La voix douce et le regard sympathique, Maître Ali-Yahia Abdennour garde le cap sur l'essentiel: la recherche de la vérité et le combat pour la défense des droits de l'homme et de la dignité humaine. Avocat des droits de l'homme qui s'est toujours battu pour un idéal, la recherche de la vérité dans le respect de la dignité humaine, Maître Ali-Yahia Abdennour nous a surpris en nous dévoilant des aspects peu connus de sa vie. Et dont il promet de faire la narration dans ses Mémoires. Tout ce que l'on sait pour l'instant, c'est que Ali-Yahia Abdennour, né en 1921, a été mobilisé en mars 1943 dans le cadre de la Seconde Guerre mondiale. Après avoir débarqué avec son contingent à la plage de Saint-Tropez, il fut blessé à la trouée de Belfort, dans les Ardennes, son unité ayant fait jonction avec les Américains. En face, il y avait l'armée allemande. A la fin de la guerre, il est rentré directement à Michelet (Aïn El Hammam). Les événements de cette journée mémorable, le monde fêtant la libération et l'armée coloniale massacrant 45.000 Algériens, l'amènent à adhérer immédiatement au PPA. Un parti nationaliste qu'il quittera en 1949 pour cause de crise berbère, en compagnie de tous ses amis de Michelet. Durant tous les étés, Maître Ali-Yahia Abdennour, enseignant à Alger, hébergeait cheikh Amar, un militant du PPA. Et c'est ce dernier qui le mit au courant de ce qui s'était réellement passé le 1er novembre 1954 lorsqu'il le reçut chez lui pendant les vacances de Noël 1954. Ce faisant, il lui confia sa première mission au service de la Révolution. Car c'était la Kabylie qui s'occupait de la zone autonome d'Alger, à l'époque. Pour les vacances de Pâques, Ali-Yahia Abdennour fut envoyé en France auprès de la communauté émigrée. Sur ce, l'Union générale des travailleurs algériens, Ugta, qui fut créée en 1956, par Aïssat Idir, Djernane Rabah, Bourouïba, Ali Yahia Madjid (son frère), vit ses chefs arrêtés le 24 mai 1956, et c'est donc tout naturellement qu'il prit la relève en tant que membre du secrétariat de l'Ugta. A l'issue du congrès de la Soummam, qui s'est tenu le 20 août 1956, les cinq membres du CCE étaient venus s'installer à Alger. Et c'est avec eux qu'il eut à travailler en tant que représentant de l'Ugta. Il rencontra en septembre 1956, le coordinateur du CCE, Abane Ramdane et Benyoucef Benkhedda ainsi que Mohamed Lebjaoui et Amar Ouzegane. Ils l'ont mis au courant de la préparation de la grève des huit jours qui devait avoir lieu du 28 janvier au 4 février 1957. Il les revit quelques jours après et il leur proposa non pas une grève des huit jours mais de deux jours seulement pour l'Ugta. A l'époque, l'Algérie était divisée en trois départements (Alger, Oran et Constantine). Dans le département d'Alger qui s'étendait de Tizi Ouzou jusqu'au Chélif, il y avait 103.000 militants de l'Ugta. Il y avait quatre syndicats très puissants: les dockers, les cheminots, la Rsta et l'EGA (Electricité et Gaz d'Algérie). Pendant 48 heures, il y aurait une grève des transports, des ports, de l'électricité (Alger serait plongée dans le noir). «Ça remplissait la vue des dirigeants, et cela suffisait pour que l'ONU comprenne que le FLN est le véritable représentant du peuple algérien.» Ali-Yahia Abdennour, en tant que membre de l'Ugta, était rédacteur au journal L'Ouvrier Algérien. Et c'est à ce titre qu'il fut arrêté en janvier 1957. Cela coïncidait avec la décision du gouvernement français de confier les pleins pouvoirs au général Massu en l'autorisant à préparer les conditions de la Bataille d'Alger. Entre-temps, durant l'année 1956, Ali- Yahia Abdennour a eu à s'occuper de l'histoire de l'opération l'Oiseau Bleu. Il y avait à la tête de cette opération, Zaïdi Ahmed d'Azazga. Il était venu voir Ali-Yahia Abdennour en compagnie d'un certain Tahar Achir de Bouzeguène. «Ils avaient passé la nuit chez moi, à la maison, avant que Tahar ne rencontre le général Loriot.» Maître Ali-Yahia Abdennour promet de raconter tous les détails se rapportant à cet événement dans ses Mémoires, en cours de rédaction. Après son arrestation donc, il dut «séjourner» dans sept camps de concentration, entre autres Berrouaghia, Aïn Oussera, Bossuet (près de Sidi Bel Abbès). Dans ce dernier endroit, il fut mis en compagnie de prisonniers considérés irrécupérables, au nombre de 2000 qui l'élirent responsable. «Un jour, l'armée avait voulu me forcer à crier ´´Vive la France´´ devant mes 2000 compagnons. J'ai été battu, mais avant de tomber, j'ai crié ‘‘Vive l'Algérie''». Il fut ensuite interné près de Boufarik, puis à Béni Messous, et enfin à Médéa, avant d'être expulsé vers Tunis. Pour l'anecdote, ce fut encore à Berroughia qu'il sera emprisonné après l'indépendance, au début des années 80, en tant que militant des droits de l'homme. Et c'est là qu'un officier médecin (au grade de commandant) avait refusé de le soigner en lui disant: «Je suis officier avant d'être médecin.» Refermons la parenthèse. Après Médéa, il fut donc expulsé à Tunis, où il retrouva sa mission de secrétaire de l'Ugta. En 1962, il fit paraître un article dans un journal, que Le Monde avait commenté en ces termes: «L'Ugta émet des réserves.» Il s'était pourtant contenté de dire que le cessez-le-feu n'était pas la paix. Elu à l'Assemblé nationale en tant que député de Tizi Ouzou, il fut le seul à se prononcer contre la Constitution de Ben Bella. Après le coup d'Etat de 1965, il fut ministre des Travaux publics jusqu'en septembre avant de prendre le portefeuille de l'Agriculture, un poste dont il démissionnera en janvier 1967 parce que Boumediène hésitait à mettre en oeuvre la réforme agraire, un projet qu'il lui avait pourtant confié. A-t-il eu des désillusions après 1962.? «Je savais ce qui allait se passer», dit-il, parce qu'à Tunis, il avait fréquenté des personnalités de la trempe de Krim Belkacem, du colonel Mohand Oulhadj. Par exemple, pour ce qui est de Krim qui s'était désolidarisé de la crise berbère de 1949, les choses étaient claires et il avait fini par se rendre à l'évidence en 1962. «J'ai compris qu'un Kabyle ne serait jamais président du Gpra». Ils lui avaient préféré Ferhat Abbas puis Benyoucef benkhedda. Après avoir quitté le gouvernement, qu'a-t-il fait? A-t-il fait une traversée du désert? En fait, il s'était inscrit à la fac de droit à 48 ans pour faire des études juridiques, et devenir avocat. Lauréat en 1972, il a hérité du cabinet d'avocat de son frère Rachid, qui était parti en France. Et cela jusqu'au début des années 80. Le printemps berbère de 1980 était arrivé à point pour rappeler Maître Ali-Yahia Abdennour à son premier idéal. Un combat qui l'amena à être arrêté deux fois; le 2 octobre 1983 et le 9 juillet 1985. Son combat pour la vérité, il l'a assumé en tant que militant des droits de l'homme, défendant ses clients sans se poser des questions sur leur couleur politique, à charge et à décharge. Une seule chose l'horripile: la torture. En 1889, précise-t-il, à la création de la première Ligue des droits de l'homme en France, il était dit: «Toute personne privée de sa liberté et de ses droits doit être défendue». C'est ce qu'avait dit Maître Ali-Yahia Abdennour aux dirigeants du FIS, en 1992. Quant à la création de la Ladh, elle avait été faite dans le sillage du printemps berbère (c'était, ironise-t-il, un hiver des droits de l'homme). Pour créer un cadre légal aux militants du FFS, qui militaient à l'université de Tizi Ouzou, dont Saïd Sadi et El Hachemi Naït Djoudi, on a donc décidé de créer cette ligue, pour avoir une audience reconnue à l'échelle nationale et internationale.