Sans tambour ni trompette, notre pays a été l'hôte d'un prestigieux visiteur en ce mois de novembre, printemps littéraire. André Gosse cofondateur du Grevisse, le célèbre dictionnaire de grammaire française, a séjourné à Alger durant une semaine pour connaître et surtout prendre la température littéraire de notre pays. Sans relâche, avec un emploi du temps chargé, ce grammairien émérite a multiplié les rencontres. Il s'est notamment prêté au jeu des questions-réponses auprès des visiteurs du stand des éditions belges De Boeck et du café littéraire du Sila, des étudiants de Lettres de l'université de Bouzaréah ainsi que des spécialistes et enseignants de la langue française réunis pour l'occasion à l'école La Préparatoire sise à Hussein Dey (Alger). C'est dans le cadre champêtre de cet établissement de management éducatif, qu'il a accordé un entretien à El Watan. Les yeux pétillants d'énergie toujours avides de découvrir, les cheveux grisonnant de sagesse et la silhouette alerte malgré le poids de ses 81 printemps, André Gosse a laissé une impression unanime auprès de ceux qui l'ont côtoyé pendant son bref passage dans la capitale. Ce natif de Wallonie (Belgique) porte en lui l'humilité des grands hommes. Votre visite à Alger a-t-elle une signification ? C'est avec un grand plaisir que je découvre votre beau pays. Je suis ici pour honorer une mission que Le Grevisse accomplit au quotidien : rencontrer et faire rapprocher les locuteurs francophones de différentes nationalités. Ma présence s'explique aussi par un double événement : la tenue du Sila et la parution de la 14e édition du Grevisse. Cette dernière mérite toute notre attention au vu des changements qualitatifs qu'elle a apportés. J'ai tenu à venir les présenter au public algérien. L'Académie française est connue pour son conservatisme. Quels sont vos rapports avec cette institution ? Vous n'êtes pas sans savoir que certaines règles de grammaire datent de plusieurs siècles. Et déjà à l'époque, elles furent fabriquées de toutes pièces. Le Grevisse se positionne dans le camp des modernistes en ce sens qu'il est à l'écoute des praticiens et des locuteurs. Dans sa première édition en1936, le fondateur Maurice Grevisse avait porté la mention en page introductive de son ouvrage : « … En concordance avec le dictionnaire de l'Académie française. » Il supprima cette formule dès la deuxième édition en 1939. C'est dire ! Quelles sont les pistes à emprunter pour promouvoir la langue française ? La promouvoir, c'est d'abord et avant tout apporter un message de paix. Il ne faut surtout pas opposer les langues entre elles. Elles cohabitent grâce aux emprunts et c'est tant mieux. Un mot pour définir Le Grevisse... Je n'ajouterai pas grand-chose à ce qu'écrivait André Gide en 1947 dans une chronique dans Le Figaro : « Toutes les réponses à mes questions sont contenues dans ce dictionnaire Le Grevisse. » Votre passage dans une institution francophone vous a laissé un goût mitigé. De quoi il en retourne ? Quand il était Premier ministre de France, Michel Rocard avait créé le Conseil supérieur de la Langue française. Il l'avait ouvert à des spécialistes d'autres pays francophones. Je représentais la Belgique. Nous avions travaillé pour moderniser l'orthographe de la langue. Ces efforts avaient déplu à certains cercles conservateurs qui nous traitèrent d'iconoclastes et d'ennemis de la langue française. C'était le cas de l'association des agrégés de Paris.