répondra par une formule aussi lapidaire qu'ironique : "Rien n'est parfait dans la vie !" Après tant de retard, les entreprises impliquées dans la réalisation de ce métro semblent obnubilés par les délais. Le responsable de l'EMA estime que même s'il y a "quelques difficultés, les prévisions restent les mêmes". "La première rame sera mise en service le 24 septembre 2008. La ligne s'étend sur 10 kilomètres. Ce sera la toute première ligne, elle fera certainement objet d'extension. En tout et pour tout, 10 stations seront mises en service", assure-t-il. Le fait que ces délais de réalisation soient fixés par l'Etat pour des considérations purement politiques n'arrange guère les choses. Le responsable de l'EMA n'en reste pas moins pragmatique : "Ceci est une question de moyens. La politique fixe les échéances. L'entreprise a juste besoin d'argent pour les réaliser." Il assure que la livraison du métro ne connaîtra pas de retard. "Le projet sera réalisé dans les délais. Cela se fera progressivement, les délais sont peut-être serrés mais ils sont raisonnables pour réaliser ces objectifs", souligne-t-il, ajoutant : “Si l'on signe des contrats pour le fournissement des matériels, cela dénote du fait que le projet avance bien." Pour accélérer le processus, l'EMA travaille parralèlement sur les études et la pose des rails. "Certaines études sont à 99% terminées. Mais en même temps, les rails et faïence sont déjà prêts. Il y d'autres matériaux qui arrivent comme les traverses", indique-t-il. La construction du métro d'Alger entre dans sa phase la plus "délicate", celle de la pose et de la soudure des rails sur un linéaire de 9 km. " C'est un travail de grande précision qui consiste à fusionner à haute température et au millimètre près les rails alignés sur des cubes de béton et devant recevoir des rames se déplaçant à grande vitesse. La pose de câbles électriques et des signalisations devra, elle, se faire parallèlement à la pose des rails, exécutée par une équipe constituée majoritairement de techniciens algériens qui ont reçu une formation spéciale pour la pose et la soudure des rails", affirme-t-on. Avec un rythme de progression estimé à 100 mètres par jour, la pose devrait être achevée au plus tard en février 2008. Le responsable de l'EMA affirme, par ailleurs, qu'il se pourrait qu'il y ait des coûts supplémentaires. Preuve en est, même le bâtiment administratif de l'EMA qui devait faire 3 étages, aura finalement 4 étages. La demande prévisionnelle moyenne de transport par métro est estimée en heure de pointe à 21 000 passagers/heure dans le sens place des Martyrs - Haï El Badr et devrait, à terme, atteindre les 40 000 voyageurs/heure. Le trafic devrait atteindre à terme les 150 millions de voyageurs par an. Des rumeurs selon lesquelles la livraison du métro sera reportée du fait que "beaucoup d'imperfections faites dans les années 80 devraient être révisées" se sont faites très persistantes ces dernières semaines. Contacté, l'un des responsables de Siemens (entreprise leader du consortium qui se charge de la construction du métro) nous a adressé une fin de non recevoir de peur de "froisser" ses clients, les dirigeants de l'EMA. Avec des délais aussi politiques, coïncidant avec la fin du mandat du président Bouteflika et donc l'heure des bilans, le "tout va bien" est très à la mode.