Afin de comprendre la situation d'indigence morale et intellectuelle à laquelle nous sommes arrivés, il nous paraît nécessaire de revenir en quelque sorte à l'histoire du radicalisme religieux dans la tradition islamique contemporaine. Aussi, la chronologie des événements dans leur enchaînement montre-t-elle clairement que le monde dit arabo-islamique a commencé à être travaillé sérieusement par de forts courants fondamentalistes depuis quelques décennies. La généalogie de l'islamisme comme doctrine politique et projet social se déploie sur une carrière active qui couvre le dernier tiers du siècle écoulé. Ainsi, la solution islamiste, pour reprendre un slogan bien connu du verbiage creux des doctrinaires radicaux, a-t-elle vécu la consécration en Iran avec la venue de l'ayatollah Khomeiny. Et, nous tous, mesurons depuis plus d'un quart de siècle les distorsions faites au droit et à la justice par l'autocrate illuminé et son successeur guide de la révolution, comme nous assisterons longtemps à toutes les impasses, aux incohérences et aux exactions auxquelles mène cette prétendue solution. On voulait rattraper l'énorme retard accusé dans tous les domaines de la pensée humaine par un retour à une forme de religiosité aliénante et archaïque. Tout comme on croyait pallier les problèmes épineux actuels, de tout ordre, par une fidélité mimétique au passé dans une rétraction du monde islamique à ses origines. L'échec est patent, le désastre humain est conséquent et les ravages culturels qui en résultent n'ont pas besoin d'être démontrés. En réalité, la protohistoire de l'idéologie islamiste apparaît comme un contrecoup à la réforme initiée par le mouvement de la Nahda, la renaissance arabe. Elle fait irruption après le frémissement du bouillonnement culturel et suite à l'effervescence intellectuelle qui ont caractérisé une bonne partie du Machreq et quelques métropoles du Maghreb, alors sous férule coloniale. A ce sujet, la genèse des concepts spécieux qui sous-tendent l'idéologisation de la religion islamique traduit la réaction conservatrice et frileuse face à l'élan de foi, d'espérance et d'enthousiasme qui animait les pères fondateurs et promoteurs de la Nahda. Ceux-ci, dans un mouvement de réforme vitale et créatrice, voulaient accompagner les mutations du monde moderne à la charnière des XIXe et XXe siècles, en décidant d'un véritable aggiornamento afin de dépoussiérer le patrimoine et revitaliser le legs islamique déjà calcifié. Malheureusement, l'impulsion fut de faible amplitude et l'élan ne fut guère porteur. Et, l'onde de la désillusion s'est propagée chargée d'amertume et de déception. Toujours est-il que la renaissance n'était plus que mythique et les espoirs escomptés n'étaient pas au rendez-vous. Alors, la doctrine islamiste a voulu s'y substituer en s'imposant comme un unique remède à tous les maux dont souffre la oumma, cette communauté des croyants désormais bercée par des rêves chimériques et bernée par de vaines promesses. Elle propose un pseudo système de pensée qui se voulait cohérent mais qui n'est – effectivement – que propagande manichéenne simpliste et régression infantilisante au moment où les quelques et rares voix de sagesse clamaient in deserto l'absurdité du projet et la gravité du danger qui le caractérise… (A suivre) L'auteur est Président de la Conférence mondiale des religions pour la paix