En filigrane de tout débat sur l'école, il y a cette lancinante question : « La réussite pour tous les élèves est-elle possible ? ». Encore une fois, votre rubrique revient sur ce thème inépuisable. A force de le répéter, cet idéal — rêve caressé par des éducateurs humanistes depuis l'avènement de l'école universelle — finira un jour par s'imposer aux consciences. Si le regard des sociologues ratisse large, il n'en demeure pas moins que celui du pédagogue est incontournable pour rendre lisible l'éclairage théorique. Des chiffres ont été donnés ces derniers temps, qui n'augurent rien de bon pour l'école algérienne. Il n'y a pas lieu de les discuter. Ce serait de la diversion que de s'étaler sur une polémique de ce genre. A une ou à plusieurs unités près, ils offrent une image peu reluisante. Le constat est unanime : amer. Nous n'avons rien à ajouter à ce que ces éminents spécialistes ont communiqué lors de leurs différentes interventions à des rencontres initiées ici et là, ces dernières semaines à Oran, pour les débats d'El Watan et à Alger pour le colloque organisé par le Cread. Dommage que la médiatisation de ce type de regroupement n'ait pas été à la hauteur des enjeux abordés ne serait-ce que par les seuls intitulés des communications programmées. Loin des sunlights de la télévision et du parrainage des officiels, des idées généreuses ont été avancées. Le spectre du tsunami de la mondialisation commerciale, les dégâts causés par l'idéologisation des contenus des programmes scolaires, la tentation, forte chez certains, de revenir aux démons de l'élitisme jacobin : autant de défis à relever par tous les pays. Le nôtre est concerné à plus d'un titre. notre système éducatif nage en plein dans ces sables mouvants. La preuve parmi tant d'autres reste l'ostracisme qui frappe le concept d'enseignement professionnel, nouveau chez nous. Prenons de l'air et voyageons, une façon de se désangoisser. Une virée au pays de « la réussite scolaire pour tous » ne nous fera pas de mal si ce n'est, que de rêver pour nos chérubins le même sort que leurs camarades finnois. Déjà abordé dans une de ses éditions de l'an passé, le cas atypique de la Finlande revient au-devant de la scène. Voilà un pays qui invente à son corps défendant une nouvelle forme de tourisme. Le tourisme pédagogique lui procure outre les entrées en devises fortes, mais aussi une publicité planétaire. C'est par charters entiers que régulièrement ce petit territoire est envahi par des centaines de curieux venus des quatre coins du globe : des parents d'élèves, des enseignants, des hommes politiques, des spécialistes de l'école. Non, ils ne viennent pas pour s'offrir du bon temps ou faire du « t'bizniss ». A leur descente d'avion, ces visiteurs n'ont qu'un seul mot à la bouche : « faites-nous visiter une école, s'il vous plaît. » L'échec traqué Et oui ! L'écho du rendement de l'école finlandaise a dépassé les frontières des pays nordiques. Sa vitrine, son label, son symbole, le vrai et unique ambassadeur de ses richesses et de son génie : c'est l'école. Qu'il soit situé dans un quartier ou dans une bourgade de campagne, l'établissement scolaire finlandais donne à tâter et à voir ce que le concept de « la réussite pour tous » veut dire. Pourtant , il n'y a rien d'exceptionnel dans l'avènement de cette réforme que d'aucuns n'hésitent pas à qualifier de révolutionnaire ! Mais d'où les Finlandais ont-ils puisé cette idée de génie qui les catapulte au sommet du hit-parade des nations en matière d'efficacité scolaire ? Ils sont humbles ces gens du nord. Leurs spécialistes aussi pratiquent cette valeur cardinale. Ils ne vous assommeront pas de théories fumeuses ou de sermons à caractère idéologique. Une seule réponse vous sera donnés : le bon sens et rien que le bon sens Le grand tournant a eu lieu au début des années 1970. Auparavant, le système scolaire finlandais adoptait la mode occidentale en vogue à l'époque : la sélection. Les politiques ne sont pas restés insensibles aux signaux d'alarme donnés par les spécialistes. Ils préconisèrent au système éducatif la même approche que pour la société : le rendre plus égalitaire et moins sélectif. Il est vrai qu'en Finlande, la mixité sociale se vit au quotidien. Dans les quartiers des villes, les habitations des plus gens fortunés côtoient celles des plus humbles (il n'y a pas de pauvres). Sans aucun signe d'ostentation, cette cohabitation paisible ne nourrit pas de frustrations exacerbées entre les gens. Elle a surtout facilité la décision prise par les autorités d'imposer une carte scolaire simplifiée à l'extrême. Le parent est tenu d'inscrire son enfant dans l'école du quartier de résidence et pas ailleurs. Une inscription d'office. La mixité sociale se retrouve ainsi dans les salles de classe. Le fils du milliardaire ou du ministre aura pour camarade de table celui du cordonnier ou du chômeur. Autre nouveauté et pas des moindre : l'initiation aux apprentissages de base (écriture, lecture et calcul) ne démarre qu'à sept ans. C'est l'âge légal de l'entrée à l'école primaire. N'est-il pas vivement recommandé par les spécialistes de l'enfance ? Il est adapté aux besoins biologiques de l'enfant qui atteint là la maturité mentale et psychoaffective exigée par ces apprentissages, facile d'apparence mais difficiles et complexes pour un enfant. Toutefois, la Finlande a institué l'école maternelle en tant que maillon essentiel de son système éducatif. Pas un seul enfant n'y échappe. Leur prise en charge dans l'école maternelle est de celle qui répond aux normes scientifiques. Elles y sont appliquées dans la stricte rigueur : architecture des infrastructures, équipement des locaux, régime pédagogique spécifique à cette tranche d'âge (horaires, activités, programmes.), encadrement de qualité (modalité de recrutement et formation). La traque à l'échec commence dès cet âge. Les équipes pluridisciplinaires (médecin , psychologue et éducateur) sont chargées de veiller à la bonne santé des enfants et ce, sur tous les plans, fussent-ils minimes, les handicaps et les troubles diagnostiqués sont immédiatement traités. Ce dispositif de détection et de prise en charge continue tout au long de la scolarité, pour englober la dimension d'apprentissage. Le principe d'égalité devient opérationnel et non plus formel, comme c'est le cas dans bien des pays. Là où il est confondu avec uniformisation des programmes, des méthodes et de l'évaluation. L'écolier ou le collégien finnois ne redouble jamais. Il ne connaît pas l'angoisse de la note/sanction et de l'examen/tribunal. Il évolue dans un cadre où les adultes sont obsédés par la réussite de leurs élèves. Toute la vie scolaire est réglée sur cet objectif. Il imprime le rythme de travail, conditionne la qualité des rapports humains et détermine les conditions à mettre en place, tant matérielles que psychologiques. Pendant sa scolarité de base qui dure neuf ans — de 7 à 15 ans — l'élève de Finlande est assuré de ne pas rester à la traîne de sa classe. Dès qu'une difficulté se présente dans une quelconque discipline, il se rend dans la salle de remédiation : une autre innovation inspirée par le bon sens pédagogique. Dans chaque établissement scolaire existe des enseignants spécialement affectés à la remise à niveau des élèves en difficulté. Ils disposent d'un local et sont outillés exclusivement pour ce genre d'activité. Ils reçoivent une formation dans ce sens. Une fois le feu vert donné par le maître spécialisé, l'élève retourne en classe outillé en conséquence. Il aura atteint le même niveau que ses autres camarades. Pas d'orientation par l'échec. Au sortir du collège, il a deux choix le lycée d'enseignement général (qui absorbe 50% de l'effectif) ou l'Enseignement professionnel. Pour rappel, ce dernier cycle ne recrute pas les recalés (ce vocable n'existe pas en Finlande) mais les meilleurs. Il est même parfois difficile d'y accéder. Il est vrai que l'attrait pour les filières de l'EP est encouragé par la société — le travail manuel y est valorisé — mais aussi par l'école. Pendant sa scolarité, l'élève apprend à cuisiner, à créer dans le travail du bois (menuiserie). La dimension polytechnique, socle du système de l'Ecole fondamentale ( pas l'algérienne) n'est pas un vain mot .