L'enseignement universitaire permet à l'étudiant d'acquérir des compétences générales, c'est-à-dire des savoirs et des connaissances dans la discipline qu'il a suivie ; de développer un esprit critique ; de s'initier à la méthodologie ; de pouvoir conceptualiser et formaliser tout en ayant une capacité d'abstraction. Si depuis longtemps l'université donnait un savoir et un savoir-être, il lui est demandé aujourd'hui, et de plus en plus, de donner un savoir-faire. Ce processus qui a pris la dénomination de professionnalisation des formations universitaires, revient donc à dire que l'on rende l'étudiant un professionnel par la formation qu'il suit à l'université. Sur un autre plan, la professionnalisation est également vue comme une garantie, une sorte d'assurance-qualité dans le domaine de la formation : l'étudiant doit être immédiatement opérationnel et sans coût supplémentaire pour l'employeur. L'étudiant est supposé connaître parfaitement, non seulement les aspects techniques du «métier» mais aussi avoir une très bonne connaissance de l'entreprise et du monde des affaires. Il est intéressant de signaler également que ce phénomène semble aussi rattraper le reste des disciplines universitaires qui se prêtent d'ailleurs difficilement à une logique de professionnalisation notamment dans certaines branches des sciences sociales. Eu égard à cette évolution qui touche l'ensemble des pays, quels en sont les enjeux pour nos universités, quel nouveau rôle sont-elles appelées à jouer, quelles sont les difficultés rencontrées et enfin quelles pistes sont à défricher pour les dépasser ? Evolution du rôle que doit jouer l'université… En plus de formations générales, l'université a toujours proposé en réalité des formations «professionnalisantes» : médecins, avocats, ingénieurs, techniciens supérieurs, comptables, etc. L'université donnait un savoir disciplinaire pour aider l'étudiant à trouver un emploi. Aujourd'hui, et quasiment partout dans le monde, l'université doit s'efforcer en outre de lui trouver un travail ou, au minimum, de fournir les meilleurs efforts pour ce faire ! L'efficacité de la formation universitaire a tendance à être mesurée désormais en fonction du nombre d'étudiants placés et ayant trouvé un emploi. Depuis les années 1973 et dans un contexte de crise généralisée, les entreprises devenaient exigeantes et très regardantes sur la qualité de son personnel. La concurrence devenait rude et les marchés difficiles à obtenir. La recherche de nouveaux gains de productivité est lancée tous azimuts : à travers des travailleurs mieux formés et davantage spécialisés ; à travers aussi de nouvelles formes d'organisation ; et dans des cycles d'exploitation en dehors de la sphère traditionnelle de la production, c'est-à-dire dans les domaines de la distribution physique, du marketing, dans les approvisionnements, les transports, le stockage, etc. Une division du travail accrue et une spécialisation pointue dans les entreprises, impliquaient donc de plus en plus des formations professionnalisantes au sein des établissements de formation touchant le palier de l'enseignement supérieur. Cette tendance s'est renforcée davantage dans les années 80, notamment avec l'avènement de l'informatique, et encore plus dans les années qui ont suivi. En effet, dans les années 1990, le mouvement de mondialisation avec l'ouverture des marchés a consacré quasi définitivement l'hégémonie du monde des affaires et la libre concurrence. Les manières de faire dans le monde économique tendaient à devenir universelles. Et pratiquement, on observe une convergence dans l'ensemble des domaines. A ce propos d'ailleurs, en ce qui concerne l'enseignement supérieur, les pays d'Europe ont procédé à une harmonisation des diplômes et des architectures des enseignements (LMD). Cette réforme s'est accompagnée également d'une tendance à la mise en place d'assurance qualité dans les établissements d'enseignements impliquant des chartes qualité, auto-évaluation et évaluations externes. Et la professionnalisation des formations se trouvait au cœur du dispositif. Dans certains pays, la professionnalisation de formations universitaires n'a pas été au départ acceptée. Elle a donné lieu à de grosses polémiques. Professionnalisation des formations supérieures en Algérie Afin que nos universités soient en phase avec les changements observés à l'échelle mondiale et eu égard aux enjeux que cela comporte, les pouvoirs publics algériens ont procédé à des réformes de fond du secteur de l'enseignement supérieur. Les réformes ont porté essentiellement sur les aspects suivants : - la mise en place d'une nouvelle architecture des enseignements (Licence-Master-Doctorat, dite système LMD) ; - le développement d'une démarche qualité et d'assurance-qualité dans les établissements d'enseignement supérieur ; - l'encouragement de la professionnalisation des formations ; - l'ouverture accrue de l'université sur l'environnement socio-économique (formation, recherche, communication, etc.) ; - et enfin favoriser le développement de la coopération internationale. Dans le cadre de la réforme, l'université est ainsi interpellée pour monter des formations à portée professionnelle. Les dispositions réglementaires prévoient que la licence professionnelle (ou le master professionnel) se prépare et se fasse obligatoirement en collaboration avec un partenaire, un professionnel ! Concrètement, il n'est d'ailleurs pas possible de faire habiliter par les instances ce type de licence ou master sans l'association d'un partenaire professionnel qui s'engage formellement. Une rubrique lui est réservée sur le canevas d'habilitation. L'engagement du partenaire professionnel est fondamental pour habiliter, exécuter, et évaluer la formation. L'équipe pédagogique mixte, composée d'enseignants universitaires et des professionnels, prend en charge toutes les phases cruciales ci-après : - l'identification du besoin de formation ; - l'ingénierie pédagogique et confection des programmes ; - la réalisation et l'exécution de la formation ; - l'immersion des étudiants en milieu professionnel ; - l'évaluation et le suivi de la formation. L'équipe pédagogique devrait également procéder à l'évaluation stratégique de la formation, c'est-à-dire assurer le suivi des étudiants sortants et décider de la continuité de la formation, de son rythme, de sa réadaptation ou de son gel. En plus des moyens humains et matériels particulièrement importants, la formation professionnalisante ne peut fonctionner correctement qu'avec les cinq précédentes composantes réunies et opérationnelles. Les difficultés rencontrées dans nos universités concernent, à des degrés différents, l'ensemble des composantes. Il s'agit là d'une première problématique à traiter. Ceci dit, nous avons également d'autres problématiques à traiter. Le problème du DEUA : le stéréotype sociétal Comment dépasser un stéréotype sociétal relatif à la formation universitaire à caractère professionnel ? Il s'agit de l'expérience de la formation DEUA (diplôme des études universitaires appliquées) qui a fait l'objet d'une extinction depuis peu avec l'avènement du LMD. Nous pensons que le DEUA a contribué fortement à la détérioration de l'image de marque de la formation professionnalisante. En effet, la formation DEUA professionnalisante, dite cycle court, se trouve dévalorisée au profit de la formation de cycle long, plus prisée. La formation DEUA, est aux yeux des étudiants, une formation de second rang, une formation par défaut. Les étudiants les moins bons ont été orientés vers ce type de formation, et par voie de conséquence, l'orientation vers le professionnel est vécue comme, un échec ! Les «séquelles» de la formation DEUA étant toujours dans les têtes, les responsables pédagogiques, dans le cadre du LMD, ont effectivement aujourd'hui des difficultés à convaincre les étudiants de l'utilité des formations professionnalisantes. Fonctionnement interne de l'université et interface avec son environnement socio-économique La professionnalisation suppose une connexion assez forte entre l'université et son environnement. Quelles structures doivent prendre en charge cet aspect à l'université ? Et avec quels moyens ? Quelles structures d'interface et d'échange d'informations doivent être créées ? A l'heure actuelle, la structure plutôt en charge, si elle existe selon les organigrammes, ne suffit pas réellement à couvrir les besoins et répondre aux attentes en la matière. Dans le même ordre d'idée, comment régler le problème des stages ? Quels rapports avec le vice-rectorat chargé de la pédagogie ? Avec quels budgets, qui finance ? Il y a là beaucoup de questions qui restent posées et il est nécessaire de réfléchir à de nouveaux dispositifs permettant de réguler l'ensemble et d'encourager aussi les entreprises et les établissements à adhérer à la démarche et à faciliter le séjour des étudiants pour effectuer leur stages, qu'ils soient dans le cadre de formation professionnalisante ou pas. Ingénierie pédagogique et construction des cursus La formation professionnalisante est plus facile à dire qu'à faire. D'un point de vue de confection de programme, il y a toujours des difficultés. Quel est le dosage de l'académique par rapport au professionnel ? Comment est-il possible de faire et tout particulièrement en formation initiale ? Ensuite, comment éviter en même temps de proposer des formations trop spécialisées ou locales qui font que l'étudiant n'a plus de latitude pour changer, se repositionner et évoluer ? Sur le même plan, comment articuler la formation avec la formation continue et la formation professionnalisante? Comment valoriser les acquis professionnels ? Le cadre (ex. étudiant) est appelé à revenir à l'université, car la formation se fait aujourd'hui tout au long de la vie, pour acquérir de nouvelles compétences et l'université doit d'ores et déjà penser des structures organisationnelles innovantes en vue de l'intégration de la formation initiale, continue et en alternance Enfin, se pose également la question de savoir le concept de professionnalisation est valable pour les autres disciplines universitaires qui s'y prêtent moins (les sciences sociales notamment), et si oui, dans quelle mesure et comment. En conclusion, la thématique de la professionnalisation pose un problème de fond du rôle que doit jouer l'université et interroge sa relation avec les utilisateurs de son produit. L'université est appelée à se réformer rapidement et évoluer vers une forme d'organisation nouvelle. Elle est appelée ainsi à dépasser le classique cloisonnement par discipline pour évoluer vers une intégration des savoirs et des savoir-faire interdisciplinaires en développant des formations sur lesquelles interviennent plusieurs départements et facultés. En gros, la réussite de la professionnalisation passe par la création de structures pérennes pour accompagner la réforme à l'université et permettant d'assurer une véritable veille sur l'environnement socio-économique. Plusieurs pistes méritent d'être défrichées 1- Renforcement des structures de l'université par la mise en place d'interface Université/entreprise qui aura pour objectif, outre des préoccupations relevant de la recherche, de faciliter les contacts avec l'environnement socio-économique, de promouvoir les échanges entre les enseignants universitaires et les professionnels, les mettre en contact pour constituer des équipes pédagogiques porteuses de projets de formation, trouver les stages nécessaires pour les étudiants. Cette structure pourrait jouer également le rôle d'un observatoire dédié au suivi des étudiants sortant et de leur devenir après la formation. Cette interface université/entreprise pourrait être rattachée au vice rectorat des relations extérieures, la coopération, de l'animation et la communication et des manifestations scientifiques. Mais, il serait beaucoup plus intéressant de créer, à l'instar de nombreux pays, un nouveau vice-rectorat chargé de l'insertion des étudiants, des stages et des relations avec les entreprises avec 5 à 10 personnes à temps plein, rien que pour cela ! 2- La professionnalisation, c'est aussi aider l'étudiant à créer sa propre entreprise en passant par une maison de l'entrepreneuriat. Tout établissement universitaire devrait avoir sa maison de l'entrepreneuriat ou équivalent pour aider l'étudiant à travers des cours spécifiques de très courte durée, à construire un projet professionnel pour la création ou reprise d'entreprise. 3- Construction de réseau des anciens étudiants de l'université : l'ensemble des anciens étudiants de l'université constitue un vivier de relations que l'université pourrait mettre à profit pour faciliter les échanges et s'introduire plus facilement dans les entreprises et faire une sorte de lobbying. L'université devrait créer ce réseau et préserver le cordon ombilical en impliquant les anciens étudiants en poste de responsabilité dans des rencontres annuelles et diverses cérémonies universitaires. Ce lien favorisera, au moins et entre autres, le placement en stage des étudiants en formation. F. B. * Farès Boubakour est professeur d'économie à l'université de Batna et assure les charges de responsable du master : Economie des transports et logistique, directeur du laboratoire Management-Transport-Logistique, directeur de l'école doctorale Economie appliquée et management des organisations et conseiller chargé des relations internationales auprès du recteur de l'université.