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Mémoires algéroises d'un ambassadeur brimé
Franco de Courten. Ancien ambassadeur de la République italienne à Alger
Publié dans El Watan le 12 - 07 - 2007

Il fut ambassadeur de son pays en Algérie dans les pires années du terrorisme. Dans ses mémoires algéroises, Franco de Courten raconte comment il tremblait chaque jour, de recevoir une mauvaise nouvelle qui toucherait un agent de son personnel administratif et consulaire ou l'un de ses 800 concitoyens qui composaient la communauté italienne en Algérie, à l'époque.
« Les espions les plus avérés sont les ambassadeurs »
Casanova
Né en 1932, au nord de l'Italie, Franco de Courten a été ambassadeur en Angola et en Jordanie, après voir occupé la fonction de diplomate à Tel-Aviv. En 1998, après son rappel anticipé à Rome, il choisit de déposer sa démission pour retourner à sa passion, la peinture, qu'il pratique depuis l'âge de 14 ans. En lisant son journal intime, publié par les éditions Rubbettino, on se prend à éprouver une vive compassion pour cet homme, tant il vous communique son fort sentiment d'avoir été injustement sacrifié sur l'autel des sacro-saintes raisons d'Etat, qui échappent à l'entendement de ce diplomate anticonformiste et entier. Sa frustration encore vive, et son orgueil de diplomate professionnel, sérieux et cohérent, blessé, ne laissent pas indifférent. Pourtant, aux détours des pages qui relatent son bref séjour dans la capitale, on s'irrite parfois de cette manie qu'il a de comparer systématiquement Alger à d'autres capitales arabes et orientales. Et Alger n'y a pas la part belle. Il ne s'en cache pas, les Algériens, au premier impact, le déçoivent. Il leur trouve un caractère « dur et anguleux, mal scellé, si loin du doux et ambigu caractère levantin moyen-oriental ». Et le diplomate se résigne presque : « Je le savais déjà, mais je m'en rends compte : ces Algériens me donneront du fil à retordre. »
Pas tendre avec les Algériens
Dépeints sous la plume de cet artiste peintre, qui a exposé ses œuvres dans plusieurs capitales à travers le monde, les dirigeants algériens sont impitoyablement décrits comme « une élite formée à l'époque du tiers-mondialisme socialiste, un peu berbère, très francisante malgré ses jugements unanimement hostiles à Paris, absolument et éperdument nationaliste ». De Courten n'est pas plus tendre avec les simples citoyens algériens. Lui, qui aime chiner, affirme que c'est moins exaltant de le faire dans les ruelles d'Alger. « Les brocanteurs, ici, ne vous offrent même pas une gorgée de café ». Mais on ne se résout pas à fermer ce livre, si parsemé de lacunes qui ressemblent étrangement à des vides de mémoires, de jugements superficiels et partiels à l'encontre des Algériens et de l'Algérie. Car, celui qui s'en rend coupable, n'est pas un amnésique ou un ingrat. C'est un homme sensible, un artiste, un diplomate pas assez cynique et sans doute trop naïf pour le poste qu'il a occupé. On lui pardonne volontiers ses jugements trop durs. Et puis, le proverbe italien ne dit-il pas, « chidisprezza, compra », (Traduction : qui méprise, achète). Mais, de Courten, patient et fin observateur, apprendra à connaître les Algériens et à les apprécier, jusqu'à s'en faire le porte-parole auprès de son gouvernement.
Un geste spontané
Grave imprudence qui lui vaudra d'être rappelé avant terme. Humiliation suprême pour celui qui aurait voulu conclure sa carrière avec brio mais qui se voit contraint, par fierté, à déposer sa démission en signe de protestation. Mais de Courten nous surprend dans les moments où on s'y attend le moins, avec ses coups de cœur pour les Algériens. Par exemple, lorsqu'il raconte que le chef de l'Etat de l'époque, Liamine Zeroual, a eu un geste spontané et inattendu d'un homme en apparence impassible, lors de l'entretien d'adieu qu'il a accordé à l'ambassadeur partant, comme le prévoit le protocole. Zeroual ne s'était pas contenté de serrer froidement la main à son invité, mais le salua avec une étreinte plus cordiale. « Ce fut un geste sincère qui m'a fait plaisir », raconte le diplomate italien. A une autre occasion, de Courten raconte la sérénité qu'il a éprouvée chez le leader du RCD, Saïd Sadi, en Kabylie : « J'ai senti une hospitalité sobre et des sentiments contenus, si différents de l'exubérance et de la sympathique superficialité de certaines populations arabes. » En parlant des journalistes algériens, rencontrés lors d'une visite de solidarité à la maison de la presse, après l'attentat terroriste qui a visé son siège, de Courten a ces mots empreints d'estime : « Ils sont jeunes, pauvres, très seuls, peut-être peu expérimentés, mais pleins de courage, d'esprit d'initiatives et de volonté de dépasser les moments difficiles. » Cet amoureux de l'Afrique (il a été ambassadeur en Angola) raconte comment l'Algérie fit tôt irruption dans sa jeunesse : « Je n'ai jamais eu de sympathie pour l'‘‘Algérie française''. Jeune, je soutenais sans aucune hésitation la cause de l'indépendance et de la liberté des Algériens. » Quelques décennies après, de Courten se trouve projeté en plein drame algérien. Et il ne se contente pas de transmettre à ses chefs des analyses à l'emporte-pièce, il donne son point de vue et va jusqu'à conseiller à ses supérieurs, à l'occasion de la publication d'un rapport d'Amnesty International qui accable les autorités algériennes, « d'éviter de se fier à des instrumentalisations superficielles » et relève que « la presse algérienne met en doute les sources d'Amnesty ». Mais c'est à l'occasion de la tenue de la conférence sur l'Algérie, organisée par la communauté catholique de Sant' Egidio, ambitieuse organisation cléricale qui aspirait ouvertement à se substituer à la diplomatie officielle italienne – convoitant le prix Nobel pour la paix, assurent ses détracteurs – que l'ambassadeur met les pieds dans le plat et attire définitivement contre lui les foudres de son ministre des Affaires étrangères, Lamberto Dini.
Contre Sant' Egidio
Ce dernier, très proche de Sant Egidio, ne lui pardonnera pas d'avoir défendu auprès du gouvernement italien la position contraire des Algériens (gouvernement et société civile). Ce n'est pas ce que Rome attendait de lui. Il aurait été mieux inspiré de tenter de vendre « le salut miraculeux de Sant' Egidio ». De tant de zèle (ou d'ingénuité ?), le maître de l'ambassade d'Italie à Alger sera durement châtié. Il se trouve en Italie lorsque, en ce 16 avril 1998, le directeur du personnel du ministère des Affaires étrangères lui communique que le Conseil des ministres a décidé de le rappeler. L'homme se sent humilié et entreprend son enquête personnelle pour découvrir la raison d'un tel « limogeage ». Ses supérieurs refusent de le recevoir et il saura que c'est Dini lui-même qui a signé l'ordre de son rappel anticipé. La presse italienne, de gauche, interprète ce geste comme étant une décision « dictée par la Communauté de Sant' Egidio, de qui Dini est très proche ». En février passé, de Courten a exposé, à Palerme, dans la Galeria Mediterranea, sous le titre « Blanc d'Alger », les toiles qu'Alger lui aura quand même inspirées. Peut-être qu'une invitation à exposer ses toiles dans une galerie algéroise aurait été, un tant soit peu, réparatrice pour l'amour-propre d'un homme, à qui on n'a pas laissé le temps d'aimer l'Algérie. PARCOURS
Franco de Courten est né en 1932 au nord de l'Italie. Toute sa vie a été consacrée à la diplomatie. Il a été le représentant de son pays en Angola et en Jordanie, après avoir occupé la fonction d'ambassadeur à Tel-Aviv. Sa carrière est stoppée net après son rappel anticipé à Rome. Cette mise à l'écart l'a grandement affecté au point qu'il a préféré quitter ce métier ingrat en déposant sa démission. Il se consacrera alors à sa passion de toujours : la peinture. Peintre à ses heures perdues, il prendra part à de nombreuses expositions. En Algérie, où il a vécu, il n'aura pas cependant ce plaisir. Il se montre très sévère envers les Algériens qu'il n'a pas appris à connaître profondément. « Ces Algériens me donneront du fil à retordre. Ils ont un caractère dur et anguleux mal scellé, si loin du doux et ambigu caractère levantin moyen-oriental. »


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