Il est clair que les accusations que les travailleurs actionnaires de l'ex-Enadipal, aujourd'hui SPA Sodipal, portent à l'endroit des responsables gestionnaires de cette entité commerciale sont d'une grande gravité. Abus de biens sociaux et dilapidation de deniers publics, gaspillage, mauvaise gestion, gabegie, déprédation, appropriation, détournement, usage de faux (documents et sceaux), mais encore escroquerie, concussion, malversations, corruption… sont les termes graves qu'utilisent, haut le ton et avec grande conviction et sans en démordre aucunement, les travailleurs actionnaires de cette SPA, révélations pour le moins fracassantes dans une cité où les scandales finissent habituellement dans des étouffoirs. Un patrimoine immobilier constitué de quatre unités de vente, un parc composé de plus d'une dizaine de voitures, plus de trente camions de gros tonnage, microbus, ambulance, des chariots élévateurs etc., « tout a disparu ou alors a été loué à notre insu alors que nous sommes actionnaires de plein droit et l'on ne perçoit aucun dividende, absolument rien, sinon quelques miettes ». Les travailleurs actionnaires qui, depuis 2004, ne sont pas assurés et qui n'ont perçu aucun salaire depuis plus de sept années, n'y vont pas de main morte, ils dénoncent dans une lettre adressée au procureur général près le tribunal de Constantine une situation qui les pénalise fortement et qui risque, en perdurant, d'hypothéquer définitivement l'avenir de leur entreprise, si ce n'est déjà fait. Ils viennent, dans une ultime tentative, d'intenter une action en justice contre les responsables de cette mise à sac. Genèse de l'affaire Ainsi, le directeur général, qui actuellement bénéficie d'une indemnité de retraite, le directeur du conseil de direction qui travaille ailleurs et le président du conseil d'administration ainsi que certains membres dudit conseil sont tous mis en cause dans cette affaire scabreuse. Ils sont nommément accusés d'être derrière cette machination et le démantèlement du patrimoine de ce qui fut autrefois le fleuron de la distribution commerciale des produits alimentaires de la wilaya de Constantine. Voyant que leur entreprise était proposée à la liquidation par le holding public de l'Est Holdest, les travailleurs, au nombre de 91, se constituèrent en entité économique, une société de salariés au statut de SPA. Ils décidèrent après sa liquidation de racheter les actifs de l'entreprise en cotisant et en cédant les 80% de leurs droits aux primes et indemnités de licenciement. Le 3 août 1998, un acte est dûment établi en faveur du rachat par les travailleurs de la désormais SPA Sodipal (Société de distribution de produits alimentaires), conformément aux dispositions de l'instruction n°2 du chef du gouvernement, datée du 15/9/1997. Le capital social s'élevait au moment de la cession à 114 000 000 DA auquel viennent s'ajouter 4 unités de vente, dont un siège social (direction) et le transfert d'un matériel roulant d'une valeur totale estimée au moment de son acquisition, le 30 août 1998, à 210 864 800 DA. A ce moment, tout semblait marcher, mais les choses vont commencer une année après à se compliquer. En effet, des tiraillements voient le jour entre les différents responsables, chacun empiétant sur les prérogatives de l'autre, chacun prétendant détenir seul les clefs de la décision et le droit à la représentation ou à la signature. S'ensuivent alors des assemblées générales dont plusieurs se terminant en queue de poisson, faisant un peu plus péricliter l'entreprise, les décisions arrêtées lors de ces assemblées des actionnaires relèvent plus du quiproquo, vu qu'elles démontrent des contradictions inextricables consistant en des résiliations, retraits de confiance, nominations... Cette situation malheureuse va encore se prolonger poussant au pourrissement, avec des débordements qui vont mener les gestionnaires à s'entredéchirer à la barre du palais de justice. Entre temps, les dettes de la société augmentent sans être payées, la caisse d'assurance (CNAS), les services du patrimoine revendiquent leur dû. En l'an 2000, la société se voit geler ses comptes bancaires par opposition de la CNAS qui lui doit la somme de 1,6 milliard de dinars, les travailleurs restent à ce jour sans salaire, sans assurance sociale et sans congé. Depuis cette date, les choses vont se précipiter, des décisions de location d'unités complètes fusent d'un peu partout, chacun y allant de son côté, l'unité de vente sise à Zighoud Youcef est proposée à la location par l'un des gestionnaires, alors que d'autres s'y opposent et vont jusqu'à déposer plainte et procéder à un retrait de confiance au président du conseil d'administration. Autre cas significatif, celui de l'unité de la zone industrielle Palma, convoitée par un laboratoire pharmaceutique qui a finalement obtenu sa location pour la somme de 3 600 000 DA. Cette somme attise la convoitise des gestionnaires, l'un voulant payer les dettes auprès de la caisse d'assurance, l'autre préférant lui trouver d'autres usages, laissant la majorité des travailleurs dans une situation sociale de marginalisés, malgré le fait qu'ils sont actionnaires. L'affaire est au niveau de la justice. Le nouveau siège social est alors transféré vers l'unité du Bardo, mais en 2003, les deux hangars d'une superficie de 520 m2 chacun, qui abritaient l'administration de la société, sont loués avec en plus une bâche à eau à un particulier qui y installa une unité de distribution de boissons et ensuite passera à la production de boissons gazeuses. A ce sujet, les travailleurs parlent de l'établissement d'un faux contrat notarial, d'autant disent-ils que « l'une des clauses de ce supposé contrat indique que le payement des droits de location, qui s'élèvent à 45 000 DA/mois, est empoché directement et en liquide par le gestionnaire qui a établi et signé unilatéralement et sans notre consentement ledit contrat ». Pour ce qui est du parc roulant de la société, les travailleurs n'en reviennent pas, ils pointent un doigt accusateur vers le chef de parc, le responsable de la manutention et celui du magasin des pièces de rechange qui, déclarent-ils, « ont intentionnellement détérioré 10 camions et 6 voitures, ils utilisent par la suite de faux sceaux et revendent le tout comme matériel réformé, ils empochent l'argent sans tenir compte de l'intérêt de l'entreprise ou celui des travailleurs actionnaires ». Que reste-t-il alors de ce parc roulant ? Les travailleurs déclarent : « C'est à tour de bras qu'ils louent les camions et les véhicules pour leur propre compte et sans en référer à quiconque ». Une visite au niveau de l'unité du Bardo nous a permis de constater l'inexistence de véhicules, camions ou matériel. Pour ce qui est de la direction de la société, un travailleur nous indiquera qu'elle a été transférée au niveau de la bâtisse de La Casbah, mais à ce jour elle garde ses portes closes, ce que nous avons effectivement vérifié et confirmé. C'est dire que Sodipal a disparu, puisque physiquement on ne trouve aucune trace d'un quelconque siège social ou d'une administration. Accusés, où êtes-vous ? Le réquisitoire des travailleurs actionnaires spoliés de leurs droits, s'il semble irréfutable et sans équivoque aucune, il reste aux personnes accusées d'avoir fait main basse sur le patrimoine de la SPA Sodipal et qui sont au nombre de 11 de se prononcer et de démonter ce qui leur est imputé dans l'acte d'accusation cosigné par les 39 travailleurs. Leurs noms sont énumérés avec le matériel qu'ils sont supposés avoir illégitimement pris, sur une liste versée au dossier d'accusation remis en début d'année au procureur de la République et sur la base duquel une enquête a été ouverte par les services de la sûreté de wilaya, le 23 janvier 2007. Premier nommé de ladite liste, Kahlouche Salah, président du conseil d'administration (PCA), réfute énergiquement les accusations à son encontre. Bien plus, il déclare détenir seulement deux camions (semi-remorques) qu'il loue et se fait payer directement et en liquide. Il renvoie la balle aux travailleurs : « Ce sont eux qui ont dilapidé le matériel et le mobilier de la société, ils ont vendu les camions et vidé complètement le magasin de pièces de rechange. » Pour ce qui est du siège social de la société, il nous dira : « C'est Boumaza Salah, directeur général, qui, en partant en retraite en 2004, a fermé le siège sis à La Casbah, après avoir pris tous les documents. Il a pourtant été destitué de ce poste en 1999 par le conseil d'administration, mais il l'a récupéré en 2002, de manière illégale. A ce jour, il continue de prétendre être le seul directeur de la société. » Joint par téléphone, le directeur général Boumaza Salah déclare pour sa part avoir fermé le siège en 2003 après avoir résilié les contrats de travail. Il dira en substance : « Personne ne travaillait, la société était en cessation d'activité, ce qui fait qu'on n'avait plus à payer ou à assurer des gens qui ne travaillaient plus. » Pour répondre à ses détracteurs, il dira être toujours le seul et unique directeur général de la société : « A ce jour, je continue à être le premier responsable et je persiste à m'opposer à ceux qui veulent bénéficier d'une assurance auprès de la CNAS, organisme auprès duquel je viens de payer une dette de 1,2 milliard de dinars. » Convaincu que ce sont les travailleurs qui ont « abusé » des biens et du patrimoine de l'entreprise, il nous dira qu'il prépare un bilan exhaustif de la situation de la société, ce après quoi il convoquera une assemblée générale des actionnaires pour situer les responsabilités et éventuellement présenter à la justice un dossier bien ficelé.