« En 1962, on dénombrait pas moins de 52 salles de cinéma à Oran, aujourd'hui, leur nombre ne dépasse pas les doigts d'une seule main », déplore Mohamed Aâoued, délégué à la culture à l'APC d'Oran et président de l'Office de la culture et des arts (ex-Acvo). E xception faite des trois ou quatre salles toujours dépendantes de la mairie et de la Cinémathèque « Ouarsenis », aux mains du ministère de la Culture, qui gardent plus ou moins leur fonction initiale, c'est le désastre partout », affirme-t-il. Il nous cite en vrac toutes les atteintes graves portées aux salles de projection qui, jadis, faisaient la fierté de la cité oranaise. « Nous étions les mieux servis en salles de cinéma à l'échelle du pays et même les Européens nous enviaient notre patrimoine ». 45 années après, c'est la désolation totale. Tout le monde en parle mais personne ne lève le petit doigt. Une virée du côté des salles qui échappent à l'autorité communale, nous édifie, sur l'ampleur des dégâts. C'est l'hécatombe et le mot n'est pas assez fort. Il y a, d'abord, les salles qui ont changé totalement de vocation et qui ont été transformées par un tour de passe-passe administratif, dont seuls sont capables les bureaucrates, en espaces commerciaux divers. En ces lieux définitivement soustraits à la culture du loisir, on y trouve de tout, des ateliers de confection d'habits à la menuiserie, de la tôlerie à la vente de casse-croûte douteux et même à la vente d'eau supposée potable, en jerrycans. Il y a, ensuite, les salles qui sont restées des salles de spectacle mais qui, avec l'avènement de la vidéo, leurs gérants sentant l'aubaine, se sont adaptés à l'air du temps pour ne proposer que ce qui est en cassette et quelles cassettes ! Ces vendeurs de rêves de bas étage ne se feront pas prier pour proposer tout ce qui est médiocre et surtout interdit par la morale. Le filon était plus qu'intéressant puisque, avec un investissement nul, on pouvait récolter de l'argent sans baisser le buste. Au fil du temps, du déplacement des enjeux politiques à l'échelle locale, de la redistribution de la rente et du laisser-aller ambiant, les lieux de projection ressembleront à tout sauf à des lieux culturels. Les bâtiments tombent en ruine un à un et celà ne semble aucunement altérer la sérénité des édiles locaux. Ils avaient fort à faire, ailleurs. Il y a bien eu quelques gesticulations mais vite retombées pour cause d'accords tacites réglés par des dessous de table. Les affaires en suspens à la justice peuvent attendre. On continue de faire son beurre. C'est tout bénéfice dans des salles infestées d'odeurs de fric, d'urine et de moisi. Les salles louées à des particuliers « du temps de Chadli », précise Aâoued, « n'ont jamais pu être récupérées parce que la nature du bail était biaisée dès le départ et parce que la magouille, dans les modes de gestion, est toujours présente dans les rouages administratifs », ajoutera-t-il. Les batailles juridiques qui ont fini par opposer certains gérants à l'Apc d'Oran ne sont que de la poudre aux yeux. « Les histoires de loyers impayés et autres contrats non renouvelés à temps ne sont que prétextes pour faire durer la pagaille », grimace notre interlocuteur. « On fait tout pour que ça s'éternise car beaucoup de gens trouvent leurs comptes dans ce pseudo imbroglio juridique », dira le chargé de la culture qui n'oubliera pas, au passage, de charger la division culturelle de l'apc qui, selon lui, « est une immense araignée de 380 personnes perdues dans les dédales d'une organisation figée ». « J'ai une cagnotte de 6 milliards que je ne peux utiliser parce que, chez nous, c'est le règne de la paralysie et parce que les gens qui ont un rapport avec la culture ont peur de tourner du côté de l'apc. Paralysés par une gestion obsolète, nous ne faisons que gérer le quotidien pour ne pas dire nos carrières de fonctionnaires noyés dans l'immobilisme. » Pour revenir au chapitre cinéma et pour mieux étayer ses dires encore, l'élu FLN nous informe qu'un gérant privé a transformé la salle qu'il louait en hôtel et personne parmi l'administration locale (sous le règne de Fric Bachir, l'ancien wali, aujourd'hui en prison) n'avait osé lever le petit doigt pour l'en empêcher. Tout le monde savait et tout le monde se taisait face à l'érection de la structure hôtelière. « Le permis de construire lui a été remis après la construction de la structure hôtelière et c'est lui-même qui est venu l'exiger », nous apprend Aâoued. « La personne en question a régularisé sa situation et continue à côté de cela de gérer deux autres salles, l'une fermée pour l'instant et l'autre faisant fonction de salle des fêtes pour les mariages et autres rencontres festives étrangères au monde du 7e art », nous apprend l'élu. Le redéploiement s'est fait ailleurs loin du cinéma, des arts de la culture de masse et de tout ce qui fait la cité. Selon les incultes, les priorités étaient ailleurs. N'empêche qu'un brin d'espoir, un petit brin, est attendu pour les prochains mois des 3 salles encore directement dépendantes des services de l'APC. Le Es Saâda (le Colisée), El Maghreb,(le Régent) et El Feth (Pigalle) sont en rénovation totale. L'ouverture en salle de projection cinéma de ces lieux emblématiques pour les Oranais qui avaient eu la chance de les fréquenter du temps de leur splendeur, est prévue pour septembre, nous apprend Aâoued. « ça coïncidera avec le Festival du film algérien », précise-t-il. Une hirondelle fera-t-elle le cinéma ? Pas si sûr d'y croire dans une ville clochardisée à outrance et qui a oublié depuis longtemps ce que c'est le grand écran. Le 35 millimètres, c'est déjà la préhistoire pour les ignorants de l'histoire de leur cité. Enfin supposée la leur.