Certains chanteurs qui se sont produits ce week-end (mercredi et jeudi) au Festival du raï ont, sans doute, fait œuvre utile en incitant les jeunes, majoritaires parmi le public, à ne pas tenter l'aventure de l'immigration clandestine. Oran : De notre bureau El harga », phénomène inquiétant mais malheureusement bien réel, a été un des thèmes du contenu textuel des chansons interprétées cette année. « Sbagna (Espagne) wella ? », a lancé cheb Réda, une des voix prometteuses du raï actuel, s'adressant aux carrés des jeunes visiblement fans du club El Hamri, scandé à maintes reprises. Doté d'une belle voix, ce jeune chanteur a d'abord séduit par sa prestation dont Ana neddiha mâalabaliche btout le monde (je l'épouse et je m'en fout du qu'en dira-t-on) avant d'exécuter un pas de danse spécifique au raï et d'interroger : « Vous allez trouver ça en Espagne ? » en suggérant que la réponse serait évidemment non. Evoquée à l'occasion, « hna ndirou lgalb » est une expression type donc difficilement traduisible, qui veut dire « ici on construit quelque chose ». Nedjma, une étoile filante La soirée du mercredi a été ouverte par Houari Baba, le frère de la célèbre chanteuse de variété Houria Baba. Le don vocal est sans doute un héritage familial pour ce jeune chanteur, qui a souhaité passer en professionnel. Il sera suivi par Kadirou qui a voulu qu'on le laisse pleurer parce qu'il a un problème Khalouni nebki ândi problème, un chagrin d'amour évidemment, le thème éternel. Pour Siham, une des révélations du festival venue d'Alger, il n'est pas question de baisser les bras. Jamais n'abondoné (presque en français dans le texte). Cette belle chanteuse qui étonne par l'accent typiquement oranais, dans Hbibi ça fait longtemps/ hbibi ça fait 100 ans qu'elle adopte, a confié que son parolier, Sofiane, est d'Oran donc imprimant à ses textes un cachet bien local. Lancé dans ses dédicaces par Houari Dauphin, à une époque où le chanteur drainait avec lui au festival de jeunes démunis de son quartier, qui viennent souvent le saluer et le congratuler à la fin de sa prestation, alors qu'il chantait le Sheraton neddi omri, signe visible de richesse, le mot zaoualia (les pauvres) a été transposé dans les textes. En phase avec les mutations sociales, les nouvelles tendances de la société algérienne dont l'opportunisme ne passe pas inaperçu aux yeux des paroliers, comme si l'opposition au niveau symbolique riche/pauvre vient juste d'être intégrée ou acceptée. La célèbre Nedjma en fait référence mais à sa manière. Hormis Siham qui chante Zaouali nmout âlih (pauvre et je suis folle de lui), c'est cheb Hmida qui s'est produit jeudi en donnant une dimension particulière à cet aspect des choses. Kesbou el mel hasbou hadara/ men charita litayara (ils ont l'argent ils croient que c'est ça la civilisation/ de la charrette à l'avion), un passage qui fait référence à l'opportunisme. « Qu'est ce que c'est qu'un milliard ? Tout le monde finira dans la tombe », tonne-t-il quelque peu moraliste (en suggérant de faire le bien), s'adressant au public avant d'entamer sa 2e chanson composée dans le même registre : Ya li tekseb melyoun / alah hasseb rouhek feraoun ? (toi qui possède 1million/ pourquoi te prends-tu pour Pharaon ?). Mais le répertoire de Hmida qui lui aussi conseille aux jeunes de rester en Algérie puise aussi et beaucoup dans le thème classique de l'amour tel que développé par le raï. « Lbareh resletli message/galet li omri twehcht ek / oualla hekmet/ had el khatra ndirou voyage / hia lhiha ouana ana hnaya/ âliha nekhssar karta (hier elle ma envoyé un message/ elle m'a dit mon amour tu me manques /et si ça marche/ cette fois on va faire un voyage / elle est là bas et moi ici/ pour elle je grillerai une carte [téléphonique]) ». Revenue à de meilleurs sentiments, Nedjma, qui ne s'était pas présentée le jour où elle a été programmée en milieu de semaine, a eu, finalement, le privilège de clôturer la soirée de mercredi. Depuis sa révélation, pour son langage cru et le genre gasba, elle est devenue en quelque sorte « l'égérie » du festival. Indémodable grâce à la nature même du personnage, fidèle à elle-même, elle force le respect. Elle aussi a su préserver son image et son amour pour son pays est irréprochable et n'a jamais cessé de le clamer depuis le début. Barraka fi bladi wala château fi lalmane (une baraque dans mon pays vaut mieux qu'un château en Allemagne) clame-t-elle curieusement pour l'Allemagne mais se ravise peut-être en enchaînant sur La sbagna la sidi zekri (Ni Espagne ni Sidi Zekri). Elle chante « pour la jeunesse limordha mdjioubhoum » (les jeunes malades de leurs poches, pour dire fauchés). Sa notoriété fait que ces écarts sont acceptés (Dine mok, une injure) car, hormis l'éloge des papichettes, des zghaba, elle a cette fois intégré zerama (les pickpockets) et même zeramates. Son passage sur scène relève plus de l'endurance que de la chanson, avec ses improvisations langagières très prisées pour leur contenu incisif. Dans le registre nostalgique Hakda kanet ouhrane, tel était Oran, la palme revient à cheikh Mazouzi qui revient après quelques années d'absence. Son style oscille (Rani agité, chante-t-il) entre le traditionnel et le moderne mais sa voix reste celle du terroir, adaptée au chiir el melhoun, la poésie populaire. Le Festival du raï permet, aussi, à d'autres catégories musicales de se faire découvrir auprès du public local pour un meilleur échange. La soirée du jeudi a été consacrée en partie au chant chaoui, notamment avec Yazid Nouaoura, qui a précédé Houari Djazira. Avec celui-ci, on comprend mieux le phénomène du piratage dans le milieu. C'est à lui qu'on doit le tube Nâmar rassi/ impossible nensa lpassé repris par plusieurs chanteurs, dont des vedettes locales. « Moi étant débutant (3 albums, très peu par rapport à la moyenne de production des chanteurs du raï), je sors un titre et, sous prétexte que d'autres ont déjà acquis une notoriété, ils ne se gênent pas de le piquer pour se faire valoir davantage », se plaint-il pour dénoncer une injustice. Cette situation fait en sorte que, souvent, aucun chanteur ne prend le risque à interpréter sur scène un de ses nouveaux titres. Dans beaucoup de cas, on préfère se limiter à des succès déjà galvaudés par d'autres comme ici avec l'ancien Ouled horma (ya b'n ouma) de Bilel. Zhar el ây (la malchance) est un titre révélateur de Houari Djazira affublé de ce pseudonyme (djazira qui veut dire île) croit-il savoir parce que ses parents étaient à l'étranger, « il se retrouve comme vivant sur une île. » Bella… bel air Kader est un autre artiste qui a tenu le haut de l'affiche ce jeudi, en interprétant plusieurs titres dont Aime-moi qui sonne comme une adaptation d'une chanson française mais la comparaison s'arrête au refrain. Anta Mechhour/ andek el djoumhour (tu es célèbre/ tu as un grand public) peut être chantée pour lui-même car lui aussi semble avoir son propre public qui attendait de lui ce titre ya khali et où il pense également que les Algériens sont des kamikazes (dans le sens noble). A une nuit de la clôture du festival prévu pour hier vendredi, c'est Cheb Bella ,qui avec maestria, a clôturé le week-end musical au Théâtre de Verdure. Cet enfant, du quartier Bel Air, est également une des vedettes locales habitué au festival mais ayant su garder une grande modestie. Nestahel Ana (je mérite) Yehsan aoun ezzerga, hada rayek ntiya ouala ntaâ sahabtek (ceci est ton avis ou celui de tes copines) sont les titres qu'il a enchaînés, avant de terminer en apothéose avec lhamri Liverpool, à cause de la couleur rouge et blanc des maillots mais aussi à cause de la nature du jeune public venu l'applaudir.