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Que reste-t-il de son combat?
IL Y A QUARANTE ANS DISPARAISSAIT MARTIN LUTHER KING
Publié dans L'Expression le 07 - 04 - 2008

«Souvent, les hommes se haïssent les uns les autres parce qu´ils ont peur les uns des autres; ils ont peur parce qu´ils ne se connaissent pas; ils ne se connaissent pas parce qu´ils ne peuvent pas communiquer; ils ne peuvent pas communiquer parce qu´ils sont séparés.» Martin Luther King
Il y a quarante ans tombait sous les balles, le pasteur Martin Luther King, prix Nobel de la paix. Les jours suivants, il y eut des émeutes dans 125 villes, et 300.000 personnes assistèrent à ses funérailles. Bref retour en arrière. Ce 1er décembre 1955, quand Rosa Parks, femme noire, refuse de céder sa place à un homme blanc dans un autobus dans une ville du sud des Etats-Unis, elle ignore que son geste révélera Martin Luther King et surtout aboutira à l´abolition de la ségrégation raciale en 1964. Surnommée "la mère du mouvement des droits civiques", elle est morte chez elle à Detroit en 2005, à l´âge de 92 ans. "Au moment d´écrire l´histoire pour les générations futures, il faut que les historiens puissent dire: il y a eu, parmi les Noirs, des personnes hors du commun qui ont su injecter dans les veines de la civilisation humaine un sens plus profond de la dignité humaine."Rosa Parks Le révérend Jesse Jackson a déclaré:"Elle s´est assise pour que nous puissions nous tenir debout [...] Paradoxalement, son emprisonnement a ouvert les portes pour notre longue marche vers la liberté. [...] Au cours de son oraison, Condoleezza Rice a déclaré: "Je crois que je peux affirmer, sans Mme Parks, je ne serais pas là aujourd´hui debout, devant vous en tant que ministre des Affaires étrangères."
Le monde a retenu le titre du fameux discours: I have a dream qui vient de son passage le plus connu: "I say to you today, my friends, so even though we face the difficulties of today and tomorrow, I still have a dream. It is a dream deeply rooted in the American dream". C´est un appel à l´égalité et à la fraternité "Je vous le dis aujourd´hui, mes amis, bien que nous devions faire face aux difficultés d´aujourd´hui et de demain, j´ai tout de même un rêve. C´est un rêve profondément enraciné dans le rêve américain." Je fais le rêve qu´un jour, cette nation se lève et vive sous le véritable sens de son credo: "Nous considérons ces vérités comme évidentes, que tous les hommes ont été créés égaux." " Je fais le rêve qu´un jour, sur les collines rouges de la Géorgie, les fils des esclaves et les fils des propriétaires d´esclaves puissent s´asseoir ensemble à la table de la fraternité."
Le pasteur King s´est battu pour la dignité humaine et pour une certaine idée de son pays: " Un siècle après l´abolition de l´esclavage par Abraham Lincoln, écrit Marin Luther King, "l´Amérique a failli à ses promesses", "cent ans ont passé et le Noir n´est pas encore libre. Cent ans ont passé et l´existence du Noir est toujours tristement entravée par les liens de la ségrégation, les chaînes de la discrimination. Cent ans ont passé et le Noir vit encore sur l´île solitaire de la pauvreté, dans un vaste océan de prospérité matérielle".
Quels furent les maîtres à penser du pasteur Martin Luther King? Nous citerons Le Mahatma Gandhi. Marc Epstein écrit à ce sujet: " Plus subtile, la contribution de Gandhi a aussi été plus fondamentale et, surtout, plus durable. Sa philosophie de la résistance pacifique a constitué un modèle pour Martin Luther King, aux Etats-Unis, dans les années 1960, mais aussi pour Nelson Mandela, en Afrique du Sud, au temps de l´apartheid. Gandhi a posé les fondations spirituelles et philosophiques qui ont permis à la démocratie de prospérer. Albert Einstein l´a dit: "Les générations à venir croiront à peine qu´un être de chair et de sang comme lui ait pu fouler cette terre."(1)
Voilà donc le maître à penser de Martin Luther King. Pourtant la personnalité de Martin Luther King est complexe. Cynthia Tucker a raison d´écrire: "Quarante ans se sont écoulés depuis la mort de Martin Luther King. Si peu de temps?
Au cours des quatre décennies qui ont suivi son assassinat, à Memphis le 4 avril 1968, la nation américaine a connu un bouleversement sociopolitique époustouflant, que King lui-même n´aurait peut-être pas imaginé. Quand on a 25 ans aujourd´hui, on a bien du mal à imaginer à quoi ressemblait le pays autrefois. Pas de Tiger Woods, d´Oprah Winfrey, ni de Will Smith. Pas de Colins Powell, de Condoleezza Rice ni de Barack Obama. Pas de président noir dans les films catastrophes, ni de bébé noir dans les publicités pour les couches-culottes. Mon enfance, c´était ça. Aujourd´hui, les commentateurs politiques évoquent, sans sourciller, l´éventualité d´un président noir. Le racisme existe toujours, mais il n´est plus que l´ombre de lui-même. Toutefois, pour en arriver là, le chemin a été semé d´embûches. Une des déclarations publiques les plus controversées de Martin Luther King a été sa dénonciation de la guerre du Vietnam, en 1967, à New York: "Je sais que jamais je ne pourrai de nouveau m´élever contre la violence dont font l´objet les opprimés dans les ghettos sans m´être d´abord exprimé sans ambiguïté à propos du plus grand pourvoyeur de violence dans le monde aujourd´hui, mon propre gouvernement." Les Vietnamiens "nous regardent empoisonner leur eau, détruire leurs récoltes par millions d´hectares. Jusqu´à présent, peut-être avons-nous tué 1 million d´entre eux, des enfants pour la plupart", avait-il déclaré. Il est rare que l´on cite ce discours lorsque l´on revient sur sa vie et son oeuvre. Or, il fait tout autant partie de son héritage que sa fameuse allocution de 1963 durant la Marche sur Washington. Ce discours vient nous rappeler les convictions de King. Il pensait que son véritable devoir envers son pays était de juger ses faiblesses avec réalisme tout en étant prêt à mettre sa vie en jeu pour le rendre meilleur. C´était un patriote".(2)
L´Autre Amérique
L´Amérique est le pays des paradoxes. C´est à la fois celle d´Armstrong, de John Kennedy de la libre entreprise. C´est dans le même temps celle d´une Amérique qui a fait, de sa tentation d´empire, l´alpha et l´oméga de sa stratégie planétaire. C´est aussi celle des born again et de George Walker Bush qui promet aux Américains, de leur ramener "Bin Laden dead or alive". L´Amérique qui nous a fait rêver c´est celle des Pères fondateurs de la Constitution américaine avec seulement 6 amendements. C´est aussi celle de Martin Luther King. Il est vrai et c´est là un paradoxe, l´Amérique c´est aussi la réussite de Colins Powell, ou Condolezza Rice, voire de Andrew Young. A titre de comparaison, ce n´est pas demain que l´on verrait en Europe l´équivalent d´un chef d´état-major beur à l´image de Colins Powell.
Les injustices restent profondes. Souvenons-nous pour la période la plus récente des inondations occasionnées par l´ouragan Katrina en Louisiane. Ce fut la population noire qui eut à en souffrir avec un sentiment d´abandon. Selon une étude récente du Pew Research Center de Washington, le revenu médian des Noirs américains ne représente que 61% de celui des Blancs, et il est en baisse depuis une décennie. Seuls 20% des Noirs disent vivre mieux qu´il y a cinq ans (la proportion double au sein de la population blanche). Les Afro-Américains vivent en moyenne six ans de moins que les Blancs, et ils sont plus nombreux à être en prison qu´à fréquenter le collège. Le rêve de Martin Luther King doit donc encore être réalisé. Mais, comme beaucoup d´autres, Jesse Jackson semble vouloir se laisser porter par l´espoir que soulève le candidat démocrate à l´investiture. Selon une autre étude sur "le rêve américain inachevé", le revenu moyen dans la communauté noire, qui représentait 54% de celui des Blancs en 1967, plafonne toujours à 57%. A ce rythme, il faudrait cinq siècles pour atteindre la parité. "La question raciale est de celles que la nation ne peut se permettre d´ignorer aujourd´hui", a déclaré le sénateur de l´Illinois dans un discours jugé "historique" le mois dernier à Philadelphie. "Nous avons fait des progrès: nous sommes libres mais pas égaux", résume ainsi Jesse Jackson, compagnon de route du Dr King. Par ailleurs, on sait que deux millions d´individus se trouvent dans les prisons nord-américaines, la population pénale la plus nombreuse au monde même de la Chine, encore les Chinois sont-ils cinq fois plus nombreux que les Américains. Plus de 60% des détenus sont hispaniques, indiens et afro-américains. La majorité des Etats américains dépense davantage pour la construction de prisons que pour celle des écoles. Le nombre de prisonniers représente 5% de la population totale du pays, et 25% des prisonniers dénombrés au niveau international. Plus de 60% des prisonniers sont hispaniques, indiens et afro-américains. Ces derniers -12% de la population totale - composent la moitié de la population pénale et reçoivent des sentences disproportionnées. A New York, un jeune homme noir sur trois se trouve incarcéré ou en liberté conditionnelle. Le système pénitentiaire des Etats-Unis a été considéré par l´International Action Center de New York comme étant une institution qui légalise la répression raciste et l´apartheid. Le taux d´incarcération du plus grand pays multi-ethnique de la planète est également le plus élevé avec 727 personnes derrière les barreaux pour 100.000 habitants, contre moins de 100 pour 100.000 habitants en Europe de l´Ouest".(3)
Il y a maintenant "deux Amériques noires". L´une a connu une prospérité remarquable. "Une Amérique noire souveraine serait la 15e ou 16e nation la plus riche du monde." Les exclus le sont, en revanche, encore plus qu´avant. Comme l´a dit le révérend Samuel Kyles, qui était au motel Lorraine avec Martin Luther King, "maintenant nous avons le droit d´aller à l´école. Mais nous avons besoin d´argent pour payer la scolarité".(4).
Aux Etats-Unis, l´assassinat de Martin Luther King est toujours, quarante ans après, un "poignant souvenir", note le Los Angeles Times. "Le rêve de King est-il reporté à plus tard?", titre The Economist. Les sympathisants de Barack Obama se sont réapproprié le flambeau du Dr King, le martyr américain de la cause des Noirs. Quarante ans plus tard, un jeune politicien noir, Barack Obama, a une chance sérieuse d´être élu président des Etats-Unis. "Le Dr King aurait-il pu imaginer une telle révolution? Compte tenu des circonstances politiques, je pense que cet anniversaire est encore plus important", estime Lynette Clemetson, rédactrice en chef du magazine de la communauté afro-américaine The Root. La figure du militant pacifiste est gravée dans le bronze: le Lorraine Motel, où il fut abattu à l´âge de 39 ans, est devenu le Musée national des droits civiques; depuis 1986, les Américains observent une journée annuelle de commémoration; plus de 700 villes possèdent au moins une rue à son nom. Mais l´héritage de Martin Luther King nourrit toujours l´actualité, surtout dans cette campagne électorale(5).
Mais Barack Obama est-il à la hauteur de l´héritage laissé par Martin Luther King? Pour Clarence Jones, ancien rédacteur des discours de King, la comparaison est difficile. Pour Le Temps, le culte de Luther King est "ambigu et délicat". D´autant plus que la mémoire de King peut être embarrassante. Quant aux autres candidats, ils ne perdent pas une occasion de parler de Martin Luther King. L´International Herald Tribune revient sur la position de John McCain. "Le candidat républicain dit avoir évolué depuis 1983, date à laquelle il avait voté contre une journée nationale en l´honneur de King." Hillary Clinton, elle, se démarque d´Obama, comme le note Le Temps. "Un de ses commentaires récents a produit beaucoup de vagues [...]. Pour elle, il a fallu un président [Lyndon B. Johnson] pour que ses rêves commencent à être réalisés", expliquait-elle. Johnson était blanc, bien sûr. Et même si ce n´était pas son intention, Clinton a été interprétée de cette manière: aux Noirs les rêves, aux Blancs l´action."(6)
La récupération
Là où le candidat démocrate s´écarte considérablement de l´icône de la liberté, c´est quand il fait l´éloge d´Israël. Joe Mowrey écrit: " Faire l´éloge d´Israël dans un discours sur le racisme c´est comme faire l´éloge de l´histoire de l´Afrique du Sud blanche dans un discours sur les droits civiques.".(7)
"Je ne sais pas ce qui va se passer maintenant, disait le pasteur King, juste avant sa mort aux éboueurs de Memphis, de durs moments nous attendent encore. Mais le Seigneur m´a conduit jusqu´au sommet de ta montagne et j´ai vu l´autre versant. Je ne serai peut-être pas avec vous, mais notre peuple connaîtra la Terre Promise. A la demande de sa veuve, King fit sa propre oraison funèbre avec son dernier sermon "Drum Major". Dans ce sermon, il demande qu´à ses funérailles aucune mention de ses honneurs ne soit faite, mais qu´il soit dit qu´il avait essayé de "nourrir les affamés", "habiller les nus", "être droit sur la question du ViêtNam " et " aimer et servir l´humanité ". A sa demande, son amie Mahalia Jackson chante son hymne favori, Take My Hand, Precious Lord. A sa façon Martin Luther King a marqué le XXe siècle au même titre que son "maître" Gandhi et que Mandela un autre géant qui lui aussi mena un combat contre l´apartheid.
(*) Ecole nationale polytechnique
1.Marc Epstein: Gandhi le moderne. L´Express.fr du 1.08.2007
2.Cynthia Tucker The Atlanta Journal-Constitution: Ne réduisez pas Martin Luther King à une caricature. 3 avr. 2008
3.Raisa Pages. Horreur derrière les barreaux. Granma international 16 avril 2002
4.Corine Lesnes: M.Obama et le message de Martin Luther King. Le Monde du 6/04/2008
5.Philippe Gelie: L´ombre de Luther King sur la campagne américaine 03/04/2008. Le Figaro.fr
6.Marie Maurisse: Martin Luther King et la campagne des primaires: Le Monde du 4/04/2008
7.Joe Mowrey. Les flatteries d´Obama vis-à-vis d´Israël. http://www.info-palestine.net 31/03/2008


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