La corruption en Algérie est en voie de devenir un sport de masse, hypothéquant de fait tout effort de développement économique. Secret de Polichinelle, des organisations internationales viennent tout de même nous rappeler épisodiquement cette triste réalité. Et dans son dernier rapport « Global Corruption Report 2007 », l'ONG Transparency International (TI) classe l'Algérie à la 99e place sur 179 pays selon l'indice de perception de la corruption (IPC) avec une note peu enviable de 3 sur 10. Si la corruption est loin d'être l'apanage de pays en voie de développement ou pauvres, des experts ne manquent pas cependant de souligner la forte corrélation entre ce fléau et les économies de rentes notamment pétrolières. Dans un de ses rapports, l'Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC), a estimé que l'énorme manne financière des deux programmes de soutien à la relance économique (PSRE) et de celui de soutien à la croissance (PCSC) ont connu " plusieurs cas de dépassements ". " Des budgets qui sont sans cesse revus à la hausse et élastiques à souhait par la seule volonté de l'Exécutif " note le rapport qui met l'accent sur la conclusion de marchés de gré à gré, " devenue une pratique généralisée " et qui touche tous les secteurs : agriculture, transport, tourisme, culture, santé, justice, finances, etc. Directeur de l'Institut des ressources humaines d'Oran (IDRH), l'économiste Mohamed Bahloul considère qu'il y a une " forte corrélation entre l'augmentation des revenus du pétrole, le financement de la croissance par le budget, la structuration de l'économie algérienne en économie de projets publics, la faiblesse de la gouvernance publique et privée, (les pessimistes parlent de non gouvernance) et la généralisation des faits de prédation et de pillage de la ressource publique. " Pour lui, " l'Algérie est passée d'une économie administrée à une économie régalienne. L'instrumentalisation des attributs de puissance publique et de régulation à des fins d'enrichissement privé se généralise donnant lieu à la formation d'une classe d'entrepreneurs issue ou liée plutôt aux réseaux de l'administration qu'aux réseaux du marché, prédateurs plutôt que créateurs de richesses. Les relations personnelles sont devenues un puissant médiateur pour l'accès aux biens économiques. La garantie des contrats et la sécurité des transactions sont assurées par des personnes ou groupes de personnes au lieu et place des institutions ". Et de tirer la sonnette d'alarme : " On assiste à une vaste entreprise de destruction du capital éthique de la société contribuant à la ruine des principales figures de l'autorité dans la société, aussi bien celles issues des institutions de l'Etat et de la propriété que celles issues des institutions coutumières ", non sans se référer à A. Smith pour qui " l'éthique est l'institution des institutions de l'économie de marché ". Et à contrario, " la corruption est l'institution des institutions du 'contre-marché' (le concept est de Fernand Braudel). Et si tout le monde s'accorde à dire que la collectivité nationale paie cher la généralisation des pratiques de corruption, même s'il est difficile de quantifier son coût, une étude de la BM a déjà estimé, à titre illustratif que les pots de vins coûtaient 6% du chiffre d'affaire des entreprises algériennes. Economie de rente Analysant ses retombée, Mohamed Bahloul dresse un constat critique : " l'économie de rente régalienne est plus pernicieuse et plus nocive que l'économie de rente extractive, qui avec une bonne qualité des institutions et du capital humain pourrait, contrairement à ce qu'on affirme souvent, développer un pays (cas de la Malaisie et des Emirats Arabes Unies)". " Dans ce type d'économie, dit-il, la maximisation des gains est proportionnelle à la distance des agents vis à vis de l'administration. Son fonctionnement sur la base de l'asymétrie des règles et de l'information se traduit structurellement par plusieurs conséquences. Un manque à gagner de la collectivité nationale en termes de recettes fiscales et parafiscales qui joue comme une prime de fait aux groupes sociaux économiquement liés aux réseaux d'administration ". Pour lui, la corruption occasionne aussi un manque à gagner en croissance et en compétitivité. Et d'expliquer que ce fléau " renchérit les coûts de transaction qui deviennent une barrière à l'entrée des nouveaux investisseurs nationaux en particulier les jeunes (un handicap au développement de la PME et de la micro entreprise) mais aussi des IDE, en particulier ceux des capitaux longs ". Mais aussi fait-il remarquer, " elle encourage les mauvais compétiteurs au détriment des bons compétiteurs ; ce qui empêche la formation d'une classe d'entrepreneurs créateurs de richesses et innovateurs. Elle favorise la mauvaise qualité des produits et des services pouvant gravement ruiner la sécurité des consommateurs et des usagers ", citant à ce propos le cas des logements de Boumerdes lors du tremblement de terre de 2003. Pour notre interlocuteur qui se réfère à d'autres études, " il y a aujourd'hui une forte corrélation entre la corruption et l'exclusion des compétences occasionnant la fuite des cadres vers l'étranger ". Un Etat de droit comme rempart Si les effets dévastateurs de la corruption sont largement reconnus, beaucoup d'analystes concourent à dire que l'absence de transparence dans la gestion des affaires publiques est une des causes majeures de développement du mal de la corruption. Pour l'AACC, " il y a un manque flagrant de volonté politique " pour lutter contre ce fléau. Non seulement les ratifications par l'Algérie des Conventions internationales contre la corruption (ONU et Union Africaine) étaient un leurre, estime t-on, " mais l'Algérie combat avec acharnement la mise en place de mécanismes internationaux de surveillance de l'application de la Convention des Nations Unies, comme elle l'a fait en décembre 2006 lors de la 1ère Conférence des Etats-Parties, et s'apprête à le faire en janvier 2008 lors de la 2e Conférence des Etats-Parties ! " clame-t-elle. Pour l'AACC, seule l'instauration de la démocratie est à même de freiner cette gangrène qui dévore tout sur son passage. Pour Mohamed Bahloul, combattre la corruption repose nécessairement " les problématiques majeures de la Réforme Globale ", non sans souligner, " l'importance de l'Etat de droit dans la formation d'une économie de marché ". Pour lui, ce type d'Etat " n'est ni un luxe, ni une idéologie mais une véritable 'technologie institutionnelle' de régulation des conflits, de pacification des relations sociales, de stabilisation du comportement des agents économiques autour de règles de conduite universelles et de sécurisation des transactions ". Les formes institutionnelles qu'il promeut sont source de croissance et de compétitivité des Nations, dit-il. Mais le plus important, de l'avis de M.Bahloul, c'est de comprendre que l'économie régalienne est une économie " proche de l'état de nature (prédominance du droit de la force et de la ruse) avec sa loi organique imparable : le prédateur d'aujourd'hui peut se transformer en gibier demain ". Et d'avertir : " Personne n'est à l'abri, les droits de propriété sont constamment sous menace et l'incertitude permanente. Dans tout processus de changement systémique, il a été observé que l'intérêt vital des groupes sociaux détenteurs de la puissance et de la richesse est de fonder rapidement un nouveau contrat social qui consacre définitivement le passage de l'état de nature à l'état de culture, celui des lois et des institutions ".