C'est dans une salle d'audience très vite transformée en étouffoir que s'est ouvert lundi matin le procès très attendu du directeur de l'hebdomadaire Al Doustour, Ibrahim Issa, qui a publié plusieurs articles en août dernier se rapportant à la santé du président Hosni Moubarak, décrite comme étant dans un état très critique. Le même Ibrahim Issa venait d'être condamné ainsi que trois autres rédacteurs en chef d'hebdomadaires privés, le 13 septembre dernier, à un an de prison ferme et aux travaux forcés pour avoir publié le même type d'informations il y a plus d'un an de cela. Cette rentrée sociale égyptienne, par ailleurs marquée par des mouvements de grève importants dans le secteur du textile et la répression accrue des militants des Frères musulmans, se révèle pour le moins très dense en matière de condamnations de journalistes : car entre les condamnations du 13 septembre et celle attendue du procès en cours du directeur d'Al Doustour, trois autres journalistes du quotidien Al Wafd ont été condamnés le 24 septembre dernier à deux ans de prison ferme pour « atteinte à la réputation de la justice ». C'est donc dans ce climat de raideur accrue du gouvernement égyptien à l'encontre de ses contestataires qu'il faut lire la tension palpable qui a marqué l'atmosphère au tribunal hier matin avant et pendant l'ouverture de l'audience. Fourgons de police encerclant le tribunal, plusieurs rangées de policiers à l'intérieur et à l'extérieur du bâtiment, filtrant les papiers d'identité de tous ceux qui souhaitaient pénétrer la salle d'audience, nombre impressionnant présent à la fois de journalistes mais aussi d'avocats venus représenter la défense ou les parties civiles. Absent de l'audience, le journaliste et pamphlétaire Ibrahim Issa a préféré se faire représenter par une cohue d'avocats en verve. Architecte du succès d'Al Doustour, ses procès en avalanche ont en fait une célébrité locale et ses brûlots anti-Moubarak ont contribué à l'essor rapide de l'hebdomadaire qui, après quelques années d'existence, a réussi à lancer avec un certain succès, il y a plusieurs mois, une édition quotidienne dans un champ médiatique déjà très touffu. C'est donc dans une grande confusion de jeux de manches des avocats de la défense et des avocats des plaignants, des jeux de coudes des cameramen, photographes et journalistes, sans parler des nombreux policiers en civil présents, que l'assistance a vu le juge se retirer pour délibérer à propos de la requête de la défense d'ajourner la séance pour lui permettre de préparer « ce procès historique ». Et alors que les délibérations du juge se faisaient attendre, des tracts anti-Ibrahim Issa et « une presse qui s'est spécialisée dans la déstabilisation de l'Etat » étaient distribués par des avocats qui annonçaient qu'ils se portaient défenseurs spontanés de l'opinion publique et de l'intérêt général et qu'ils attaqueraient dorénavant en justice tous ceux qui écrivent dans le « but de noircir l'atmosphère et apporter tristesse et déprime au peuple ». D'autres avocats, parmi les représentants des huit plaignants contre Al Doustour, majoritairement au nom du PND, parti au pouvoir, ont eux décidé d'annoncer qu'ils retiraient leur plainte, « en dépit du peu d'estime qu'ils portent à Ibrahim Issa, mais parce qu'ils ne veulent pas faire obstacle à la liberté de la presse ». Et alors que les pour et les anti-Doustour s'affrontaient allégrement sous les projecteurs des caméras, le juge a fini par refaire apparition et annoncer l'ajournement de l'audience au 24 octobre prochain. En attendant, quinze journaux, hebdomadaires et quotidiens, tous du secteur privé, ont décidé de ne pas paraître pour une grève le 7 octobre prochain, en protestation contre ce qu'ils considèrent comme du harcèlement et de l'intimidation.