M. Eduardo Roldan, ambassadeur du Mexique en Algérie, Libye, Mauritanie et Tunisie, a bien voulu répondre aux questions portant sur les relations économiques entre nos deux pays, la situation politique et économique qui prévaut au Mexique et en Amérique latine, l'épineux problème de l'émigration mexicaine en direction des Etats-Unis d'Amérique, les conséquences de la déferlante socialiste qui a touché tous les pays limitrophes et les perspectives du gouvernement mexicain en matière de développement économique et social. Commençons, si vous le voulez bien, par présenter à nos lecteurs le Mexique, ce grand pays dont ils ne connaissent malheureusement pas grand-chose. Le Mexique est la 12e économie mondiale. C'est une économie très diversifiée qui va de la production de pétrole et de gaz en passant par la pétrochimie, l'industrie agroalimentaire et le tourisme. Pour ce qui est du tourisme, il faut savoir que le Mexique, riche d'une civilisation plusieurs fois millénaires, est une des plus importantes destinations touristiques au monde. Il accueille pas moins de 65 millions de visiteurs par an, ce qui lui rapporte environ 12 milliards de dollars annuellement. Nous n'oublierons pas les transferts de nos émigrés, essentiellement aux Etats-Unis d'Amérique, qui rapportent chaque année environ 25 milliards de dollars, soit la seconde recette après celle des hydrocarbures. Les indicateurs macroéconomiques comme l'inflation, la balance commerciale, la balance des paiements, les réserves de changes (70 milliards de dollars) sont au vert et la croissance économique (3,5%) forte et durable. Si le Mexique parvient à maintenir et, encore mieux, à renforcer cet élan, l'économie mexicaine devrait, selon l'analyse du président d'une des plus grandes banques espagnoles, se hisser au 4e rang mondial à l'horizon 2040. L'économie mexicaine est sans doute l'une des plus ouverteq au monde avec, à la clé, la signature d'accords de libre-échange avec pas moins de 43 pays. Avec les pays voisins, les échanges sont intenses. Enfin, le Mexique est comme vous le savez membre, avec les USA et le Canada, de la grande zone de libre-échange Alena (1994). Les échanges entre le Mexique et son puissant voisin américain s'élèvent, à eux seuls, à plus de 500 milliards de dollars par an. Avec l'Algérie les échanges commerciaux sont plutôt faibles. C'est vrai. Les échanges économiques entre nos deux pays ne dépassent guère 500 millions de dollars. Mais sur le plan politique et culturel, les relations sont autrement plus importantes. Elles sont marquées par la visite du président Echeveria en 1975 qui a eu des entretiens avec le défunt président Houari Boumediene, puis celle plus récente (2005) de l'ex-Président Fox invité du président Bouteflika. Un certain nombre d'accords parmi lesquels la suppression des visas pour les détenteurs de passeports diplomatiques et officiels, l'échange d'expérience en matière d'industrie d'hydrocarbures qui commencent à donner des résultats. La visite qu'effectuera le président Bouteflika au Mexique à une date qui n'est pas encore fixée fera avancer encore plus la coopération entre nos deux pays. Sachez également qu'une délégation de sénateurs mexicains, conduite par le vice-président du Sénat, se rendra la semaine prochaine à Alger pour renforcer les relations d'amitié et de coopération entre les parlements de nos deux pays. Les hommes d'affaires mexicains sont en outre présents en Algérie. Des accords de partenariat dans les industries du ciment et de l'agroalimentaire sont sur le point d'être concrétisés. Après la première conférence des pays producteurs de pétrole d'Afrique et d'Amérique latine qui s'est tenue en 2005 à Alger, la seconde rencontre se tiendra en mars 2008 à Mexico. Au cours de cette réunion d'envergure mondiale seront débattus les problèmes majeurs de l'industrie des hydrocarbures. Pour ce qui est des échanges purement, ils sont à un niveau que nous jugeons trop faible par rapport aux potentiels de nos deux pays. Le Mexique achète chaque année à l'Algérie pour environ 200 millions de dollars de gaz naturel qui vient en appoint à notre propre production. Le Mexique exporte vers l'Algérie essentiellement des produits céréaliers (blés, légumes secs), du lait, du sucre et autres produits agroalimentaires. Nous ne ménageons évidemment pas nos efforts pour donner davantage d'ampleur à ce courant d'affaires promis, nous en sommes convaincus, à un bel avenir. Nous n'oublions pas la culture pour laquelle nous donnons une grande importance car elle contribue à rapprocher les peuples. Plusieurs expositions du très riche art mexicain ont déjà été organisées, et cette année, nous comptons organiser, avec la collaboration de la radio et de la télévision algériennes, la deuxième semaine culturelle et la fête nationale mexicaine qui seront transmises en France, au Canada et à Chicago. La semaine culturelle commencera le 28 août et la fête nationale le 2 septembre prochains. Le Mexique est pratiquement le seul pays de l'Amérique latine à avoir échappé à la déferlante socialiste qui a touché le Venezuela, le Brésil, l'Urugay, la Colombie, la Bolivie et autres pays voisins. les relations économiques avec ces Etats ont-elles été affectées ? Nous respectons la volonté de tous les peuples. C'est cela la démocratie Les relations politiques, économiques, voire sociales entre pays voisins sont excellentes et les échanges n'ont jamais été aussi fructueux. Est-ce à dire que l'actuel gouvernement que l'on qualifie de droite va s'enfermer davantage, comme le redoute l'opposition, dans un système ultralibéral qui fait peu cas du social ? Bien au contraire, le programme économique de l'actuel gouvernement fait la part belle au social. Il projette, entre autres, d'améliorer la qualité des prestations de santé publique, de rendre le système éducatif accessible au plus grand nombre. Beaucoup de choses seront faites pour que l'effort de construction de logements profite aux couches de population les plus pauvres. Nous avons il est vrai pas moins de 20 millions de Mexicains vivant sous le seuil de pauvreté. Le Président a eu le mérite de le reconnaître et de faire du recul de cette pauvreté un de ses principaux défis. Comment se fait-il qu'un pays économiquement aussi développé que le Mexique (12e économie mondiale) soit aujourd'hui encore un pays d'émigration ? Le gouvernement vise sur le retour d'une croissance forte et durable pour freiner ce phénomène dû, en grande partie, à l'instabilité et aux mauvais résultats de l'économie mexicaine. Le potentiel de croissance est aujourd'hui très grand et le gouvernement a mis en oeuvre une stratégie visant la promotion économique et sociale. De nombreux emplois sont en train d'être créés sans que cela n'altère en rien la productivité du travail. Mais il faut que vous sachiez qu'il y a aujourd'hui plus de 35 millions d'émigrés d'origine mexicaine aux USA, parmi lesquels seuls 10 millions ont la nationalité mexicaine, les autres étant citoyens américains de seconde, voire de troisième génération. C'est une communauté extrêmement active dont environ 1,5 million d'entreprises créées par des Mexicains contribuent significativement au développement de l'économie américaine. Le pouvoir d'achat injecté par cette communauté dans l'économie américaine représente quelques 500 milliards de dollars. C'est dire son importance pour la santé de l'économie américaines. Chaque jour, ce sont plus d'un million de Mexicains et Américains qui traversent, pas seulement pour des raisons économiques, mais pour des raisons historiques, humaines et culturelles, la frontière longue de 3000 kilomètres qui sépare les deux pays. Et ce n'est pas un mur, comme celui que projettent de construire les Etats-Unis, qui pourra faire efficacement barrage à ce courant d'échange humain forgé par l'histoire commune des pays riverains. Tous les murs édifiés dans cet esprit à travers le mode se sont avérés, comme vous le savez, inefficaces. De notre point de vue, ce mur ne fera que renforcer l'émigration clandestine mais, pire encore, compromettre le développement de notre pays et accentuer la pauvreté qui est la cause principale de l'émigration. Le gouvernement mexicain, qui déplore cette grave erreur du Sénat américain, prendra toutes ses dispositions pour protéger sa communauté émigrée aux Etats-Unis.