Comme toutes les dictatures, celle qui est au pouvoir en Birmanie a entamé hier un vaste mouvement de répression du soulèvement populaire comme en 1988, mais sa volonté d'y mettre fin est cette fois totalement contrariée puisque les manifestants poursuivaient leur mouvement, certains que cette fois, ils ne sont pas seuls et que le monde entier les regarde. Internet a brisé cette solitude et rapproché ce peuple du centre du monde, à supposer qu'il en existe un. Ainsi donc, la junte militaire en Birmanie a commencé hier à réprimer ce mouvement parti d'une revendication contre la vie chère dans ce pays ravagé par la pauvreté, malgré ses immenses réserves de gaz. C'est là d'ailleurs où réside toute la controverse, voire ce laisser-faire accordé par les pays dits démocratiques, rien que pour assurer leur approvisionnement en gaz. Le pouvoir militaire a donc imposé un couvre-feu, procédé à des dizaines d'arrestations et tiré sur les manifestants. Les forces birmanes ont tiré « sur des manifestants » et « on peut être certain que le sang a coulé », a affirmé hier un diplomate français en poste à Rangoun. « Des tirs ont eu lieu par les forces de l'ordre, d'abord en l'air puis sur les manifestants. On ne peut pas savoir s'il y a beaucoup de personnes blessées ou tuées, mais on peut être certain que le sang a coulé », a déclaré M. Mouriez, premier conseiller à l'ambassade de France. « On a plusieurs témoignages qui font état de personnes sur le carreau », a-t-il ajouté. Après avoir bloqué avec des barbelés une avenue de Rangoun proche de la célèbre pagode Shwedagon, les forces de sécurité ont frappé indistinctement les milliers de personnes qui avaient commencé à se rassembler, principalement des jeunes. En quelques minutes, les policiers ont provoqué la fuite des manifestants, tandis que des soldats armés bouclaient le secteur. Un millier de protestataires se sont, par ailleurs, réunis non loin de là, contre lesquels les policiers ont fait usage de gaz lacrymogène, ont relaté des témoins. Confrontés à une montée en puissance des manifestations menées par des moines bouddhistes — 100 000 personnes sont descendues dans les rues respectivement lundi et mardi — les généraux ont profité de la nuit de mardi à mercredi pour prendre d'autres mesures clairement intimidatrices. Des responsables gouvernementaux, juchés sur des camions sillonnant Rangoun, ont d'abord annoncé par haut-parleur un couvre-feu, désormais en vigueur de 21 h à 5 h locales (14h30 à 22h30 GMT). La première ville de Birmanie a aussi été placée sous un régime d'accès restreint, un statut spécial ressemblant à l'état d'urgence. Mandalay, deuxième ville du pays située dans le centre, a fait l'objet des mêmes restrictions. Plus tard dans la nuit, deux personnalités soutenant le mouvement de protestation des bonzes ont été arrêtées à leur domicile : Zaganar, le plus célèbre des comiques birmans, et Win Naing, un homme politique modéré. Ces deux personnalités avaient été vues ces derniers jours à Rangoun en train d'offrir de la nourriture et de l'eau aux moines qui défilaient. « Zaganar a été interpellé chez lui vers 1h30 » hier (19 h GMT mardi) et Win Naing a été appréhendé une heure plus tard, ont précisé des proches. Win Naing, un septuagénaire, avait déjà été interpellé le 8 mars pour avoir organisé une conférence de presse, en faveur de militants politiques qui avaient manifesté contre l'aggravation des conditions de vie en Birmanie. Il avait passé une nuit en prison. Win Naing a toujours essayé de mettre les questions économiques et sociales avant la politique, a précisé un diplomate occidental. De son côté, l'humoriste Zaganar avait publiquement appelé la population à soutenir le mouvement de protestation. « Ce sont les moines qui sont dehors, à prier pour nous, tandis que nous restons chez nous devant la télévision. J'ai honte de nous », avait-il déclaré à la radio Democratic Voice of Burma (DVB), installée dans la capitale norvégienne, Oslo. Dès l'aube, le régime birman avait déployé des centaines de policiers et de militaires, portant des fusils d'assaut, près de monastères et de temples à Rangoun, visiblement pour tenter d'empêcher de nouvelles manifestations. Les forces de sécurité étaient aussi très présentes autour de la mairie. Des Birmans confiaient craindre que la répression continue à prendre un tour nettement plus brutal. Des habitants affluaient vers les magasins, dans le but de stocker des vivres. « Nous continuerons nos marches, nous faisons cela pour le bien et la sécurité du peuple », a déclaré un moine avant d'être chargé par les policiers. Tandis que le face à face se poursuit, l'ONG (organisation non gouvernementale) Transparency international apportait un autre témoignage sur la Birmanie en la plaçant en tête des pays corrompus. Voilà donc l'enjeu.