Ali-Yahia Abdennour, avocat et défenseur des droits de l'homme, vient de publier ses mémoires à 86 ans. Ecriture rouge sur fond noir, La dignité humaine raconte l'itinéraire d'un homme qui a, sans relâche, combattu pour les libertés et les droits. L'auteur, qui a invité des journalistes à prendre un café chez lui à Alger, dit avoir essuyé un refus des éditions Casbah. « Ils m'ont remis le manuscrit sans rien me dire. Regrette-t-il. Finalement, Inas Editions de Wadi Bouzar ont accepté de publier le livre. « Je suis en fin de vie, j'ai le droit de dire toutes les vérités. On ne peut plus me punir », plaisante Ali-Yahia Abdennour. « Je n'ai jamais cessé d'explorer les effets dévastateurs du rejet de l'autre, de celui qui pense autrement... », écrit-il dans l'avant-propos du livre. Il n'omet pas de rappeler que son cabinet est fermé depuis janvier 1995, date de sa participation à la signature du pacte de Sant'Egidio à Rome. « Le contrat national dont chacun peut mesurer la densité et la richesse, demeure l'événement politique le plus important de ces dernières années », écrit-t-il. Selon lui, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne avaient soutenu ce document signé, entre autres, par le FFS, le FLN et l'ex-FIS. « Je ne possède ni le cabinet ni cet appartement. Ahmed Ouyahia, alors chef du gouvernement, m'a empêché d'en devenir propriétaire », se souvient Ali Yahia Abdelnour. « J'ai passé la nuit au tribunal pour défendre Saïd Sadi et Mokrane Aït Larbi. El Hachemi Chérif, chef de l'ex-PAGS, venait chez moi et je l'ai défendu. Mais dès que j'ai pris la défense du FIS, il m'a attaqué », ajoute-t-il. « Chadli m'a mis deux fois en prison et une fois en résidence surveillée au Sud ». « Après Mohamed Boudiaf que s'est-il passé ? Tout a continué comme par le passé avec un autre président désigné par les décideurs, qui ont agi dans la voie tracée par l'armée qui refuse de partager le pouvoir qu'elle détient », constate celui qui a côtoyé Ahmed Ben Bella, Houari Boumediène, Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et bien d'autres. Qu'en est-il de Bouteflika ? « Abdelaziz Bouteflika identifie l'Algérie à sa personne (...) il a pris le pouvoir avec la satisfaction d'un homme qui se voit enfin à la place souveraine qu'il croit avoir. En Algérie, les trois qualités du président sont : arriver au pouvoir, l'exercer et surtout le conserver », relève-t-il. Les deux qualités que doit avoir un chef d'Etat sont, d'après lui, la maîtrise des dossiers et le contrôle de soi. « Le président Bouteflika n'aime pas partager le pouvoir, ni même l'éclairer, et il ne supporte pas la critique (...) est un professionnel de la politique qui veut faire du “je veux” le fondement de sa démarche », note le président d'honneur de la Ligue algérienne de la défense des droits de l'homme (LADDH). Bouteflika est, selon lui, un Président stagiaire en matière des droits de l'homme. Il rappelle le refus par l'Algérie d'autoriser l'accès des ONG de défense de droits humains comme Amnesty International ou la FIDH et le maintien de l'état d'urgence depuis 1992. « Les disparus sont-ils vivants ou morts ? Le pouvoir sait le sort réservé aux disparus », constate l'avocat. Il estime qu'il faut briser le silence sur la torture. « Pas un Algérien ne doit dire demain, je savais que la torture était une pratique administrative et je me suis tu », conseille-t-il. Selon lui, le pouvoir a brandi le spectre du terrorisme pour « empêcher le fonctionnement régulier des institutions et brimer les libertés ». « Il exige du peuple, qui ne sert qu'à le légitimer, plus de soumission par la violence », écrit-il. Il s'interroge : « Combien d'années de souffrances faudra-t-il encore attendre, avant de se rendre compte qu'il n'y a pas de solution sécuritaire de la crise ? ». Il fait un plaidoyer pour une paix réalisable à travers un dialogue global « avec la participation sans exclusive de tous les acteurs importants de la vie politique ». Il émet des doutes sur la version officielle de l'assassinat de Abdelkader Hachani, ex-dirigeant du FIS, il s'interroge sur le carnage de la prison Serkadji de 1995, et qualifie le procès intenté au journaliste Mohamed Benchicou de « caricature de la justice ». Le pouvoir s'est inspiré dans ce procès de concepts de punition, de revanche et de haine », relève-t-il. Une vengeance qui a frappé, selon lui, Ahmed Benaoum, directeur du journal Er-Raï. Il revient sur l'interdiction des partis Wafa d'Ahmed Taleb Ibrahimi et du Front démocratique de Sid Ahmed Ghozali, et estime que Bouteflika a dressé une barrière à la création de nouveaux partis et à l'émergence de leaders « qui risquent de lui porter ombrage » Ali-Yahia Abdennour qualifie de « mensonge officiel » les informations relatives à la maladie du président Bouteflika en 2005. « A vouloir prouver que cette maladie est bénigne, les hommes du pouvoir, simples garçons de course dont la conscience morale est émoussée, ont élevé le mensonge au niveau d'une institution d'Etat (...). « Rien n'est plus difficile pour un système politique, qui a vécu dans le secret et l'opacité, de fonctionner dans la transparence », constate l'avocat. Sur 290 pages, l'avocat, qui a dédié le livre à sa défunte épouse, explique, dénonce, argumente, cite des témoignages, se révolte...