En ce mois de piété et de miséricorde, les sentiers de la charité sont souvent semés d'embûches. Ceux des restaurants populaires où des âmes sensibles et charitables prennent le temps de tendre la main à leur semblable, dont le seul tort est d'être démunis de tout. Mais, le parcours des ces hommes et de ces femmes charitables qui se dévouent corps et âmes à l'action caritative n'est pas de tout repos. Pour s'en convaincre, il suffit de grimper jusqu'au mamelon du Fort de l'Est, à côté du parc du 20 août, là où l'association « Promotion de la femme » aura installé son resto du cœur, au niveau du restaurant « le panorama, qui domine Tigditt et le populaire quartier de « Kadous El Meddah », que son propriétaire aura mis gracieusement à la disposition de cette dynamique association. Arrivé sur les lieux à 15 heures, la première image qui frappe le regard est cet amas de pommes de terre noires jonchant le sol, d'où émane une odeur pestilentielle. Impossible de ne pas faire le lien avec l'activité caritative qui prend forme en ces lieux. Une fois à l'intérieur de l'immense local, il règne une ambiance très particulière. Une bonne dizaine de femmes aux allures débonnaires s'affairent à nettoyer les lieux. Partout ça sent la propreté et l'ordre. Du fond de la salle, une légère odeur de chorba nous renseigne enfin sur l'activité principale qui s'y déroule. Il s'agit bien d'un restaurant comme il y en une dizaine dans la ville ; qui offrent à la population des démunis un repas chaud quotidien. Alors qu'un homme avenant nous invite à visiter les lieux, nous sentons chez nos hôtes une gêne certaine. Nous comprenons très vite que nous sommes arrivés en retard ; la distribution des 250 repas est déjà terminée. Dire qu'il est à peine 15 heures, soit près de 4 heures avant la rupture du jeûne ! Au fond de la salle, un tas de pomme de terre est entreposé à même le sol. C'est de là que proviennent les tubercules déposés à l'entrée du restaurant. Des mains fort expertes auront réussi à faire un tri là où il nous est difficile de faire la moindre discrimination. Les tubercules sont aussi noirs que ceux jetés à l'extérieur, la peau complètement cramoisie fait penser à des crapauds adultes. Les tubercules complètement ramollis n'ont plus qu'une douteuse ressemblance avec nos pommes de terre du terroir. Renseignement pris, elles proviennent d'un don fait par un particulier qui les aura importées du Canada. Il s'agit bien de la fameuse pomme de terre noire qui habituellement sert de pitance aux cochons. Comment est-elle parvenue jusqu'à ce resto du cœur ? Les regards gênés de nos interlocuteurs nous dissuadent d'en savoir plus. Plat de résistance à base de légumes La présidente de l'association, qui vient de sortir d'une séance de dialyse, n'hésite pas à mettre en exergue le travail qu'elle accomplit tous les jours avec sa vingtaine de bénévoles. Le restaurant, avec des moyens dérisoires et une mobilisation exemplaire, sert en moyenne 250 paniers/j. Chaque famille reçoit l'équivalent de 5 repas. L'ordinaire dépend essentiellement des dons de particuliers. Alors qu'une moyenne de 500 baguettes de pains est régulièrement ramenée par des donateurs, le reste du repas est constitué d'une chorba et parfois d'un plat de résistance fait à base de légumes ou de pâtes. Le CRA contribue journellement avec 20 sachets de lait ! En ce qui concerne l'aide institutionnelle, elle parait insignifiante, voire dérisoire. La présidente nous montre un bon d'achat remis par le DAS d'une valeur de 10 000 dinars. Au 19ème jour du ramadhan, elle nous assure que c'est le second qu'elle reçoit. L'APC de Mostaganem n'aura même pas fait un geste. La présidente soulignera que c'est grâce à la subvention de 2006 -d'une valeur de 60 000 DA- qu'elle aura entamé l'opération. A cet instant, l'ombre d'une femme, la soixantaine difficilement assumée, s'approche. Manifestement elle est inconnue du personnel. On lui demande s'il elle est inscrite et c'est en larmes qu'elle remue négativement la tête. Un moment de flottement envahit la salle. Tous les présents savent qu'il n'y a plus de chorba et que cette dame ne peut pas rentrer à la maison les mains vides. Il faudra encore une fois partager et donc réduire les parts des ces bénévoles qui sont aussi démunis que ceux d'en face. Ce fut un moment d'une rare intensité où le miracle de la générosité humaine parvient à rendre l'espoir à moins de 4 heures de la délivrance. Sur les hauteurs de la ville repue, la misère a encore des jambes pour grimper aussi haut. Elle a également ce regard égaré de celles qui souffrent quotidiennement en silence. Ces mères de famille dont les orphelins attendent tous les soirs qu'une âme charitable offrent autre chose que ces patates à peaux de crapauds. Le miracle ce sont également ces cageots de légumes abandonnés du coté du marché de Aïn Sefra ou de celui de « Soug El Leil » que les bénévoles vont récupérer au prix de mille efforts. Tout juste pour qu'aucun orphelin ne s'endorme le ventre creux.