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TIPAZA VA RETOURNER A SES DIFFICULTES QUOTIDIENNES
AVEC LA FIN DE L'ETE La face cachée de la saison estivale
Publié dans El Watan le 31 - 08 - 2004

Durant la saison estivale, la wilaya de Tipaza est tout indiquée pour ces centaines de milliers d'estivants en quête d'évasion, de repos, mais également de fraîcheur. Les vacanciers sont émerveillés par la beauté des sites naturels et archéologiques. La côte est alors envahie par les estivants venus nombreux. Certes, c'est la saison, mais la canicule a fait sortir même les plus hésitants.
Plages autorisées ou interdites à la baignade, un paramètre qui n'est plus tenu en compte par ces vagues humaines. Le réseau routier de la wilaya de Tipaza a dévoilé ses limites dans ces situations. Au niveau des localités côtières, avec le nombre sans cesse croissant des véhicules divers de toutes les catégories, les encombrements ont totalement bloqué la circulation durant de longs moments. C'est l'imbroglio, et chaque conducteur tente de sortir de cette file de voitures pour atteindre sa destination le plus tôt possible. Il suffit de quitter la RN 11 pour se rendre compte du quotidien difficile de ces autres Algériens à la recherche d'air frais et d'eau pour vivre. C'est la face cachée de la saison estivale dans la wilaya de Tipaza. Au niveau du barrage de Boukourdane, c'est le bruit d'un moteur d'une pompe à eau qui brise le silence. On continue à irriguer les terres agricoles, en dépit de l'interdiction, à partir du barrage de Boukourdane. Devant nous, des quintaux de tomate sont jetés. C'est une manière de réduire l'abondance de ce légume, afin de ne pas casser les prix. Des traces sur l'immense muraille du barrage indiquent la baisse du niveau d'eau. Cette immense étendue d'eau a totalement métamorphosé le site, tout en mettant en relief sa beauté et ses couleurs. Un petit paradis terrestre qui n'est pas encore exploité. Seize kilomètres plus loin, nous traversons Cherchell. Une ville qui vit de son passé. Son présent est lamentable. Les ordures font désormais partie du décor et ne semblent nullement gêner les passants. A la sortie ouest de la ville, des eaux usées sont jetées à la mer à travers un réseau d'assainissement. Des gamins se trouvent là, à la recherche d'un quelconque objet. Plus à l'ouest, 3,5 km, une fumée se dégage des ordures. C'est la décharge publique implantée au bord de la plage. Au milieu de ces collines d'ordures, des silhouettes d'hommes fouillant les amas de déchets. La mer est calme. Il fait très chaud. Des mouches se posent sur le véhicule. Nous étouffons à bord du véhicule. L'odeur qui se dégage de cette décharge est suffocante. Notre prochaine destination se trouve à 18 km. Les nuages épais et gris voilent le soleil. Des cendres fines tombent. Une drôle d'odeur. C'est un feu de forêt. Personne ne souhaite confirmer. C'est le chemin qui mène vers Sidi Semiane. Aucune voiture ne circule, un vent chaud souffle. Il est devenu insupportable. Un gisement de roches est en exploitation. Ces grandes roches sont destinées aux ponts en construction. Des hameaux épars surgissent au milieu des montagnes vertes. A l'horizon, au milieu d'une série de montagnes, le marabout de Sidi Semiane apparaît. Il faut encore escalader ces montagnes à travers ce chemin de wilaya mal entretenu. De grosses fumées se dégagent de cet horizon lointain. Les dizaines d'hectares de forêts sont dévorées par les flammes. Nous traversons Sidi Semiane sans nous rendre compte, tout simplement, parce que le centre de cette commune est constitué du siège de l'APC, d'une antenne de la poste et d'un centre de santé. Il n'y a pas de bâtiments. Nous empruntons une piste réalisée dans le cadre du désenclavement en zone rurale. Elle est sinueuse, étroite. La conduite devient dangereuse. Impossible d'effectuer une manœuvre pour rebrousser chemin. Il faut parcourir encore des centaines de mètres. On se rapproche des feux, tandis qu'une pluie de cendre commence à tomber. Un homme arrive de loin, fuyant certainement le danger. Sur son âne, il récupère quelques bottes de foin. Nous sommes arrivés dans un endroit, dans lequel il est possible de manœuvrer le véhicule. Une autre ambiance s'installe : la peur au milieu de cette piste, de cet enfer. Il n'y a eu point d'intervention pour limiter les dégâts. Enfin, un habitant nous fait savoir qu'il est très dangereux de s'aventurer de ce côté, car « on a entendu dire qu'il y a un groupe de terroristes qui a été signalé », dit-il. Des enfants habitant les gourbis avoisinants, qui ont l'air de vivre sans inquiétude avec les dangers, sont assis au bord de la piste et observent l'avancée des flammes. Une sorte de documentaire « en live ». Les vacances, la mer, le farniente... un vocabulaire qu'ils ne connaissent pas parfaitement. A quelques encablures, des jeunes filles attendent leur tour pour remplir leurs seaux et leur jerricans à partir de ce filet d'eau qui sort du robinet.
L'eau se raréfie
En ces moments de canicule, l'eau se raréfie, tandis qu'en hiver, les déplacements deviennent de plus en plus difficiles, en raison de l'état des pistes. C'est sur le chant des cigales que nous prenons congé de ses zones qui se trouvent sur les hauteurs de Sidi Semiane. Les habitants des zones rurales de cette localité luttent pour survivre. Il n'y a pas de commerce. C'est une région dans laquelle la misère est présente. Les moyens de transport sont très rares. Une femme enceinte, une personne âgée qui tombe malade, une famille qui veut s'approvisionner en produits alimentaires vitaux, autant de problèmes qui guettent ces habitants quotidiennement. Sur le chemin du retour, des images de ce que nous venons de voir hantent nos esprits. Le véhicule avale des kilomètres. La mer surgit au dernier tournant. Il y a de plus en plus de monde au bord des plages et des criques. On s'enfonce vers l'ouest. Un arrêt à Damous, le temps de prendre place dans un « local », au milieu des citoyens. On se contente d'un plat, un poulet accompagné de purée. L'eau fraîche est devenue indispensable. La faim est calmée. On change d'endroit afin de prendre un café avant de reprendre la route. C'est Beni Mileuk. Un petit village niché dans les montagnes limitrophes des wilayas de Chlef et Aïn Defla. Selon le panneau, c'est une pente à 10° d'une longueur de 17 km. C'est un chemin de wilaya sinueux. Les reliefs sont hostiles aux hommes. Des inscriptions sur les citernes indiquent que l'eau est potable. C'est la sécheresse. Cette vague de chaleur a accentué les difficultés. Muni de son arme à feu, un patriote nous salue. Il rentre chez lui, après avoir effectué sa mission avec des éléments des services de sécurité. Il emprunte une piste poussiéreuse pour regagner son gourbi. Il n'y a pas de fourgon pour le transport des voyageurs. Les camionnettes se chargent du transport des citoyens. Impossible de faire la vitesse en raison des dangers liés à cette route qui continue à monter. Des éléments de la garde communale au milieu de ce paysage lunaire tentent de raccorder un tuyau. La soif. Ils ne refusent pas l'offre pour boire de l'eau fraîche. En revanche, ils refusent d'être pris en photo. On devient impatient et Beni Mileuk n'est toujours pas en vue. Dans cette région, on a l'impression qu'il n'y a point de vie. Un fellah transportant sur son dos deux cageots de tomate tente de rejoindre un autre. La vie est dure au milieu de ces gigantesques montagnes vertes. A notre gauche, le douar de Beni Bouhanou apparaît. Il y a un problème de route. Difficile d'atteindre le douar avec notre véhicule. L'eau est très rare. On s'interroge alors sur la vie des familles de ce douar. « Ils ne veulent pas quitter ces lieux », nous répond plus tard le secrétaire général de l'APC de Beni Mileuk. Une halte au milieu de ce village nous a permis de nous engager dans des discussions très sincères avec les habitants de Beni Mileuk. Le problème d'eau est de nouveau posé. Les promesses de la wilaya ont été partiellement tenues. Des chantiers sont à l'arrêt. Les jeunes de Beni Mileuk sont livrés à eux-mêmes. Les personnes âgées semblent avoir moins de soucis, car leur vie a été très dure. Elles attendent l'heure de la prière, pour aller à la petite mosquée. Quelques fonctionnaires de Beni Mileuk sont branchés avec l'extérieur du pays grâce aux antennes paraboliques.
Le téléphone est un luxe
Hormis les institutions qui en sont dotées, le téléphone est un luxe à Beni Mileuk. Nous reprenons le chemin, au-delà du barrage de la garde communale. Cette piste mène vers El Abadia (Aïn Defla), à 25 km environ. La saison estivale pour ces quelques jeunes qui se sont mis à l'abri des rayons du soleil, sous l'olivier, n'a aucune signification. Ils n'ont pas les moyens pour payer une place dans un bus et s'acheter un short pour se mouiller. Le soir, ils se rencontrent au café. Aucun loisir. Certains ont pu acheter une mobylette, un moyen de transport luxueux pour ces Algériens de l'Algérie d'en bas. Un homme marqué par la fatigue et les soucis familiaux s'arrête devant notre véhicule. Il est surpris. « Etes-vous des journalistes », nous lance-t-il. « Voilà, j'ai mon père âgé de 76 ans, il est malade et je ne trouve pas ce médicament qui est indispensable pour sa santé. Il s'agit de Zeloric, 30 mg en comprimés. Pourriez-vous faire quelque chose pour lui ? », dira-t-il. Il nous explique qu'il est père de cinq enfants et qu'il ne travaille pas. « Je bricole dans l'agriculture, juste pour que mes enfants ne meurent pas de faim », déclare-t-il. En dépit de tous ces malheurs, notre interlocuteur ne s'affole pas et s'en remet à la volonté de Dieu, comme il le dit. Il fait de plus en plus chaud, les feux de forêt ont pris également de l'ampleur dans ces massifs qui se trouvent à l'est de Beni Mileuk. Invraisemblable, le communiqué officiel de la wilaya déclare que les feux de forêt qui ont éclaté dans certains points de la wilaya ont endommagé 60 ha. Or, les dégâts immenses au niveau de Sidi Slimane et au sud de Larhat ne sont pas signalés. En quittant Beni Mileuk, le secrétaire général de l'APC nous fait part également du problème d'eau. « Avec trois citernes, nous n'arrivons pas à satisfaire les citoyens », dit-il. Hocine, un enfant qui surgit du néant pour faire de l'autostop, s'arrête devant le véhicule. Il est à l'aise. Il raconte ses aventures de la veille, à l'occasion de la chasse hebdomadaire. « Juste quatre lièvres et deux perdrix », tel est le gibier pris à la chasse effectuée par une vingtaine de personnes la veille. Certaines sont munies de leurs fusils, les autres de gros bâtons. Les chasseurs étaient accompagnés de leurs chiens. A l'instar de Sidi Semiane, Aghbal, la commune de Beni Mileuk est l'une des plus pauvres de l'Algérie. Ces endroits furent des terrains de prédilection des hordes criminelles durant la dernière décennie. Les populations qui vivent dans ces communes n'ont pas le temps de savourer des moments furtifs de bonheur. Elles luttent pour survivre. Au sein de ces zones rurales enclavées, les citoyens ont su préserver leurs traditions. En revanche, d'autres qui n'ont pas pu supporter la misère ont tout simplement quitté les lieux pour des endroits plus paisibles. De retour à Damous, des maisons en toub se greffent à l'entrée de cette localité. En cette fin de journée, des automobilistes se dirigent vers l'ouest. Quelques centaines de mètres plus loin, une pancarte indique que nous venons de pénétrer dans le territoire de la wilaya de Chlef. La brume a envahi les lieux. Avant la tombée de la nuit, il était souhaitable de regagner notre base (Tipaza). Cette aventure nous a permis d'avoir les pieds sur terre. La mer, le soleil, les nuits agitées au bord de la mer... ne doivent en aucune manière occulter la triste réalité. Il y a des Algériens qui sont totalement privés de vacances. Des enfants qui se perdent au milieu des montagnes. L'oisiveté en zone rurale pour ces jeunes Algériens les a anéantis. C'était cette face cachée des « joies » de la saison estivale à Tipaza qu'il fallait mettre sous les projecteurs. Même les incendies dans ces zones lointaines ne sont pas signalés. Quel destin !


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