Les serveuses du Altar Bar portent des t-shirts sur lesquels il est écrit de face « Dites à votre mère que vous êtes allé à l'église ». On peut, toutefois, lire sur le dos : « Mais ne lui dites pas ce que vous y avez fait ». Et pour cause, la bâtisse qui abrite cette boîte de nuit branchée à Pittsburgh, en Pennsylvanie (USA), était, il y a sept ans, un lieu de culte catholique romain avant d'être cédée par le diocèse à un particulier pour devenir une discothèque que le nouveau propriétaire a, ironiquement, appelée The Sanctuary (le sanctuaire). Pittsburg (Pennsylvanie, USA). De notre envoyée spéciale Ce dernier la revendra à son tour à ses propriétaires actuels qui en ont fait un lieu de loisirs et qui attire beaucoup d'adeptes. Mais pas forcément ceux de Jésus-Christ. L'eau bénite a été remplacée par toute sorte de breuvages et de cocktails et les croyants ont laissé la place aux disciples de Bacchus et autres joyeux fêtards. Ces « pécheurs » dansent jusqu'à des heures tardives de la nuit aux rythmes endiablés de la salsa et autres genres de musique. Clint Pohl et Mark Pitterich, qui ont racheté l'église Saint Elisabeth, il y a quatre ans, ont voulu, toutefois, maintenir son côté sacré. De l'extérieur, le Altar Bar a tout d'une église. Seule l'enseigne indique qu'il s'agit d'un bar. « On a investi 2 millions de dollars pour réaménager cette église. On a, entre autres, installé un comptoir qui a des croix dessus, symboles du paradis, et des flammes sur le côté, symboles de l'enfer. Le t de Altar Bar qui est inscrit au devant de l'église est en forme de croix. La paroisse a insisté pour retirer tous les objets sacrés tel que les croix et les statues de Jésus et de la Vierge Marie », souligne Amber Ford, directrice du marketing du Altar Bar. Elle avoue être, elle-même, d'une famille catholique et que sa grand-mère a été choquée, quand elle a appris que sa petite fille allait travailler dans une église transformée en boîte de nuit. Situé à l'entrée du Strip District, où réside une forte communauté d'origine italienne, le Altar Bar qui longe Liberty Avenue est devenu un incontournable des lieux à visiter dans ce vieux quartier de Pittsburgh connu aussi pour son marché hebdomadaire de fruits et légumes frais qui se tient chaque samedi. La bâtisse, qui a perdu sa vocation religieuse, est toutefois un lieu de pèlerinage pour ses anciens occupants qui y reviennent souvent, pour se remémorer le passé où des messes et d'autres cérémonies religieuses étaient tenues dans ce qui est actuellement une boîte de nuit. « Nous recevons, souvent, des appels d'anciens habitants de Pittsburgh qui nous demandent s'ils peuvent venir visiter l'église avec leurs parents, qui fêtent leurs noces de diamant et dont la cérémonie a eu lieu ici. », raconte Amber. Elle ne précise pas s'ils choisissent de venir durant le Happy Hour, heure pendant laquelle les bars et restaurants aux Etats-Unis vendent leurs différentes consommations à des prix promotionnels. Selon Amber, la baisse de fréquentation des églises est due au fait que les jeunes croyants ne s'encombrent plus de la nécessité d'avoir un édifice spécifique pour se réunir et faire leurs rituels religieux. Il existe, cependant, quelques nostalgiques qui ont demandé et obtenu des propriétaires du Altar Bar de se rassembler en ce lieu chaque dimanche, entre 18h et 20h pour prier. Les cloches ne retentissent plus, non plus, à l'église catholique romaine St. Ann construite au XVIIIe siècle devenue depuis Mr. Smalls Funhouse. Les nouveaux propriétaires, Mike et Liz Berlin, un jeune couple d'artistes, ont dépensé pas moins de 750 000 dollars pour en faire un studio d'enregistrement ainsi qu'une salle de concerts musicaux. L'impressionnant immeuble situé à Millvale peut accueillir jusqu'à 650 personnes et fait salle comble lorsque de prestigieux groupes ou chanteurs s'y produisent. Ces derniers sont souvent fascinés et enthousiastes à l'idée de faire leurs shows dans cette église qui, de par son aspect extérieur et son architecture, n'a rien à voir avec l'esprit rock'n roll qui prévaut à l'intérieur. « Beaucoup d'artistes ressentent le besoin de venir chanter dans cette salle. C'est quelque chose de spirituel pour eux », témoigne Liz Berlin. Elle-même, était la chanteuse d'un groupe de rock du nom de Rusted Root qui a fait plusieurs tournées mondiales aux côtés d'artistes de renommée mondiale tels que Carlos Santana, les Allmoon Brothers, et Led Zeppelin. Liz confesse qu'elle n'est pas très portée sur la religion même si, elle dit qu'elle est quelque peu spirituelle. « Mon père est juif et ma mère, chrétienne mais moi, je crois juste qu'il y a une vérité », affirme-t-elle sur un ton méditatif. Pas moins d'une quarantaine d'églises ont été fermée,s entre 1989 et 1994, par le diocèse catholique romain de Pittsburgh, en raison de la baisse de fréquentation. Certaines ont été revendues à des particuliers qui les ont transformées en bars, restaurants, discothèques à l'image du Altar Bar et de Mr.Smalls Funhouse, alors que d'autres ont été abandonnées et sont devenues avec l'usure du temps complètement délabrées. Père Ronald Lengwin, porte-parole du diocèse de Pittsburgh, explique cette désaffection des croyants par des raisons historiques liées à l'évolution de Pittsburgh. Celle-ci est passée de ville de l'acier vers laquelle se ruaient plein d'immigrants d'Europe, en raison de ses aciéries et son industrie florissante, à un pôle financier et de services. Entre temps, beaucoup d'eau aura coulé sous les centaines de ponts de Pittsburgh. La faillite et fermeture des aciéries construites sur les berges des rivières ont fait que beaucoup d'habitants de cette petite ville ont préféré aller chercher du travail sous d'autres cieux. Du coup, la fréquentation des églises a sensiblement baissé. « Nous avons perdu 250 000 catholiques qui étaient enregistrés dans nos paroisses », indiquera Père Lengwin, qui soulignera que le nombre d'habitants de Pittsburgh continue à diminuer jusqu'à présent. « Nous avions beaucoup de paroisses dont nous n'avions plus besoin. Partant de là, nous avons conçu un programme de réorganisation et de revitalisation en 1988, pour ne garder que celles dont la communauté avait encore besoin. Ce programme a été lancé en 1999 », relèvera père Lengwin. Si avant chaque communauté ethnique se faisait un point d'honneur d'avoir sa propre paroisse, l'exode de la population, surtout juvénile, les a obligés à se regrouper dans une seule paroisse. « A Southside, six différentes paroisses dont l'italienne et la polonaise ont fusionné pour n'être qu'une », dira à ce propos père Lengwin. L'église catholique romaine essaye de préserver la sacralité de ses immeubles, en les cédant à d'autres communautés chrétiennes tels que les baptistes. Quand à ceux vendus à des particuliers qui ne portent pas particulièrement les enseignements de la Bible dans leurs cœurs, ils sont désacralisés avant chaque opération de ce genre. « Nous retirons les crucifix, les altars. Il nous arrive même de peindre les murs sur lesquels il y a des icônes » assure père Lengwin. Plusieurs paroisses demandent à fermer pour des raisons financières. Il existe actuellement 214 paroisses et 270 églises à Pittsburgh. Elles survivent grâce aux dons des croyants qui les fréquentent, mais plusieurs d'entre elles n'arrivent plus à supporter les lourdes taxes imposées par l'Etat de Pennsylvanie, alors que leurs rentrées d'argent ont baissé de façon substantielle avec le départ de plusieurs fidèles. D'autant plus qu'elles ne reçoivent aucune subvention des pouvoirs publics en raison de la séparation de la religion et de l'Etat. Père Lengwin considère néanmoins, qu'il n'y a pas lieu de dramatiser les choses. « Le plus important est que nous sommes la famille de Dieu. Nous détestons fermer des églises et nous comprenons la tristesse et la colère des gens par rapport à ça », affirme-t-il avec une pointe de regret. Il ne désespère pas de voir Pittsburgh redevenir la ville spirituelle d'antan. « Dans le temps, on l'appelait le Triangle doré en raison des trois rivières qui se rejoignent. Car, pour certaines croyances, notamment bouddhiste, un endroit où il y a trois rivières qui se rejoignent, est sacré. D'ailleurs, c'est pour cette raison qu'il a été décidé d'ériger un centre mondial pour la paix ici », fera-t-il remarquer. Amen.