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Le beau, allié du bien
Architecture. Urgence d'une réflexion
Publié dans El Watan le 19 - 07 - 2007

Que faire contre le processus d'enlaidissement qui frappe l'Algérie à travers ses constructions sans âme et une mise à l'écart de l'architecture en tant que réflexion, pratique et art ?
Se plaindre, s'horrifier, pleurer même de voir comment les sites urbains et les agglomérations rurales perdent toute harmonie, tout cachet, tout sens esthétique, rivalisant en aberrations, en outrances et en laideurs, sous la frénésie constructiviste qui détruit les sites et dénature notre patrimoine architectural, pourtant reconnu mondialement pour son originalité, sa richesse et sa diversité. Il semble que les seuls moteurs de la construction désormais soient ceux de l'argent — public ou privé — et de l'ignorance des fondements universels de l'architecture. Mais, quand on parle d'esthétique, il y a toujours un politicien ou un bureaucrate pour rétorquer que c'est un luxe, voire du snobisme, alors que tant de pauvres gens ne sont pas logés, que tant d'équipements publics manquent, etc. Entre temps, les pauvres gens, et d'ailleurs aussi les moins pauvres, ne sont pas encore logés et quand ils le sont, c'est dans des cités ingérables, inadaptées, à la durée de vie si limitée que de très anciennes constructions leur tiennent tête, comme le montrait pathétiquement ce père de famille qui a perdu les siens lors du séisme de 2003 et qui demandait au cours d'un procès récent qu'on lui explique comment des immeubles neufs s'étaient écroulés à la première secousse comme des châteaux de cartes quand des maisons de l'époque coloniale avaient résisté ? Refuser de parler d'esthétique en architecture, c'est refuser de parler de qualité des constructions. En architecture, depuis que le monde est monde, l'esthétique est inséparable de la prise en charge des besoins de la société et de l'économie et des impératifs techniques. Elle ne répond pas à la simple recherche d'une apparence agréable mais s'inscrit dans une approche culturelle et patrimoniale et la recherche des moyens les plus économiques. Chaque civilisation, chaque pays, chaque région du monde a développé des manières de bâtir qui sont le fruit d'une longue expérience humaine, d'une adaptation au milieu, de la disponibilité des matériaux, des structures sociales et des valeurs culturelles ou autres. Quand on regarde une photographie prise en Indonésie, en Bretagne ou au Mali, il suffit de jeter un œil sur les paysages ou les constructions pour situer le lieu. Peut-on en dire autant de nos cités ou régions qui possédaient de riches traditions architecturales, aujourd'hui effacées et niées sous des amoncellements de blockhaus immondes bardés de fer ? L'exemple de la Kabylie est là qui perd de manière peut-être irrémédiable son patrimoine architectural, élément d'identité et de richesse forgé par des ancêtres avisés qui savaient par exemple, selon l'altitude des villages et donc leur pluviométrie normaliser la déclivité des toits. Mais l'on pourrait citer autant la Saoura, les Aurès, le Dahra ou la région de Mostaganem et tout endroit d'Algérie. Partout se perdent les architectures locales et aucune recherche n'est prise en compte (il en existe pourtant) pour les adapter. Aucun lieu du territoire ne semble avoir été épargné par cette dégénérescence aux causes multiples. Idem pour les grandes villes qui, dans deux ou trois décennies, risquent de ne plus être reconnaissables, engagées comme elles sont dans un processus rapide de perte de repères urbains et architecturaux historiques. Refuser de parler d'esthétique, c'est considérer que le beau est inutile. C'est par exemple prendre les faïences des maisons traditionnelles de certaines régions pour de simples ornements futiles. Il se trouve que ces faïences étaient là en raison d'un phénomène naturel que les anciens connaissaient au moins par expérience, à savoir que l'air chaud s'élève toujours dans l'atmosphère. C'est pourquoi ils vivaient au plus près du sol, où l'air est plus frais et que, de ce fait, leur mobilier était adapté (par exemple la meïda, table basse circulaire) et que les fenêtres devaient être basses pour permettre la vue à cette hauteur. D'où enfin les faïences qui permettaient de conserver davantage de fraîcheur à ce niveau. Et comme les mobiliers étaient sommaires et près du sol, la faïence par des motifs colorés répondait au besoin d'enrichir la décoration sur des murs blancs, encore une fois pour une raison scientifique, puisque le blanc rejette la chaleur. Ce simple exemple indique combien l'architecture est inséparable de l'esthétique. On ne peut réfléchir à la prise en charge des besoins de logement ou d'équipements comme on construit une étable à bovins et encore, l'exemple n'est pas valide car, dans ce cas aussi, on doit tenir compte de nombreux facteurs liés aux meilleures conditions d'élevage ! Quand il s'agit alors d'humains, la mission de construire devient encore plus complexe et sensible. Il faut donc urgemment mettre en œuvre une réflexion nationale sur l'architecture pour lui redonner son véritable statut, replacer l'architecte au centre de la conception et remettre les commanditaires publics ou privés à leur juste place qui, loin d'être négligeable, consiste à exprimer au mieux leurs besoins et à les confier aux gens de l'art en veillant bien entendu au respect des engagements. C'est la signature de l'architecte qu'il faut réhabiliter, pas son tampon. Pratiquement aucune construction depuis l'indépendance ne porte une plaque d'architecte comme cela se fait partout ailleurs. L'Etat en la matière porte une lourde responsabilité, historique sans doute, pour rétablir des règles de fonctionnement universelles, mais aussi encourager le développement d'une architecture nationale forte, créative et véritablement utile à la société et à l'économie. Quel tourisme peut-on développer quand des régions entières ont perdu leur cachet architectural ? Quelle qualité de vie et quelle paix sociale peut-on espérer dans des villes au bord de l'explosion où la lutte pour l'espace est devenue un combat quotidien pour les piétons, les automobilistes, les écoliers, les travailleurs, les personnes âgées mais aussi les entreprises et les institutions ? Sans urbanisme ni architecture véritables, il n'y a pas de salut possible, d'autant que l'aménagement du territoire, quasi inexistant, se traduit par une concentration de plus des deux tiers des Algériens sur le littoral avec des risques exponentiels déjà visibles. Des initiatives louables se développent çà et là pour susciter le débat et diffuser de bonnes connaissances. Récemment, à Riadh El Feth, une jeune société, Bab El Founoun, a organisé avec mérite une rencontre intitulée « Pauses urbaines » à travers laquelle, notamment, des films sur les villes et architectes du monde ont permis de découvrir des expériences intéressantes. De même, peut-on citer la revue Architectures et villes qui a pris le relais de la défunte HTM (habitat tradition modernité) et dont le courageux promoteur s'efforce, sans aucune aide, de contribuer à la réflexion. Il existe également la revue Amenhis, éditée par l'architecte-promoteur Sahraoui. De même, du côté de l'Ecole polytechnique d'architecture et d'urbanisme (EPAU), parviennent parfois les échos, bien timides cependant, de rencontres, recherches, etc. L'Ordre des architectes se signale parfois aussi par des rencontres intéressantes. Mais nous sommes bien loin du compte. Le déficit de réflexion et d'expression sur ces questions demeure immense quand les grues et les bétonnières redoublent de voracité. Il est à noter, du côté institutionnel, ce signe venu d'un ministère que l'on n'attendait pas sur ce terrain, celui des Affaires religieuses qui a instruit de respecter désormais les traditions architecturales algériennes en matière d'édification de mosquées et autres lieux cultuels. C'est tout à son honneur comme il est attendu des autres départements des initiatives similaires. On notera d'ailleurs, puisqu'il est question de ministères, cette curiosité typiquement algérienne qui veut que le ministère de l'Energie et des Mines se soit doté d'un siège aux façades arabo-musulmanes quand justement celui des Affaires religieuses loge dans un bloc de verre et d'aluminium ! Dès la rentrée, le supplément Arts & Lettres accordera désormais des espaces à l'expression des architectes. C'est le philosophe allemand Hegel qui, au début du XIXe siècle, avait classé les arts dans son ouvrage Esthétiques. Et l'architecture apparaissait en tête de liste. Il savait, lui, que la beauté n'était pas l'ennemi du besoin mais son allié.

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