La divine surprise ! Enfin, l'enseignement professionnel arrive en Algérie. Et ce après avoir été consacré un peu partout dans le monde développé, il y a de cela plus de vingt ans. Depuis fort longtemps, ces pays ont saisi toute l'importance de ce type d'enseignement. Dans ces contrées, l'horloge du progrès en sciences de l'éducation n'attend pas le bon vouloir des politiques pour fonctionner. Elle avance à la cadence des recommandations des spécialistes. Loin de toute pression idéologique, l'enseignement professionnel s'est vu octroyé tous les atouts pour se hisser à la même ligne que le secondaire général et technologique. En Algérie, nous en sommes encore à cultiver l'idée que ce type d'enseignement ne saurait être autre chose que de la formation professionnelle assimilée — à tort — à un réceptacle pour déclassés du système scolaire. Quel est le responsable ou citoyen algérien qui admettra sans sourciller qu'un maçon, un cuisinier ou un menuisier — pour ne citer que ces métiers — peut (et doit) posséder une niveau de fin de secondaire ou universitaire ? Personne. C'est que la vieille conception — toute respectable pour son époque — est toujours vivace chez nous. En témoignent les difficultés rencontrées par les promoteurs de l'enseignement professionnel. La fameuse et inévitable licence professionnelle (diplôme universitaire) suscite l'ire de certains esprits ankylosés dans un mandarinat de mauvais aloi. Faut-il encore une fois rafraîchir les mémoires pour saisir les enjeux extraordinaires induits par l'EP ? Aux sources Une chose importante que nous devons admettre : le concept de la formation professionnelle n'est pas né chez nous. C'est en 1947 que furent créés les centres de formation professionnels pour adultes (les CFPA). Leur création répondait au souci de satisfaire aux besoins colossaux en main-d'œuvre qualifiée d'une France dévastée par la guerre. Depuis, la généreuse idée des pionniers a largement évolué. On s'est rendu compte qu'un niveau minimum de connaissances de base était indispensable. C'est ainsi que la fin du collège et puis du secondaire ont remplacé les critères de recrutement des années 1950/1960. A l'époque, il n'était exigé du postulant à la FP que la maîtrise du calcul, de la lecture, voire moins. Chemin faisant, la modernisation technologique a entraîné la hausse des exigences de qualité dans les programmes et les méthodes. C'est dans cet optique que sont nés les lycées professionnels en France. Leurs études sont sanctionnées par le bac professionnel (l'équivalent chez nous du DEP1+DEP2). Parallèlement au système éducatif français, d'autres institutions parallèles mais complémentaires assurent la promotion des métiers. Le diplôme de MOF (Meilleur Ouvrier de France) est un diplôme décerné chaque année à environ 200 spécialités : pâtissier, ébéniste, plombier, maçon etc. Le M.O.F. est reconnu par l'Etat français comme l'équivalent du Bac +2. Un pays comme la Corée du Sud, qui a beaucoup investi dans l'enseignement professionnel, peut s'enorgueillir d'amener 95% d'une classe d'âge aux portes de l'enseignement supérieur. Parmi ces heureux élus, une belle part revient aux diplômés de l'EP. Ainsi, son économie a été boostée au point d'être propulsée dans le gotha mondial des puissances. De plus en plus, à travers le monde, l'EP jouit d'un intérêt grandissant. Il aide à propager au sein de la société la culture de la qualité, de l'exigence du travail soigné. Autant de paramètres constitutifs de sa philosophie qui poussent vers le haut la formation professionnelle et le système scolaire dans son ensemble. Nous sommes loin du discrédit qui le frappe en Algérie. De ces bienfaits qu'en tirent et la société dans son ensemble et le postulant, les spécialistes préconisent une familiarisation précoce avec l'enseignement professionnel. L'orientation décisive Tous les indicateurs tant sociaux qu'éducatifs militent pour une réelle politique nationale de l'orientation/information afin de redorer l'image de l'enseignement professionnelle(EP) et lui conférer ses lettres de noblesse. Des signes concrets viennent confirmer cette nécessité (l'orientation /information précoce). A titre d'exemple, en France une étude récente, réalisée en 2005 par le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq), montre que seuls 4% des titulaires du CAP , BTS ou bac professionnel +2 connaissent le chômage à la sortie de leurs études. Ce qui est loin d'être le cas des diplômés universitaires plombés dans des impasses. C'est dire l'impact de l'enseignement professionnel. Le meilleur plaidoyer reste la mise en place d'une bonne orientation couplée — et c'est vital — à une information intelligemment menée. C'est la seule issue pour revaloriser ses filières aux yeux des parents et des élèves toujours piégés par une vision archaïque. Des indices nous permettent d'espérer quant à cette revalorisation de l'EP. Dorénavant, les critères de passage sont identiques à ceux du secondaire général et technologique. Un élève algérien non admis au lycée ne l'est pas pour l'EP. Il y a des pistes à explorer dans le cadre de la communication préalable à l'orientation. Mettre les collégiens — et pourquoi pas les écoliers du primaire — en contact direct avec les différentes filières et métiers de l'enseignement professionnel. Il s'agit de les en familiariser très tôt pour qu'ils puissent choisir à temps et construire le moment venu leur projet professionnel. Dans cette optique, les centres d'orientation scolaire et professionnels doivent revoir leur copie et se débarrasser de leur approche administrative inefficace. En finir avec le rituel immuable des prospectus distribués de façon anonyme et des « portes ouvertes » le temps d'une échéance administrative à honorer froidement. Qu'est-ce qui empêcherait d'organiser des visites sur chantier ou en usine aux collégiens ou aux écoliers ? Des visites guidées mais bien préparées et commentées en classe. Il n'y a pas de mal à ce que des professionnels viennent en classe entretenir les élèves sur leurs métiers ou sur telle ou telle filière. Fol espoir La bonne nouvelle nous vient des officiels du ministère de l'Enseignement et de la Formation professionnelle. Ils ont décidé de généraliser l'EP après une période expérimentale de deux ans qui vient de connaître un heureux couronnement. La semaine écoulée, l'Algérie a connu un événement important passé sous silence, c'est-à-dire, pas du tout médiatisé à sa juste valeur. Après deux ans d'études postcollège, la première promotion d'étudiants de l'enseignement professionnel a planché sur des épreuves pour décrocher leur diplôme de l'enseignement professionnel du 1er degré (DEP1). Une première dans les annales du système éducatif algérien ! Quelque 630 étudiants, dont 20% de filles, caressent l'espoir de passer au cycle supérieur pour préparer le DEP2 et, pourquoi pas, accéder un jour — dans deux ans — à l'université pour arracher la timbale : la licence professionnelle. A condition que, d'ici là, cette dernière soit instaurée… au bon vouloir de hauts responsables du supérieur. Sinon, ces étudiants auront toujours la possibilité de saisir le président de la République pour faire valoir ce droit universel que veulent leur nier des tenants du mandarinat universitaire… de bas niveau.