Haï Es-Sabah est pratiquement une nouvelle ville sortie du néant, qui doit sans doute abriter le plus grand nombre d'habitants au mètre carré. C'est un groupe de cités, elles-mêmes constituées d'immeubles de plusieurs étages, avec beaucoup de F2, pas assez de F3 et très peu de F4, occupés par toutes les familles nombreuses recueillies des vieilles bâtisses menaçant ruine ou qui avaient fini par s'effondrer dans les anciens quartiers d'Oran. Ces nouvelles constructions, érigées à l'Est de la ville, disposent de toutes les commodités nécessaires à une vie décente : eau courante, électricité, gaz, réseau d'assainissement, routes. Mais, la vie n'y est pas des plus agréables. Loin s'en faut, à en croire certains locataires qui disent y déplorer l'absence de sécurité. Selon eux, c'est le secteur d'Oran où doit se concentrer le plus grand nombre de jeunes gens désœuvrés par immeuble, où se réfugie une grande partie des délinquants d'Oran. Au point, nous confie-t-on, où il est difficile aux jeunes filles de s'aventurer en dehors de leur bâtiment dès la tombée du crépuscule, même pour aller chez la voisine de l'aile d'à côté. Les agressions, les vols et autres actes de violence ne se comptent pas, en dépit de l'acharnement des éléments des services de sécurité dans la chasse aux malfrats de tous acabits qui sévissent dans l'impunité grâce à la loi de l'omerta, scrupuleusement appliquée. Complaisance Des agressions sont commises dans la cage d'escaliers d'un immeuble, en plein jour parfois, contre sa propre voisine, qui peut être l'adolescente de l'étage supérieur. Par peur de représailles, peu de plaintes arrivent jusqu'à la police ou à la gendarmerie nationale. Rien n'échappe aux milliers d'yeux, hauts perchés, qui voient tout en plongée par leurs fenêtres, mais s'interdisent tout commentaire. Non pas par complaisance, mais les gens ont peur d'avoir à faire à des jeunes écervelés qui sont sous l'effet de psychotropes. Du kif traité, des comprimés de psychotropes et parfois des objets volés y sont proposés à la vente par les dealers et autres pickpockets, comme s'il s'agissait de vulgaires cacahuètes grillées. Les honnêtes gens passent avec l'air de ne rien voir mais avec la rage au cœur. Il y a beaucoup d'interventions musclées des services de sécurité, mais la tâche semble des plus ardues devant l'extension du phénomène. « Les jeunes n'ont pas de travail, pas de loisirs, et l'oisiveté peut mener loin, très loin », déclare un retraité. Ajoutant : « Vous voyez, à part les quelques cafés où plusieurs jeunes fauchés se partagent un seul et unique express, il n'y a aucun espace de loisirs pouvant leur permettre de s'adonner à des activités saines. D'ailleurs, il n'y a même pas de marché. Ce sont les vendeurs ambulants qui nous approvisionnent en produits alimentaires. C'est illégal, mais est-ce qu'ils ne remplissent pas une sorte de fonction sociale ? » Notre retraité, dont l'optimisme ne semble pas être son fort, nourrit d'autres craintes : « avec l'occupation des centaines de familles du village d'à côté, (il veut parler de la nouvelle « agglomération » appelée haï El Yasmine), les choses risquent d'empirer dans les années à venir, voire dans les mois à venir, si les responsables locaux ne se penchent pas sur le mal qui ronge la cité pour lui trouver le remède. Car, c'est comme si nous étions assis sur une bombe à retardement. »