L'initiative de Noureddine Yazid Zerhouni, qui consiste à interroger les citoyens qui s'étaient abstenus aux dernières élections législatives, est loin de faire l'unanimité au sein de la classe politique. Si les partis de l'Administration n'ont pas dérogé à la règle de l'acquiescement à tout ce qui vient du pouvoir central, certains autres partis, moins impliqués dans la gestion des affaires du pays ou carrément exclus de la sphère décisionnelle, ne cachent pas leur opposition à la démarche du ministre de l'Intérieur. Le RND, qui compte cinq ministres au gouvernement, applaudit, sans ambages, l'initiative de Zerhouni. Pour Miloud Chorfi, chargé de la communication, c'est une démarche « louable qui mérite le soutien du parti du moment qu'elle contribuera grandement à décrypter le message contenu dans le fort taux d'abstention lors des dernières législatives ». Le porte-parole du RND, dont le secrétaire général Ahmed Ouyahia a insisté sur l'importance de comprendre pourquoi les citoyens algériens ne s'étaient pas rendus massivement aux urnes le 17 mai dernier, ne doute pas que les résultats de ces enquêtes avec les citoyens seront utiles pour l'avenir, tout en jugeant que se contenter du travail de l'administration centrale reste « insuffisant » pour démonter la problématique de l'abstentionnisme auquel on fait face aujourd'hui. M. Chorfi, qui rappelle la réaction de son parti au lendemain de l'annonce des résultats des législatives du 17 mai, espère que la classe politique se penche, de son côté, sur cette question qui est, à ses yeux, d'une « importance cruciale ». Il estime qu'un tel fait mérite que l'on s'attarde sur ses causes et le prendre au sérieux, car il y va de l'avenir de la pratique démocratique en Algérie. Le FLN abonde dans le même sens. Saïd Bouhedja, député et membre du comité exécutif chargé de la communication, trouve la démarche du ministre de l'Intérieur tout à fait « légitime ». Pour lui, une telle initiative ne pourrait que bénéficier de l'adhésion du vieux parti, dont le secrétaire général, Abdelaziz Belkhadem, est à la tête de l'Exécutif. Il argue cela par le fait que la classe politique est « incapable » de trouver à elle seule des explications à ce comportement abstentionniste des électeurs. « L'Etat doit savoir pourquoi plus de 65% d'électeurs n'ont pas voté. Pour ce faire, on s'adresse directement aux premiers concernés », indique-t-il, ajoutant au passage que le ministère de l'Intérieur qui représente l'Etat a toute la latitude d'agir de sorte que les explications soient trouvées. M. Bouhedja souligne cependant qu'un tel travail administratif ne pourrait que contribuer à comprendre cette abstention massive et répétitive. Les partis doivent, à ses yeux, entreprendre des démarches envers ces citoyens pour savoir ce qui les pousse à bouder l'urne. M. Bouhedja reconnaît l'incapacité des formations politiques non seulement à mobiliser les électeurs derrière leurs programmes, mais aussi à les sensibiliser quant à l'importance d'aller voter. Un tel constat n'est nullement partagé par le MSP, qui siège à côté du FLN et du RND, au sein de l'Alliance présidentielle. Abdelmadjid Menasra, chargé de la communication, n'a pas lésiné sur les mots pour qualifier la démarche de Zerhouni non seulement d'« inutile », mais surtout d'« arbitraire ». Pour M. Menasra, il n'y aurait pas de changement. « Les causes de ce fort taux d'abstention sont connues de tout le monde. Le peuple n'est pas dupe. Il sait que les élections ne sont jamais transparentes et que sa voix n'est pas respectée. En boudant les urnes, il n'a fait qu'exprimer sa volonté du changement qui ne vient toujours pas. Vous voyez ! Le même gouvernement a été presque reconduit », fait-il remarquer. Il estime que si réellement le ministère veut avoir des réponses quant à l'abstention, « il aurait été plus judicieux qu'il confie ce travail à un institut ou à un centre de sondage spécialisé au lieu de faire un travail policier ». M. Menasra refuse que l'on fasse subir des interrogatoires aux citoyens dont le seul tort est d'avoir exprimé leur mécontentement quant au mode de gestion des affaires du pays. « Cela n'est absolument pas une pratique démocratique », dénonce-t-il. M. Menasra souligne que le ministère de l'Intérieur n'est pas à sa première démarche du genre. « Ils ont fait la même chose en 2002. Ils ont interrogé les citoyens abstentionnistes et ça n'a rien changé. Ils ne peuvent plus duper le peuple algérien qui a tout compris. C'est fini. La seule solution est d'opérer des changements profonds », lâche-t-il, sans aller au bout de sa pensée. De son côté, le FFS qualifie d'« irresponsable » le comportement du département ministériel de Yazid Zerhouni. Si le ministère motive son « action » par le souci de mettre à jour les listes électorales, le FFS en décèle une nouvelle « manœuvre » qui vise à « faire pression et à effrayer les citoyens qui en ont marre du processus institutionnel qui leur a été imposé ». Les explications de cette abstention massive aux dernières élections sont à chercher, aux yeux de cette formation, dans la politique suivie depuis l'indépendance par les dirigeants du pays. Le parti de Aït Ahmed estime que « le citoyen algérien ne voit plus l'utilité d'aller voter dans un climat politique où il n'y a plus de libertés publiques et où le vainqueur est désigné et connu d'avance ». Les dirigeants du pays font semblant, comme ils le précisent dans une déclaration rendue publique il y a quelques jours, de n'avoir pas compris le message contenu dans cette abstention massive en tentant des explications à la limite de l'absurde, « allant des jeunes qui sont partis à la plage sous une température avoisinant les 18° jusqu'au changement du lieu de résidence des électeurs ». Pour le FFS, cela démontre que le Pouvoir refuse de décrypter le message contenu dans ce boycott massif des urnes et fait la sourde oreille aux revendications fondamentales d'un peuple martyrisé. L'instruction de Zerhouni oblige les citoyens n'ayant pas changé de lieu de résidence et n'ayant pas voté d'expliquer « les causes et les motifs à l'origine de cette abstention tout en confirmant leur lieu de résidence et leur nom conformément aux listes d'électeurs ». Celui qui refusera de répondre à ces « missives », selon même les termes de Yazid Zerhouni, sera rayé de la liste électorale. Ce dernier a jusque-là interpellé quatre millions d'Algériens.