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Pour une conférence nationale sur la question linguistique
Tamazight
Publié dans El Watan le 03 - 11 - 2004

Ce type de mise en œuvre de l'officialisation de tamazight provoquera inévitablement une incohérence manifeste entre le texte constitutionnel et sa manifestation institutionnelle.
Cette incohérence aura comme conséquence un double risque : celui de déstabiliser le fonctionnement de l'Etat d'un côté, et celui d'offrir des possibilités de manœuvres aux adversaires de tamazight qui ne vont pas se désarmer d'un autre côté. N'est-ce pas dans les vides juridiques que baignent les esprits du mal et les semeurs de la faillite ! A ce propos, il est question de la culture de l'Etat, de la vision qu'ont les gouvernants de l'instrument avec lequel ils gèrent les intérêts de la nation. Un pouvoir qui tolèrera que la loi fondamentale décrète tamazight langue officielle de l'Etat central et que les institutions la pratiquent comme langue officielle des wilayas de Kabylie et des Aurès seulement, est un pouvoir irrationnel, désorganisé, incapable de puissance et de liberté. Au lieu de mettre en conformité l'exercice institutionnel et la loi qui le régit, on risque de continuer à baigner dans l'absurde et dans l'inconscient avec tous les risques que cela comportera sur l'avenir du pays. Il est plus honnête et plus responsable de donner à cette régionalité de fait un caractère explicite, légal, réglementé, au lieu de laisser les choses évoluer dans l'implicite et dans le non-dit. Les spécificités régionales ne sont ni des tares, ni des défauts, ni même une spécificité algérienne. A ce propos, l'Algérie n'est pas condamné à vivre ses spécificités comme des complexes, comme des déviations, dans la clandestinité et le refoulement qui produit tous les ravages et tous les maux. A la place du clanisme et du régionalisme sou-terrain, sournois et déstabilisateur, il est salutaire d'instituer les régions et les doter d'assemblées élues avec des prérogatives claires et bien définies. En effet, l'Algérie doit extérioriser sa diversité pour se réconcilier avec elle-même ; c'est par son acceptation qu'elle reprendra l'initiative historique enclenchée un certain 1er novembre 1954 et stoppée par la rupture opérée avec les structures authentiques de la révolution. L'Algérie est un pays riche par sa diversité, une nation composée et complexe. Dans son effort de reconstruction, elle doit saisir la vérité que c'est sur le système des régions que les pays les plus évolués avancent. Ce système de gouvernement qui permet une meilleure relation entre l'Etat et le citoyen, est lui-même la source de la force des institutions et non pas le contraire comme il est perçu. En effet, on ne réforme pas un Etat pour le plaisir de le faire, comme on ne réforme pas un Etat fort, fonctionnant sans défaillance, au risque de dérégler sa marche, mais on réforme un Etat faible, désorganisé, qui fonctionne difficilement et mal, pour le rendre fort et crédible. Un petit tour, dans n'importe quelle administration publique, nous fera voir la douleur et la souffrance qui coulent comme une sueur sur le visage des citoyens. Dans leur regard vide, nous saisissons que plus aucun lien d'affection et d'estime ne les rattache à l'Etat qui les organise. La biofficialité linguistique est un pas audacieux vers une réforme ambitieuse de l'Etat. L'Afrique du Sud qui, quelques années après sa sortie de l'apartheid, est devenue le pays du continent le plus moderne et le plus développé, utilise onze langues officielles. Et pour bien gérer cette situation, elle a adapté son Etat à sa réalité sociologique en optant pour la forme composée de celui-ci qui est le fédéralisme. Cela ne l'empêchera certainement pas de recevoir pour la première fois dans l'histoire du continent africain, la Coupe du monde du football. Il est temps pour nous de cultiver l'intelligence dans notre façon de voir, de dire et de faire les choses, surtout, lorsque ses choses dites et faites engagent tout un pays et tout un peuple. Il y a lieu aussi de rappeler que la délimitation de six régions historiques qui ont supporté la guerre de Libération nationale a été un motif de la victoire et du triomphe du peuple algérien, et non pas une raison de sa défaite ! En adaptant les structures de la révolution avec les réalités sociologiques du pays, les artisans de l'Etat algérien ont permis aux masses d'agir dans le sens de l'histoire. Il s'agit de croire une nouvelle fois en le génie du peuple algérien. Certes, les tenants du pouvoir actuel gardent un contentieux historique avec les animateurs du congrès de la Soummam qui ont structuré la guerre de Libération nationale, mais ce contentieux ne doit pas se placer comme une menace sur l'avenir de la nation. Abordant maintenant la question de la concession qui est l'écart par rapport à une conduite déjà tracé, une révision à la baisse d'exigences avancées. Je ne crois pas que la revendication d'une langue nationale de l'Algérie et officielle des régions amazighophones soit un recul par rapport à la revendication classique déjà citée. En effet, cette formulation, si elle approfondit la revendication initiale de la langue nationale et officielle, répond à un double souci : celui de mettre les moyens constitutionnels et institutionnels à la disposition de la langue d'un côté et celui d'assurer les conditions sociologiques et humaines de la réussite de sa revitalisation totale d'un autre côté. En effet, il n'y a de recul ni dans le principe de la reconnaissance, ni dans la qualité du statut exigé, ni même dans l'égalité de l'estime et dans le traitement équitable entre les langues officielles du pays. En tout, il s'agit d'une délimitation claire, pensée et maîtrisée des territoires d'exercice de cette officialité. Une délimitation qui se repose sur une réalité sociolinguistique palpable, un regard sans complaisance sur l'état de santé de la langue, et qui est motivée, surtout, par le souci d'offrir à celle-ci toutes les chances de la réussite. Je concède qu'on peut parler d'un recul dans l'étendu territoriale de cette officialité, mais dans l'absolu il faut le reconnaître, car l'exercice linguistique amazigh couvre, comme il a été déjà dit, les régions amzighophones sans les autres régions, et le besoin de son utilisation s'exprime dans ces régions sans les autres. Dans l'esprit de ce débat, il est impératif à l'heure des tractations entre le mouvement des archs et le gouvernement de rappeler que le principe de la séparation des pouvoirs implique la séparation du politique et du scientifique. Ce dernier ne doit pas seulement mettre en œuvre les décisions du politique, mais surtout préparer et exposer les données objectives qui rendent la prise de décision politique intelligente, rationnelle et rentable. Au mépris de ce principe, il y a le risque de voir les pouvoirs publics recourir à l'officialisation de tamazight en tranchant la question des caractères en faveur de Tifinagh. C'est pour eux, un moyen détourné d'éviter une polémique idéologique sur le sujet de la transcription. Il est, en effet, à craindre que nous allons nous retrouver, encore une fois, face à ce comportement qui consiste à fuir les problèmes au lieu de les affronter et de les solutionner. C'est une tradition bien ancrée, avec laquelle il faut rompre sans tarder. La question de la rentabilité et de l'efficacité d'une solution ne doit pas être reléguée au profit d'une sentimentalité handicapante, d'une vision anachronique de l'Etat et de la nation. L'intérêt de la langue amazighe en tant que moyen de développement et de libération doit primer sur toute autre considération subjective, et l'unique règlement juridique qui permettra son évacuation comme obstacle à la normalisation envisagée peut compliquer davantage la situation. Il est capital pour les générations à venir que les acteurs d'aujourd'hui examinent leurs décisions avec équité. En conclusion, la mise en application des conséquences qui découlent de la reconnaissance constitutionnelle de tamazight comme langue nationale, l'engagement politique et officiel de l'Etat quant au principe de son officialisation, l'organisation d'une conférence nationale sur la situation linguistique du pays, une conférence ouverte à la participation de toutes les compétences avérées, dont la mission est de se pencher sur l'élaboration d'une charte nationale des langues qui sera présentée au pouvoir politique pour visa, et dont un conseil national des langues, observera et veillera sur l'application, peuvent, à mon humble avis, être des entreprises à même de permettre au pays le dépassement de la crise et le passage vers la modernité.
(*) Animateur du MCB et auteur d'expression amazighe


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