La moitié ouest de la wilaya de Tipaza recèle des richesses aux couleurs naturelles impressionnantes, mais également des métiers de l'artisanat qui ont du mal à survivre en ces temps « modernes ». Il fait beau et la chaleur suffocante annonce déjà les couleurs pour les estivants qui veulent s'aventurer à l'intérieur du territoire de la wilaya de Tipaza. Il est déjà 9h25, le portail entièrement rouillé de l'unité de production de céramique est fermé. Cette unité, qui fabrique des objets en céramique inédits, sombre dans l'oubli et de surcroît n'intéresse plus personne, en dépit des visites successives des membres du gouvernement, qui ont promis monts et merveilles aux travailleurs. Un équipement vétuste, en panne, tandis que la main-d'œuvre qualifiée, à l'abandon, ne sait plus à quel saint se vouer, pour continuer à vivre de leur savoir-faire et de leur génie. Une halte à la Maison du tapis traditionnel de Cherchell nous fait voyager à travers les différentes régions du pays, à travers les motifs et les couleurs des tapis accrochés aux dix métiers qui demeurent opérationnels. On peut aussi y voir une quantité de tapis exposée à l'étage supérieur. Malheureusement, à l'origine une trentaine de métiers faisaient travailler plus de 300 ouvrières, actuellement il n'en reste que quelques-unes et le nombre de métiers à chuté jusqu'à 10. Cette unité de production de tapis traditionnels de Cherchell de réputation mondiale et capable de produire 23 types de tapis traditionnels de toutes les régions d'Algérie, y compris persan, vit aujourd'hui dans l'incertitude, à l'aube de son centenaire. Elle a commencé à produire les tapis en 1908. Pour subvenir aux charges de leurs unités, les responsables n'ont pas hésité à transformer une salle d'une cinquantaine de mètres carrés en une salle des fêtes, d'une part, et, d'autre part, à rentabiliser son espace extérieur en le transformant en un parking pour véhicules. Les tapis traditionnels de Cherchell ont été exportés vers les palais de l'empire japonais et du royaume britannique. Notre passage dans cette unité a coïncidé avec le début de la mise en place du coton et de la laine de mouton, afin de fabriquer, pour la première fois dans les annales de cette unité, un tapis de couloir mesurant 16,35 m de long et 4 m de large. La matière première (laine / coton) pour la réalisation d'un tapis coûte cher. A proximité de cette unité, dans l'un des bâtiments bâti durant la période coloniale, habite une artisane âgée de 86 ans. Hadja Houria vit de ce métier depuis l'âge de 14 ans. Ses doigts produisent des merveilles avec le coton blanc. « El fetla » produite par cette artisane fait réagir agréablement les rares visiteurs à son domicile. « Oui, mon métier m'a permis de faire vivre mes enfants, nous dit-elle, mais voyez-vous maintenant, mon âge ne me permet pas de travailler comme dans le passé. C'est un métier passionnant qui exige de la patience, de l'intelligence et de l'amour. C'est avec ces matériaux que j'arrive à fabriquer mes œuvres », conclut-elle. Nous nous dirigeons encore vers l'ouest de la wilaya de Tipaza, exactement à Hadjret-Ennous et nous y surprenons l'artisan Younès Boutrif. Il sculpte de différentes roches et du marbre. Il innove pour créer ses œuvres artistiques. Sa matière première émane de toutes les régions d'Algérie. Il nous exhibe la lettre envoyée par le pape Jean-Paul II, en guise d'encouragement et de remerciement. Avec une barbe poussiéreuse et le torse nu, Boutrif explique aux visiteurs la signification de ses œuvres, en mettant l'accent sur leur traçabilité. Quant au prix, c'est au visiteur de proposer et au sculpteur de juger si le coût est acceptable ou pas. Nous quittons le petit musée de Younès Boutrif pour nous rendre chez Si Djelloul Meski, qui habite à Messelmoune, un village dans lequel se trouve la fameuse ferme de Stigès, qui avait abrité la réunion secrète présidée par le général américain Clarck, au mois d'octobre 1942. Au milieu des maisons construites dans une anarchie totale due au laxisme des responsables locaux, nous empruntons un chemin étroit et nous découvrons des ustensiles de cuisine fabriqués de la main de ce patriote. « Les incendies de forêt, cette année, nous ont empêchés de nous approvisionner en troncs d'arbres », nous dit-il. Il s'agit d'arbres rustiques plantés, depuis des années, dans les zones montagneuses lointaines de Bouhlal. L'artisan et patriote si Djelloul achète les troncs d'arbres auprès des agriculteurs. La destruction des espaces naturels et particulièrement des forêts, lui font très mal. La petite pioche, qui lui sert à découper les troncs d'arbres, date depuis 1953. « Elle appartient à mon père, nous dit-il, j'ai appris le métier en sa compagnie, et j'arrive à fabriquer ces plats pour le couscous, utilisés à l'occasion des grandes fêtes, ces cuillères et ces louches en bois », conclut-il avec fierté. Abdallah de Bou Ismaïl nous appelle au téléphone, pour nous informer de sa nouvelle création. Il sculpte ses produits sur les os séchés des mammifères marins. Il est également l'un parmi d'autres artisans, qui vit dans la précarité totale, en dépit des œuvres qu'il crée et réalise avec maestria avec ses doigts. On fait appel à Abdallah dès qu'un mammifère marin s'échoue sur la côte. Il se charge de récupérer tout le squelette du poisson en décomposition. Autant d'artisans qui vivent dans l'anonymat total dans une wilaya qui se targue de sa vocation touristique, autant d'endroits naturels paradisiaques encore vierges ; des atouts d'une valeur inestimable, en mesure de garantir un meilleur avenir économique et social qui mériterait au moins un intérêt. Le sort de la wilaya de Tipaza peut se transformer, si un effort en direction de ces deux aspects est consenti. Les mises en scène initiées officiellement ont trop duré sans résoudre les problèmes de dégradation de l'environnement naturel et la situation précaire des artisans.