Une lectrice a réagi passionnément à l'article intitulé Université et littératures (du 21 juin 2007), en se focalisant sur le terme « zérolingue ». Voici ce que nous écrit Naziha Benbachir : « Etant une fidèle du supplément Arts & Lettres, je n'ai pas apprécié le "zérolinguisme" de l'enseignant universitaire ! Pourquoi stigmatiser nos enfants qui ont été dépossédés de l'arabe, d'abord, avec la conquête coloniale, ensuite ni arabe ni français, et, maintenant, plus rien ! Mais devait-il aller aussi loin votre chroniqueur "zérolinguiste" ? Les Algériens jouissent d'un énorme capital linguistique qui a été anéanti des années durant. Mais, est-ce la faute de nos enfants s'ils ne maîtrisent aucune langue ? Est-ce leur faute s'ils ne peuvent ni bien lire, ni bien écrire, ni bien parler ? Qu'il nous donne sa solution miracle ! Moi-même, je suis une victime de l'école fondamentale arabisée. J'en veux au système. Le temps est à l'action, Monsieur Saïd Khatibi. Cordialement. » Son ressentiment spontané est bien compréhensible. Cependant, nous lui signalons que Saïd Khatibi, lui-même universitaire à M'sila, citait un collègue de Tizi Ouzou. Par ailleurs, il précisait que l'auteur de ce mot le disait « le cœur gros », c'est-à-dire avec autant de tristesse et de consternation que notre lectrice qui exprime, avec d'autres mots exactement, la même chose que ce néologisme de « zérolingue » se proposait d'exprimer. Il est, parfois, dur de mettre un nom sur une chose. Mais qu'est-ce qui est douloureux ? Le nom ou la chose qu'il désigne ? Commencer à désigner un mal, c'est-à-dire l'identifier et le reconnaître, est déjà une étape précieuse pour qui veut le guérir. Bien sûr, le mal est si profond que celui qui en est victime peut s'en sentir coupable et, en l'occurrence, croire que c'est lui qui est traité de zéro. Ce n'était, assurément, pas le dessein de l'inventeur de ce mot (sinon le repreneur, car il circulait déjà), sachant qu'il se consacre justement à l'enseignement, comme tant d'universitaires qui se voient obligés de donner des cours de langue quand ils ont été formés à enseigner des spécialités. Et cela, dans des conditions qui sont loin d'être aisées et lorsque nombre d'entre eux, parfois au prix de leur vie privée, ont renoncé à embrasser des carrières plus rémunérées en entreprise ou à s'expatrier. Notre chère lectrice en veut au système. Eux aussi sans doute car, étudiants comme enseignants en sont les victimes. Et, de même, le pays qui se trouve dans l'impossibilité de former des cadres de haut niveau pour ne pas parler d'élite. Il est significatif, d'ailleurs, qu'après 45 années d'indépendance (aujourd'hui), nos faiblesses en langue arabe sont encore mises sur le dos de la colonisation. La contribution de Saïd Khatibi mettait, justement, l'accent sur la nécessité de donner aux « lettres » un statut plus important à l'université et ce dans toutes les disciplines. Il écrivait notamment : « Aujourd'hui, la faculté linguistique chez l'étudiant algérien pose maintes questions. A vrai dire, il se retrouve dans l'impasse, comme privé de sa propre identité. Il communique en plusieurs langues mais n'en maîtrise aucune. C'est un étudiant qui n'est pas vraiment arabophone ni francophone, ni tamazighophone. ». La maîtrise linguistique étant indispensable à l'acquisition de n'importe quel savoir, il est sûr aussi qu'elle doit commencer à l'école. D'où notre souci de donner la parole, comme nous le faisons régulièrement, à des spécialistes de ce domaine. Merci, enfin, à notre lectrice d'avoir pour sa part inventé le terme amusant de « zérolinguiste » mais, surtout, d'avoir souligné le revers personnellement dramatique d'un problème majeur de notre société qui n'épargne personne.