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Entre bides monumentaux et castings sauvages
Programmes télé spécial ramadhan 2007
Publié dans El Watan le 08 - 10 - 2007

Décevante et lamentable ENTV en ce Ramadhan 2007. La très « spéciale » grille du Ramadhan, censée répondre aux attentes de millions de téléspectateurs algériens en programmes de qualité, s'est révélée sans consistance, sans saveur.
Les gros moyens financiers engagés pour la réalisation de programmes de divertissements, de séries humoristiques et autres feuilletons n'ont pu rehausser la production audiovisuelle nationale au niveau des standards reconnus. Insipides, décalés de la réalité, manquant cruellement de fraîcheur et de texture, ces programmes ont fini par transformer de grands moments de télévision en rendez-vous avec le supplice. Il en est ainsi du rendez-vous annuel donné par la « caméra cachée » à ses téléspectateurs. Réalisé par Mourad Khan et diffusé en prime time ramadhanèsque (après l'adhan, à 19h15), le programme a fait chou blanc. Fade, sans finesse, agressive et dispendieuse – elle aurait coûté à son sponsor, Allo OTA, plus de 40 millions de dinars (estimation Vox Algérie)–, la « caméra cachée » a cristallisé à elle seule tout le raté monumental de la grille Ramadhan. Il n'est cependant pas le seul programme à navrer le public et à le pousser à sanctionner la télévision publique en se défaussant non sans regret sur les chaînes étrangères. Bien que retirée de la grille sous la pression, dit-on du sponsor, la caméra pas très cachée de Khan, le cauchemar télévisé continue avec une autre, encore plus indigeste. D'autres comme Hal ouaahoual et Kharij tartia (Hors champ), ont encore du mal à décoller et à gagner les faveurs d'un public exigeant et fin connaisseur. Hormis quelques étincelles et bonnes prestations, ces deux courtes séries humoristiques, sponsorisées à hauteur de 40 millions de dinars, ont aussi fait naufrage. Idem pour la Star académie nationale, Alhane oua chabab (produite par Maghreb Film), qui a balayé le dernier espoir d'un sursaut salutaire du média public. Pourtant du côté du boulevard des Martyrs, on ne panique point devant l'antimatière. Même le vice a ses vertus. « Nouveauté », « algériannité », « richesse » et « convivialité », c'est en ces mots que le PDG de l'ENTV, Hamraoui Habib Chawki, et son directeur de la programmation ont présenté quelques jours avant le début du Ramadhan la grille des programmes. Discours rassurant et une réalité qui ne l'est pas du tout. Si le défaut de la qualité des programmes est désormais un fait qui ne prête plus à contestation, les responsabilités sont diluées. Prudents, les producteurs de fiction préfèrent pour nombre d'entre-eux ne pas trop s'avancer sur le terrain de la critique. On parle difficilement quand on a la bouche pleine. A peine si on ose murmurer les initiales de « HHC » et désigner sa gestion qu'on qualifie de « chaotique ». La dégradation du niveau des programmes est imputée également au « climat général » dans lequel évoluent le cinéma et la télévision et au « verrouillage » systématique de la télévision d'Etat. Unique débouché pour la production audiovisuelle nationale, l'ENTV « use et abuse » de la position dominante du seul média lourd agréé dans tout le secteur. Symptomatique de cette hégémonie ravageuse, le nombre de producteurs de fiction à avoir les « bonnes grâces » de la chaîne publique s'est drastiquement réduit depuis 2005. Sur les 45 producteurs indépendants, quelques-uns seulement ont été admis au panthéon de l'ENTV cette année, nous explique-t-on.
Le monopole... de la médiocrité
Parmi eux figurent Badivision, Vox Algérie, Sd-Box, AAAV Com et l'incontournable Maghreb Films, qui détient la part du lion en matière de programmes de production acceptés par la direction de l'ENTV. La boîte que dirige l'ancien journaliste de la chaîne, A. Bahloul, prend du poil de la bête et enrichit chaque année sa palette. Après sa méga production, Babour Edzaïr, il y a deux ans, très mal accueillie par le public, Maghreb Films investit tous les créneaux de la production. Ce qui n'est pas sans susciter bien évidemment interrogations par-ci et jalousie par-là. Nos tentatives de joindre et M. Bahloul et Djamel Ben Rabah, directeur de la production à l'ENTV, ont été infructueuses. Autre raison expliquant la « faiblesse » des programmes, selon Tachekort Ahmed, le défaut de formation. Pour le directeur de l'Institut supérieur des métiers des arts du spectacle et de l'audiovisuel (ISMAS), le handicap est sérieux, car le pays renoue à peine avec la formation des comédiens et aux métiers de la production audiovisuelle. L'institut élargit à partir de cette année sa gamme de formation. Les formations d'assistant de réalisation, de prise de vue, de montage et de scénario seront dispensées pour certaines d'entre elles à partir de l'année en cours. Doté d'un budget de fonctionnement de 65 millions de dinars, l'ISMAS aspire à remplir les fonctions dévolues à une « école du cinéma », structure étrangement inexistante en Algérie. Ce déficit a amené, aux dires de Tachekort, les pouvoirs publics à chercher une solution palliative. « Construire une école de cinéma, dit-il, coûte cher, alors plutôt qu'attendre son avènement, on lance ces formations. » Depuis 1993, date à laquelle l'Institut national des arts dramatiques devient Institut de formation supérieure, cette structure basée à Bordj El Kiffan (est d'Alger), fort peu connue, peine à faire le plein de bacheliers, même après le réaménagement des conditions d'admission. Le bac qui était obligatoire n'est plus de mise et le candidat peut être admis avec le niveau terminal « plus » un concours. Cela n'a pas attiré grand monde pour autant. C'est le cas cette année où le nombre de candidats n'a pas dépassé les 35. Un « désintérêt » qui a d'ailleurs poussé la direction à programmer en désespoir de cause une seconde session pour ce mois-ci. La désaffection des candidats s'explique, d'après le responsable, par la « nouveauté » que constituent les nouvelles filières et par le statut déconsidérant de l'artiste en Algérie. Pour rendre plus visible l'Ismas, le ministère de l'Enseignement supérieur a promis de faire figurer celui-ci dans le guide des nouveaux bacheliers. Cela n'a pas été fait encore, regrette Tachekort. Tout n'est pas problématique pour autant, estime-t-il. Les étudiants de l'Ismas sont très sollicités par le théâtre et la télévision. « Les nouvelles figures que vous voyez à la télé, les pièces de théâtre montées dans le cadre d'Alger capitale de la culture arabe, portent toutes la griffe de l'Ismas », affirme satisfait le directeur de l'institut. Nombreux également sont les réalisateurs à venir y faire leurs castings. Néanmoins, le « défi » demeure, selon lui, de dispenser une formation qui calque à la réalité algérienne et de « développer pour l'école une méthode de formation qui permettra de jouer le répertoire algérien. Même si celui-ci reste encore à inventer ». « On ne peut pas former des comédiens à l'étranger. En France, en Russie ou en Allemagne, les comédiens sont formés suivant une dramaturgie, une philosophie propre à ces pays et on ne peut continuer à former suivant la méthode occidentale, comme cela a toujours été le cas pour n'aboutir qu'à des adaptions. »
« Métiers en voie de disparitions »
C'est ce qui explique le fait que la première génération de comédiens algériens s'est abreuvée de la méthode occidentale. La nouvelle génération « évolue différemment ». Preuve en est que le théâtre cette année connaît une « forte production » à la faveur de la manifestation d'Alger, capitale de la culture arabe. Le syndrome du manque de « texte » qui affecte le théâtre et le cinéma ne se présente plus avec la même persistance. « Nous nous sommes dits que de par le monde, on ne trouve pas d'école qui forme exclusivement des écrivains, mais nous avons formé une soixantaine de critiques de théâtre qui se mettent actuellement à l'écriture. » L'Ismas compte aussi former des scénaristes prochainement et à pallier l'absence d'un corps de métiers si indispensables au même titre que d'autres qui font cruellement défaut. La réussite du « plan de relance du cinéma », fait sien par les pouvoirs publics, demeure tributaire de la qualité et de la diversité de la formation. Un travail pluridisciplinaire et un chantier titanesque attendent la corporation. « Il faut savoir, conclut-il, que la formation et la production sont les enjeux cruciaux de la relance du cinéma » et l'amélioration de la qualité passe inexorablement par une « action de l'Etat » qui doit « remettre de l'ordre dans les boîtes de production ». Une démarche qui serait, d'après lui, déjà prévue dans la loi sur l'audiovisuel qui « verra le jour prochainement ». Pour remédier à la situation des « producteurs qui ne travaillent que pour une seule chaîne de télévision, et il faudrait multiplier les canaux, les salles de spectacle, les théâtres et instaurer l'esprit de concurrence », Sid-Ahmed Guenaoui, producteur de la série à succès Nass Mellah City, de Caméra cachée version Ramadhan 2006 et du feuilleton actuellement sur les écrans Maoued maâ al kadar, se montre moins optimiste. La production vit, selon lui, une situation dramatique qui se répercute inévitablement sur la qualité des programmes. Les raisons en sont nombreuses, selon Sid-Ahmed : d'abord l'incompétence, l'amateurisme, « perceptible » dans toutes les phases de production et de réalisation, et le flou artistique entourant la gestion de la production audiovisuelle. Sid-Ahmed déplore l'absence de compétences. « On ne forme pas de régisseurs, de scripteurs, d'accessoiristes… » Des métiers en voie de disparition, car la « relève n'est pas assurée ». « Observez bien certaines séries et vous vous rendrez compte de l'ampleur des erreurs professionnelles commises : mauvais cadrage, prise de son et/ou de vue aléatoire, usage répétitif des mêmes accessoires et objets décoratifs… », fait-il remarquer. En plus des tares dues à la non-maîtrise professionnelle, la production se doit de gérer les tendances et comportements du nouveau collège de comédiens algériens. « Entre un comédien de la trempe et de la carrure de Sid-Ahmed Agoumi et certains jeunes acteurs, l'écart ne peut être qu'immense. » « Nos jeunes acteurs préfèrent l'improvisation au respect du texte », souligne le producteur. Il raconte que le feuilleton Maoued maâ al kadar a dépassé d'un mois le délai de sa mise en boîte à cause de certains « comédiens qui n'avaient pas appris leurs textes ». Un collège qui « offre peu de choix et de possibilités ». Pour illustrer le « déficit » en acteurs de qualité, Sid-Ahmed donne pour exemple son feuilleton. Selon lui, le réalisateur de Maoued maâ al kadar, Djafaâr Gacem a fait appel pour les besoins du tournage d'une seule scène à 5 huissiers de justice pour réussir la prise ! Dans Nass Mellah City, témoigne-t-il encore, l'équipe a eu recours au casting sauvage pour engager des comédiens. C'est quelque part le « prix à payer quand on ne travaille qu'une fois par an et pour un seul et unique client », conclut Sid-Ahmed Guenaoui.


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