Alors qu'il s'attelle à son 20e ouvrage et à l'approche de sa venue au SILA, le romancier fait part de son expérience, de ses convictions, de ses joies et inimitiés. Vous arrivez du Brésil où vous avez d'ailleurs passé le début du Ramadhan. Etiez-vous le seul écrivain arabe présent à la rencontre littéraire qui s'y tenait ? Oui, j'étais invité à Sao Polo pour la promotion de la sortie du troisième volet de la trilogie du malentendu, Les sirènes de Bagdad et les Brésiliens ont profité de mon passage pour m'inviter au Salon du livre de Rio. Etes -vous content de rentrer chez vous ? Oui, d'abord parce qu'à l'étranger et loin de la famille, le Ramadhan n'est pas facile et parce que je suis en phase d'écriture et que dans ces moments là, j'aime m'y consacrer à plein temps. A quoi attribuez-vous la reconnaissance dont vous disposez maintenant dans le monde entier ? Je ne sais pas, je l'explique peut-être modestement par mon travail. J'ai écrit des livres qui ont touché et intéressé beaucoup de gens. Justement, selon vous, qu'est-ce qui les touche dans les paroles d'un Algérien ? Difficile à dire, c'est peut-être une voix nouvelle, une voix sincère où ils se retrouvent et qui repose sur un capital-expérience assez considérable. Je trouve que l'Algérie et les Algériens sont un laboratoire phénoménal pour ceux qui veulent s'instruire des choses du monde. Il y a eu dans cette reconnaissance internationale des moments de déception. Certains livres n'ont pas eu l'accueil qu'ils auraient dû avoir. Je pense particulièrement aux Sirènes de Bagdad… L'accueil médiatique a été au top pour Les Sirènes, en France en Europe et partout où il est sorti. Je dis simplement qu'en France, quand on veut marginaliser quelqu'un, on y arrive facilement parce que, d'un seul coup, tout le monde accepte de jouer le jeu. Avec Les Sirènes de Bagdad , j'ai eu quand même la preuve extraordinaire que quand Paris décide de disqualifier quelqu'un, les autres suivent. C'est un livre qui a été déclaré par certains critiques l'un des meilleurs, sinon le meilleur de la rentrée 2006, mais il n'a été retenu par aucun jury de prix. C'est quand même un peu bizarre, non ? Est-ce calculé, prémédité ? Oui, mais ce n'est pas une cabale. Plus qu'autre chose, ma voix dérange les Occidentaux, les chapelles bien pensantes occidentales. Pourtant vous êtes reconnu, vous-vous êtes fait un nom … Oui, heureusement. Etes-vous reconnu plus par le microcosme médiatique, littéraire et intellectuel que par le public ? Non, je suis plus reconnu par le public qui me soutient. En France, notamment, ce que vous craignez le plus, plus que la mauvaise qualité des ouvrages, dont certains sont tout de même défendus, et promus, c'est la mauvaise qualité de certaines critiques ... Cela ne m'a jamais vraiment effleuré. Pour moi, chacun réagit comme il l'entend. Il y a certains qui sont sincères dans leur façon de ne pas m'apprécier, c'est leur choix donc je n'ai rien à dire. Il y en a d'autres qui mentent, qui cherchent à défigurer mon image, à me nuire de façon assez mesquine. Ces gens-là, je les retrouve surtout en Algérie, plus qu'à l'étranger. Donc, lorsque vous parlez de médiocratie médiatique, c'est aussi bien en France qu'en Algérie… Non, en France quand même, les gens ont peur pour leur propre image, ils ne peuvent pas écrire n'importe quoi ou critiquer un livre bien accueilli par un large lectorat, du plus basique jusqu'à l'université. Je parle surtout des pays où il y a l'impunité, où un journaliste peut écrire ce qu'il veut, il n'a aucune personnalité à défendre, aucune intégrité, sans déontologie. Je parle des pays comme l'Algérie. Justement en Algérie, vous allez bientôt être présent au Salon du livre, un an après une polémique à ce sujet… Il n'y a pas eu de polémique, seulement une prise de bec. J'ai seulement envoyé balader quelques pseudos-journalistes. Je ne compte pas sur eux. Je n'ai jamais compté sur eux et celui qui comptera un jour sur eux, finira dans le fossé. Il y a beaucoup d'Algériens qui m'aiment, c'est pour eux que j'irais au Salon. Justement, dans quel état d'esprit allez-vous vous rendre au salon, après l'épisode de l'an dernier ? Il n'a jamais commencé pour moi. Si on veut du sensationnel pour vendre des journaux, moi, ce qui m'intéresse, ce sont les lecteurs. Et puis, il y a des gens qui me suivent et des journalistes qui me respectent et m'encouragent, ce sont eux que j'aime rencontrer. Les autres, ce sont des ombres chinoises. Vous partez sur Alger avec sérénité … Mais je suis toujours parti où je veux avec sérénité ! La littérature, pour vous, est-ce une thérapie ou une vocation ? Il y a certaines chapelles occidentales qui pensent que les Algériens écrivent parce qu'ils sont malades. Que tous nos livres publiés durant ces dernières années noires répondent à une urgence pathologique. Moi, je leur dis qu'ils écrivent parce qu'ils ont du talent. Nous sommes des écrivains. Et comment vous le leur prouvez ? En leur damant le pion sur le plan international. Quand on voit que dans de prestigieux salons internationaux, je suis le seul représentant de la littérature française, cela doit leur donner à réfléchir. C'est parce que vous avez ouvert un espace où ils se reconnaissent. Kaboul, Israël, la Palestine, l'Irak… Non, je suis d'abord connu grâce à mes livres écrits sur l'Algérie. A propos de L'écrivain , le livre où vous-vous dévoilez, vous avez dit que vous avez donné un peu de votre pudeur au lecteur... Parce que quand même les lecteurs, à leur insu, m'ont beaucoup apporté, sans savoir qui j'étais. Ils m'ont apporté leur enthousiasme et m'ont permis de continuer de croire et de vouloir survivre à la guerre contre le terrorisme dans laquelle j'étais engagé. L'écrivain , c'est ma façon à moi de leur dire merci. Vous dites que le plus important, c'est l'homme … C'est l'intelligence, ce n'est pas l'homme. L'homme a été créé pour incarner l'intelligence, pour qu'il s'élève, qu'il grandisse. Quand il reste dans la bestialité, il ne m'intéresse pas. Cela signifie que dans vos livres, lorsque vous parlez de la bestialité, c'est pour dire que l'homme peut s'élever ? Oui, pour prouver d'abord l'inconsistance des engagements quand ils se placent dans la violence et dans la négation de l'autre et indiquer qu'il y a d'autres voies, d'autres issues, peut-être moins spectaculaires, mais plus efficaces. La littérature, c'est un long chemin. Où vous situez-vous sur ce trajet ? Sincèrement, je ne me pose jamais la question. Je continue d'écrire en toute sérénité. Aujourd'hui, j'ai la cote, demain je pourrais la perdre. Le lectorat est versatile, il peut laisser tomber quelqu'un qu'il a soutenu. Que faut-il donner au lecteur pour ne pas le perdre ? Beaucoup de sa générosité, de sa sincérité et beaucoup de talent surtout. Vos premiers livres publiés en Algérie sous votre vrai nom, vous les dédaignez aujourd'hui. Est-ce parce que vous n'aviez pas pu y mettre tout ce que vous vouliez, est-ce une autocensure ? Non, ce sont mes livres. Ils n'apportaient rien d'extraordinaire, ils étaient assez modestes, mais ils situaient ma verve littéraire de l'époque. Moi, je ne suis pas né avec un talent, tous les talents se peaufinent et se travaillent et forcissent avec le temps. Votre prochain livre, peut-on en parler en deux mots ? Ce sera une histoire d'amour qui se passera en Algérie et qui commencera dans les années 1930 pour aller jusqu'au jour d'aujourd'hui. Je survole cette période historique. Je vais essayer de parler d'un amour impossible. Mon personnage est quelqu'un qui est bien placé dans la société élevé par un oncle pharmacien. C'est quelqu'un qui habite dans le quartier européen, loin des Arabes. Serait-ce une histoire d'amour entre deux cultures, entre un Algérien et une Française ? Oui, mais c'est un amour impossible. Je ne veux pas en dire plus. Je préfère que les lecteurs le découvrent par eux-mêmes…