Première femme noire journaliste de la Côte-Ouest des Etats-Unis, Belva Davis, 72 ans, traîne derrière elle quarante ans de métier l Elle a fait parler les plus grandes personnalités telles que les présidents Nixon, Kennedy ou Martin Luther King, Malcom X ou encore les chefs du Klu Klux Klan l Dans cet entretien qu'elle nous a accordé, elle parle des élections dans son pays et de la peur qui y règne depuis les attentats du 11 septembre. En quoi ces élections sont-elles particulières pour l'Amérique ? Nous n'avons jamais vu le type de cruautés que nous voyons cette année à l'occasion des élections. Nous n'avions jamais entendu auparavant un candidat à l'élection formuler des paroles aussi dures pour faire peur aux électeurs et leur inculquer la culture de la peur. Généralement, les politique sont des personnes posées, responsables et sereines, et ce, pour préserver leur image de marque. Pour ces élections, aucune de ces qualités n'a été ressentie. De plus, je n'ai jamais vu mon pays dans un état de division aussi radical. Je crois qu'en fait, le manque de respect des règles est beaucoup plus flagrant entre les deux candidats. Les gens dans le pays sont divisés et voient que leurs leaders ne respectent pas les règles. Ce qui crée une grande confusion et une peur. Cet état de chose va les pousser à réélire le gouvernement actuel. Ce qui n'est pas une bonne chose pour un pays. Je n'ai jamais vu des responsables d'élection accusés d'autant de mauvaises actions, en particulier de priver les citoyens de leur droit au vote à tel point qu'un petit groupe vote pour une grande partie du pays. Mais n'est-ce pas le système électoral de votre pays qui favorise cette situation ? Oui, je suis d'accord. Ce système est aujourd'hui remis en cause parce qu'il pose un problème de démocratie. Je ne crois pas que le peuple pense que cette élection va tout régler. Je pense qu'il y aura une grande remise en cause avant même que l'on sache qui va gagner. On a toujours eu des élections très serrées, mais ce qui est surprenant, c'est lorsque l'un des deux candidats gagne avec un large score. La surprise pour ces élections est que Bush puisse obtenir une grande pluralité des voix. Aujourd'hui, il existe un seul Etat, le Colorado, qui essaie d'apporter un petit changement au système électoral des grands électeurs : en même temps que ces derniers votent, il y a la tenue des élections générales. Ce qui pourrait tout changer. Cela va diviser le vote. Il faut reconnaître que dans ces élections sont apparus beaucoup de défis qui se présentent et auxquels nous n'avons jamais été confrontés auparavant. L'honnêteté des dépouillements, le comportement non politique des responsables des élections et des scrutateurs dans la manière de surveiller le vote des grands électeurs et du collège électoral, toutes ces étapes sont en fait remises en cause aujourd'hui. Selon vous, qu'est-ce qui pousserait l'Américain à voter pour un Bush menaçant et en guerre dans plusieurs pays ? La peur, toujours la peur et rien que la peur. L'Amérique n'a jamais été attaquée sur son territoire depuis sa création. Nous n'avions jamais vu ce que c'est que d'être la cible d'un attentat. Nous n'avions aucune expérience dans ce domaine. Nous avions toujours cru que notre pays était le plus puissant, le plus armé, le plus fort et pouvait toujours faire ce qu'il voulait partout dans le monde. Les attentats du 11 septembre ont tout changé. Ils ont plongé les USA dans la peur. Le gouvernement a vite capitalisé ce sentiment et les gens se sont mis à la recherche de personnes capables de les mener en dehors du cercle de la peur. Les gens sont dans la confusion et ne peuvent plus faire la différence entre la force et la diplomatie, entre un gouvernement en faveur de la légalité et celui qui impose les règles de cette même légalité par la force. Le pays commence à peine à comprendre les différences entre les deux, les Américains attendent à nouveau de voir pour qui ils votent. Nous savons que lors des dernières élections, le plus grand nombre d'électeurs a voté pour Al Gore. C'est simplement le système du collège électoral qui nous a donné Bush. Alors on verra... A-t-on peur du scénario de la fraude en faveur de Bush, comme dans l'Etat de Floride en l'an 2000 ? Oui, il y a cette peur. Elle est fortement ressentie. Y a-t-il un débat au sein de la société pour changer le système électoral ? Non. C'est quelque chose de très difficile à faire changer ou à remettre en cause. Il faut pour cela un amendement constitutionnel, ce qui est presque impossible à arracher. Durant toute ma vie professionnelle, je n'ai jamais ressenti ce besoin chez la population. Chacun des 50 Etats devra alors opérer des changements à son niveau. Raison pour laquelle c'est tellement compliqué. Il faudrait peut-être avoir un président qui voudrait sincèrement changer ce système. A ce moment-là, les gens hésiteraient en pensant qu'il voudrait le changer pour ses propres intérêts. C'est donc une situation complexe et difficile. La dernière modification du système des grands électeurs date de 1832. Quel est votre pronostic pour ces élections ? Je crois qu'il y a de fortes chances pour que Kerry gagne malgré les sondages, et c'est la raison pour laquelle les partisans de Kerry ont concentré leurs efforts sur l'inscription des électeurs, notamment parmi les minorités que l'on ne retrouve jamais dans les sondages. Il y a des millions de citoyens qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales et ce sont eux qui vont faire la différence lors de ces élections. Si ceux-ci votent, il y a de bonnes chances pour que Kerry gagne. Cette forte abstention lors des différentes élections s'explique-t-elle par le désintéressement de la population ou par la colère de celle-ci contre le système politique en place ? Je crois que c'est le fait que l'on manipule les gens dans le but qu'ils ne votent pas. Quand j'étais jeune fille, je me souviens que des gens venaient voir mes parents pour leur expliquer : ce gouverneur n'a rien fait pour vous, pourquoi allez-vous voter ? Vous ne devriez pas laisser les démocrates vous guider par le bout du nez. Restez chez vous. De toute façon, votre voix ne changera rien. Je me souviens que mon père leur répondait à chaque fois : « Je sais ce que l'autre ne fera pas pour moi. » Beaucoup vont dans les communautés des minorités où les gens sont pauvres et désespérés pour leur dire que leur vote ne comptera pas et donc il n'est pas utile de se déplacer. C'est pour cette raison que les partisans de Kerry vont dans les quartiers et disent à ces communautés : « Votre vote est important et nous avons besoin de vous. » C'est cela qui fera la différence.