Le général Mohamed Touati parle. A la retraite et donc non tenu par l'obligation de réserve, il adresse une mise au point écrite très mesurée à l'ex-chef de gouvernement Bélaïd Abdesselam (juillet 1992 - août 1993), publiée hier par Le Soir d'Algérie. Une page et demie pour répondre à un livre de 321 pages dans lequel M. Abdeslam n'a pas lésiné sur les mots pour l'accabler et mettre sur son dos toute la responsabilité de la douloureuse période des années 1990. Le général à la retraite s'est adonné, pour ainsi dire, à un exercice difficile auquel il ne s'est certainement pas habitué. Mohamed Touati, que l'on qualifie de « Moukh (le cerveau) » de l'armée, tente de se défendre d'abord. De récapituler certains « faits » ensuite. Refusant de descendre au caniveau, il regrette d'emblée qu'un homme qui a occupé un poste de responsabilité aussi élevé verse dans un « langage vulgaire » et apporte des « jugements démesurés ». Préférant apporter juste quelques éclaircissements, comme il le précise bien dans sa mise au point, le général Touati qualifie le livre de M. Abdesselam – mis sur Internet il y a des semaines – d'un assemblage d'allégations qui cachent peu les « intentions » de l'auteur. L'homme qui a porté pendant 45 ans l'uniforme de l'ANP souligne qu'il est bien issu d'une famille révolutionnaire qui a bravé les gros moyens du colonisateur dans les montagnes, précisant au passage que son « détracteur » ne s'était exercé « à jouer les foudres de guerre qu'une fois l'indépendance acquise ». Pour mieux illustrer son parcours de maquisard, il rappelle son arrestation à Paris en compagnie de ses neuf camarades le 26 janvier 1957 et son transfert à Alger. Il revient sur ses contacts avec le Trésor français en 1993, comme l'a écrit M. Abdesselam. Le général Touati, tout en les qualifiant de pures « allégations », affirme que ses seuls contacts avec les fonctionnaires français se limitaient aux formalités de police et de douane à Orly. « Penser un instant qu'une structure technique comme le Trésor français puisse un jour dialoguer avec un général étranger quel qu'il soit relève à l'évidence de l'ignorance ou du seul désir de nuire sans crainte du ridicule », mentionne-t-il. S'imposant la retenue dans l'expression, le général Touati n'hésite cependant pas à rappeler les conditions politico-économiques dans lesquelles son adversaire avait laissé le pays : « Ce chef du gouvernement a laissé l'Algérie en cessation de paiement larvée obligeant la Banque d'Algérie à recourir à la pratique périlleuse des suspens. » Il explique dans la foulée « les raisons politiques et la raison économique » qui l'avaient poussé à décliner la proposition de M. Abdesselam de prendre le département de l'Intérieur. L'une de ces raisons, indique le général, c'est sa fidélité à la proclamation du 14 janvier 1992 et au mandat restant du HCE : « Mon interlocuteur voulait sa prolongation. » Il enchaîne en disant qu'il fallait, à ses yeux, changer le schéma de l'époque selon lequel il y a trois pôles de pouvoir : le HCE (le Haut conseil d'Etat), le gouvernement et dans une mesure discrète, l'ANP. Mais aussi, dit-il encore, il ne voulait absolument pas froisser M. Abdesselam en mettant en cause sa façon de gouverner qu'il qualifie de « despotique ». Le général Touati se demande comment l'ex-chef du gouvernement qui lui avait proposé de prendre un poste aussi sensible à l'époque puisse dire de lui aujourd'hui autant de mal. Critiquant les choix économiques de M. Abdesselam à l'époque, le général Touati souligne la justesse de la décision de rééchelonnement qu'il avait lui-même défendu bec et ongles et à cause de laquelle il s'est attiré les foudres de l'ex-chef du gouvernement. « Quand j'ai décliné à l'ex-chef du gouvernement sa proposition du poste de ministre de l'Intérieur au motif qu'il n'y avait pas d'autres solutions que le rééchelonnement, il me répondit : ‘'Tu es donc pour le blanchiment d'argent ?'' Voyez le genre de raccourcis », argumente-t-il, avant d'ajouter que « c'est certainement ce genre de propos tenus à Monsieur le chef du gouvernement qui me vaut aujourd'hui une suspicion derrière je ne sais quel plan de braderie de l'économie nationale ». Il explique n'avoir jamais rencontré personnellement Alain Juppé (ministre des Affaires étrangères du 30 mars 1993 au 18 mai 1995, dans le gouvernement d'Edouard Balladur), affirmant l'avoir vu une seule fois dans une réception à la Résidence El Mithaq au cours d'un déjeuner auquel il avait été invité par feu M'hammed Yazid, directeur général de l'INESG. M. Touati évoque aussi sa cessation d'activité au cabinet du chef du gouvernement au motif que « le programme de la mise en place de la protection des DEC non seulement n'avait pas été réalisé, contrairement à ce qu'on nous disait en réunion, mais en réalité ni le ministre de l'Intérieur ni celui de la Santé n'en voulaient ». Il certifie qu'il ne voulait absolument pas tenir les statistiques des assassinats. « J'ai cessé de travailler la fin mars 1993. Nous étions ce jour-là au 39e DEC assassiné », indique-t-il. Le général Touati considère « l'outrage au bon sens commis par Bélaïd Abdesselam sur Internet » comme une tentative échouée de sa part d'imputer à d'autres les raisons de « ses médiocres performances ». Il estime en définitive qu'il est regrettable que « toutes ces allégations et inepties » viennent d'un honorable dignitaire de l'Etat.